Entre satisfactions et craintes, la délicate visite du président du Sénat tchèque à Taïwan
Accueillie dimanche à l’aéroport de Taipei par le ministre des Affaires étrangères et plusieurs dizaines de journalistes locaux, la délégation tchèque emmenée par le président du Sénat Miloš Vystrčil poursuit sa visite très attendue à Taïwan. Dans le respect de mesures sanitaires extrêmement strictes dans un pays où le succès de la gestion de l’épidémie de coronavirus est unanimement salué, mais aussi sous l’étroite surveillance de la Chine, qui condamne ce déplacement qu’elle considère comme un acte de défiance.
Trois semaines après le passage déjà très remarqué du ministre de la Santé américain, la visite de Miloš Vystrčil, qui est accompagné notamment de sept autres sénateurs et du maire pirate de Prague, fait l’objet d’une attention toute particulière à Prague comme à Taipei, mais aussi à Pékin, Bruxelles ou encore Washington. Et pour cause : le président de la Chambre haute du Parlement tchèque n’est que le deuxième haut responsable d’un pays membre de l’Union européenne à visiter officiellement Taïwan ces dernières années.
Le respect par les instances européennes de la politique « d’une seule Chine » et la volonté de ne pas froisser Pékin sur un terrain diplomatique extrêmement sensible sont bien évidemment les raisons de cette retenue à se rendre sur le territoire insulaire. Ils expliquent aussi la position ambiguë entretenue vis-à-vis d’un pays, Taïwan, qui, certes, constitue un partenaire commercial et économique stratégique pour beaucoup, parmi lesquels la République tchèque, mais qui n’est pas reconnu comme un Etat indépendant par l’ONU et que la République populaire de Chine considère comme une de ses provinces.
Preuve de l’importance symbolique de cette visite tchèque, Miloš Vystrčil sera reçu, d’ici à son départ de Taipei vendredi, par la présidente Tsai Ing-wen, bête noire de la Chine qui l'accuse de rechercher l'indépendance formelle de l'île, ou encore par le chef du gouvernement, après avoir déjà eu l’honneur de se voir attendre à sa descente d’avion par le chef de la diplomatie.
Avant ces diverses rencontres au sommet, Miloš Vystrčil a d’abord participé, ce lundi, à un forum entre représentants de sociétés taïwanaises et tchèques, qui sont une quarantaine à avoir fait le déplacement. Comme l’a précisé la ministre du Commerce taïwanaise, il s’agissait là de la première grande manifestation du genre organisée depuis l’apparition des premiers cas de coronavirus dans le pays, où aucun cas positif n’a plus été détecté depuis 140 jours.
Dans la foulée, Miloš Vystrčil, toujours soigneusement masqué, a prononcé un discours, souvent applaudi, devant les étudiants de l’Université nationale de Taïwan. Dans une salle où l’ancien président Václav Havel s’était lui aussi exprimé en 2004, ce discours a été l’occasion pour lui de rappeler que la République tchèque possède actuellement à sa tête un président, Miloš Zeman, qui lui a vivement déconseillé d’entreprendre cette visite. Or, selon Miloš Vystrčil, les pays démocratiques devraient se soutenir les uns les autres et aider plus particulièrement ceux qui luttent pour leur indépendance et sont menacés par d’autres Etats plus puissants. Estimant qu’il est du devoir de tous de soutenir Hong Kong et une Biélorussie libre, le président du Sénat tchèque espère que son voyage encouragera d’autres initiatives du même genre dans un proche avenir :
« Je veux croire que d’autres hauts représentants politiques par exemple de pays européens démocratiques, mais aussi de l’Union européenne même, prendront progressivement conscience de leur ‘retard démocratique’ et se rendront eux aussi bientôt à Taïwan. »
Rien n’est cependant moins sûr, comme l’ont confirmé les menaces proférées dimanche par le chef de la diplomatie chinoise. Depuis l’Allemagne, où il est en visite, Wang Yi a fait savoir que Pékin entendait faire payer à Miloš Vystrčil « le prix fort pour ce comportement imprudent et son opportunisme politique », tout en rappelant que la remise en cause du principe de la Chine unique signifiait « se brouiller avec 1,4 milliard de Chinois ». Des propos auxquels le principal intéressé a réagi en pesant et en choisissant très attentivement ses mots :
« Cette déclaration me déçoit bien évidemment parce qu’il s’agit d’une immixtion dans les affaires intérieures de la République tchèque. Nous sommes un pays libre qui s’efforce d’entretenir de bonnes relations avec tous et je suis convaincu que ce sera le cas malgré cette déclaration. Il me faut ici répéter que le but de ce voyage n’est pas de prendre des distances avec qui que ce soit. Au contraire, ce voyage doit servir à favoriser la coopération et permettre de mettre en place les meilleures conditions possibles pour le développement économique de la République tchèque et bien sûr aussi pour la coopération entre des pays démocratiques. »
Outre le président Zeman, le Premier ministre Andrej Babiš, qui a rappelé que le gouvernement tchèque respectait depuis longtemps la politique d’une Chine unique, et le ministre des Affaires étrangères, Tomáš Petříček, avaient eux aussi recommandé à Miloš Vystrčil de ne pas entreprendre cette visite à Taïwan. Néanmoins, la déclaration menaçante de son homologue chinois a nécessité une réaction ferme de la part du chef de la diplomatie tchèque :
« Des mots aussi brusques et même inhabituels en diplomatie ne contribuent pas à calmer la situation et je souhaite protester contre leur usage. J'espère que la partie chinoise expliquera ces propos, qui ont franchi la ligne. C’est pourquoi nous allons convoquer l’ambassadeur de Chine. Je le rencontrerai personnellement ou un de mes adjoints le recevra. »
Tomáš Petříček a ajouté qu’il rappellera alors au représentant du gouvernement chinois à Prague que la République tchèque mène une politique clairement définie et inchangée vis-à-vis de Taïwan. Autrement dit, tout en reconnaissant le principe d’une Chine unique, son gouvernement entend continuer à coopérer autant que faire se peut dans les différents domaines techniques avec Taïwan, qui est un des plus importants investisseurs asiatiques en République tchèque.