Environnement : une ONG tchèque révèle la présence de polluants « éternels » dans les emballages alimentaires
Une étude initiée par l’ONG environnementale tchèque Arnika et menée dans six pays européens révèle la présence de substances chimiques toxiques pour la santé et extrêmement persistantes dans l’environnement, dans les emballages à usage unique utilisés dans la restauration rapide. Ces substances ce sont les PFAS, pour substances poly et perfluoroalkylées : leur acronyme pourrait rapidement devenir un repoussoir comme les mots bisphénol et parabène, car en plus d’être considérés comme des perturbateurs endocriniens, ils ont également la faculté d’être résistants à la décomposition. Alors que la pandémie a signé le grand retour du plastique et la multiplication de la vaisselle jetable, RPI s’est intéressée à cette étude avec Jitka Straková et Karolína Brabcová, de l’ONG Arnika.
KB: « En fait, nous avons initié cette étude avant le début de la pandémie. Nous avons choisi d’étudier cette famille de substances parce qu’elles sont en contact avec de l’alimentation. Mais en effet, vous avez raison, au cours de l’étude, nous avons réalisé que ce type d’emballage alimentaire produisait une quantité énorme de déchets qui ont été démultipliés depuis la pandémie. Nous espérons que quand la pandémie sera derrière nous, on reviendra davantage à de la vaisselle classique et que grâce à cette étude qui montre les dangers des PFAS, on parvienne à motiver les consommateurs à utiliser des emballages à usage multiple. C’est ce que nous faisons d’ailleurs nous-mêmes : il est très facile d’aller chercher son repas avec son propre contenant. »
JS : « Il y avait l’idée aussi de s’intéresser spécifiquement à des emballages à usage unique, mais pas en lien avec la pandémie. Nous voyons là un énorme contraste : ce sont des produits à usage unique que nous jetons à la poubelle en quelques minutes. Ils sont produits à grande échelle et produisent des déchets à grande échelle également. C’est donc un vrai paradoxe : des produits toxiques se trouvant dans ces emballages que nous jetons immédiatement se décomposent très mal, voire pas du tout, et persistent dans l’environnement pendant des siècles. »
C’est une étude qui a été menée dans six pays dont la République tchèque, la France, le Danemark ou encore les Pays-Bas. Pourquoi ces pays ?
KB : « Nous avons fait appel à des ONG partenaires dans toute l’Europe, des ONG qui s’intéressent aux produits chimiques, et pour certaines tout particulièrement à ces PFAS. Certaines se sont directement adressées à nous, proposant de nous fournir des échantillons issus d’emballages à usage unique ou de chaînes de fast-food. »
Peut-on donner quelques chiffres concernant ces échantillons ?
JS : « Au total, 99 échantillons ont été collectés dans ces six pays. Nous les avons soumis à un test très simple, réalisable par n’importe qui chez lui, à la maison : il suffit de faire tomber une goutte d’huile sur l’emballage et d’observer si le papier ou l’emballage en canne à sucre est oléophobe. Nous avons pu classer ces échantillons dans différentes catégories et en sélectionner 42, dont un certain nombre intentionnellement traités aux PFAS, qui ont été envoyés pour des analyses en laboratoire. Nous relevons un facteur alarmant : les échantillons d’emballage non-traités à dessein aux PFAS contiennent malgré tout des traces de contamination à ces substances. Il ne s’agit pas d’échantillons de produits aux propriétés oléophobes, mais fabriqués à partir de papier recyclé. Nous pensons que la contamination vient de là ou que cela s’est produit quelque part dans la chaîne de production. »
Une chose est frappante parmi les conclusions de cette étude, c’est que des emballages considérés comme écologiques, à base de canne à sucre, contiennent aussi ces produits chimiques…
KB : « En effet. Nous avons eu un entretien avec un Hollandais qui fait fabriquer ces produits en Chine et les importe en Europe. C’est censé être une alternative écologique aux plastiques. Il y a douze ans, ils les ont faits analyser dans une université néerlandaise qui a estimé qu’ils étaient sans danger. C’est dire... C’est une famille de substances chimiques dont on sait qu’elles sont toxiques et qui sont extrêmement persistantes dans l’environnement. Jusqu’à récemment, les chaînes de restauration alimentaire ou les restaurants ne pouvaient pas savoir de quoi étaient faits les emballages. Nous avons contacté tous ceux dont nous avons analysé les emballages, pour essayer de les convaincre de faire pression sur les sous-traitants, afin qu’ils n’utilisent pas ces PFAS. Cette étude vise aussi à alerter le législateur et les institutions européennes comme la Commission afin qu’ils décident d’interdire ces substances que les consommateurs peuvent difficilement éviter. »
Quels sont les effets de ces substances chimiques sur la santé et l’environnement, alors qu’ils sont considérés comme des polluants « éternels » ?
KB : « Ce sont des substances qui se caractérisent par une liaison carbone-fluor, une des plus fortes en chimie organique et qui ne se décompose quasiment pas. Très persistantes, elles sont responsables de la pollution des eaux. De récentes études menées auprès de mères américaines en ont même retrouvé dans le lait maternel. En ce qui concerne les conséquences pour la santé, il s’agit de perturbateurs endocriniens ce qui signifie d’éventuels problèmes liés à la thyroïde. Ils peuvent augmenter le risque de cancer des testicules, diminuer les capacités de reproduction… Autre chose à signaler : ils peuvent également réduire l’efficacité des vaccins ce qui s’avère être quelque chose de particulièrement crucial à l’heure actuelle. »
Est-ce que dans le cadre de cette étude, vous émettez des recommandations aux autorités nationales d’un côté, européennes de l’autre ?
JS : « Idéalement, il faudrait une législation harmonisée au niveau européen et même mondial, car ces substances ne connaissent pas de frontières. Une législation européenne fait actuellement l’objet d’un débat. Le mieux serait d’interdire les PFAS dans leur ensemble, et pas seulement l’un ou l’autre composé. De même, il faudrait les interdire partout là où leur utilisation n’est pas indispensable à la société : les emballages alimentaires ne sont clairement pas quelque chose d’absolument indispensable. En outre, il existe sur le marché des alternatives sûres à ces emballages existants. »
KB : « Une chose est intéressante par ailleurs. Nous n’avons malheureusement pas pu faire analyser un sachet de McDonald’s en France, mais l’entreprise affirme qu’en France, elle a quasi totalement éliminé les PFAS de ses emballages, à l’exception d’un ou deux, et que d’ici la fin de l’année, elle n’en aura plus aucun. Globalement, la firme a promis de s’en débarrasser définitivement mais pas avant 2025. Ce que notre rapport montre, c’est que la situation est totalement différente selon les pays. Au Danemark, ils ont été précurseurs en interdisant assez tôt les PFAS. Nous espérons en tout cas que notre étude permettra la mise en place d’une législation européenne parce qu’elle a beaucoup plus de poids. De même c’est ensuite beaucoup plus simple pour les fabricants qui ne sont pas obligés de s’adapter à chaque marché. »