Économie circulaire : en Tchéquie, la difficile prise de conscience de tous les enjeux
« L’économie circulaire, un enjeu écologique, économique et social pour l’Europe » était le titre d’un forum qui s’est tenu à l’ambassade de France à Prague mardi. Un événement auquel ont participé différents intervenants tchèques et français, et qui s’inscrivait dans le cadre plus large du thème de la durabilité sur lequel la Chambre de commerce franco-tchèque a choisi de mettre l’accent cette année.
Mais alors que se présente devant elle le besoin de transformer une économie fortement industrialisée entre autres pour respecter les objectifs bas-carbone de l’Union européenne, et que son gouvernement a approuvé, ce mercredi 21 juin, un plan d'action appelé « Tchéquie circulaire 2040 », la République tchèque possède encore un important retard en matière d’économie circulaire ; un modèle qui consiste notamment à réduire, réutiliser et recycler les déchets afin de produire de nouveaux biens et services. Toutefois, l’exemple de la société Upcycling Group montre que les choses bougent aussi en République tchèque, et ce comme l’a expliqué au micro de RPI son directeur général, Jan Skopeček :
« Upcycling Group était une start-up qui est devenue une petite entreprise aujourd'hui en phase de croissance. Nous possédons plusieurs technologies qui permettent de recycler différents déchets triés qui sont relativement difficiles à réutiliser comme par exemple les emballages qui sont des mélanges de plastique et de papier ou de verre et de plastique. Nous les transformons en des produits destinés au commerce et à l’industrie notamment de construction. Nous avons différents projets en cours de préparation dans plusieurs pays européens. Il s’agit de projets encore relativement petits avec des investissements dont les chiffres ne s’élèvent encore qu'à quelques millions d’euros et avec des entreprises de 10 à 20 salariés, mais ils nous ont déjà permis de nous internationaliser. »
On a entendu dire, durant le Forum, que le tri et le recyclage du plastique, par exemple, restait une question problématique en République tchèque puisque seule une petite quantité des déchets est recyclée. Est-ce qui vous a poussés à vous lancer dans ce projet ?
« Plusieurs raisons expliquent pourquoi mes partenaires et moi-même avons commencé ce projet. D’abord, nous sommes conscients que les matériaux déjà utilisés ont encore de la valeur. Même lorsqu’il finit à la poubelle, un emballage conserve sa valeur physique et chimique. Celle-ci ne change pas. D’un point de vue plus commercial aussi, nous voyons qu’il est possible de tirer profit de ces matériaux, car ils ont un potentiel de rentablisation positif. L'utilisation de ces technologies est donc une opportunité globale : nous n'avons pas seulement le souci de protéger l’environnement, mais aussi de mener une activité commerciale qui soit en mesure de générer des profits. »
Vous avez parlé de coopération internationale. Upcycling Group est-il un projet unique en son genre en République tchèque ?
« En République tchèque, nous voyons émerger plusieurs idées de start-ups et inventions. Mais ce que nous remarquons dans cette industrie, c’est que la commercialisation et la globalisation sont encore absentes. Nous voulons donc utiliser ces technologies, et pas seulement la nôtre, de manière à ce qu’elles trouvent leur place sur le marché, tant en Europe qu’ailleurs dans le monde. »
Nous avons aussi entendu dire lors du Forum que la conscience en République tchèque de la nécessité d’un modèle basé sur la durabilité en limitant la consommation de ressources et la production de déchets était encore relativement faible par rapport à d’autres pays comme la France. Sur le marché tchèque, quel est donc l’intérêt pour vos produits ?
« C’est effectivement un défi, plus particulièrement dans un pays comme la République tchèque où le niveau d’éducation à l’environnement et la volonté d’utiliser des produits recyclés sont, c’est vrai, moins élevés qu’ailleurs. Néanmoins, ce qui est intéressant, c’est que si notre modèle commercial fonctionne en République tchèque, nous serons alors certains de son potentiel dans d’autres pays. Pour cela, les prix de nos produits doivent être sensiblement les mêmes que ceux qui sont déjà sur le marché. Mais nous savons que si ces produits sont compétitifs en République tchèque, ils le seront alors aussi sur les marchés en Europe de l’Est grâce à la primeur de la réutilisabilité et du recyclage. »
La République tchèque est un pays traditionnellement très industrialisé. Mais une transition importante l’attend pour atteindre les objectifs bas-carbone fixés par l’UE. On constate toutefois un frein au niveau politique ou des acteurs économiques. Êtes-vous confrontés à cette réalité par exemple pour démarcher de nouveaux clients ?
« C’est une question intéressante parce qu’il y a deux aspects. D'abord, trouver des financements pour nos projets est difficile. Lorsque l’on parle d’un projet spécifique, par exemple d’un équipement de production, les banques le considèrent généralement comme une affaire 'ordinaire' et ne nous donnent rien de plus. En même temps, le fait que notre activité de réutilisation des déchets s’inscrive dans une démarche environnementale ouvre des portes. Cela nous permet de discuter avec différents partenaires, et même les financiers. Simplement, si ouvrir des portes est relativement facile, la réalisation des projets, elle, est plus compliquée. »
Quels sont les secteurs auxquels sont destinés vos produits ?
« La construction pour l’essentiel, en intérieur comme en extérieur. Nous produisons par exemple des panneaux d’isolation ou des pavés recyclés. Nous avons également une technologie qui convertit les matériaux biologiques, comme des plantes, en emballages. C’est donc assez varié, mais notre premier secteur est la construction. »
Comment expliquez-vous le retard que prend la République tchèque par rapport à cette industrie du recyclage, alors que les ministères en parlent - nous avons aujourd’hui entendu leurs représentants lors de ce Forum - et que les réunions à l’échelle européenne sont nombreuses ?
« Je pense qu’il y a deux raisons. La première repose sur l’éducation, pas tellement de la population, mais plutôt des professionnels de l’industrie et dans les entreprises. Très souvent, ce sont des gens qui travaillent dans les mêmes entreprises depuis longtemps et qui, de ce fait, connaissent un modèle économique qui fonctionnait il y a vingt ans. Il faut donc un peu de temps pour prendre conscience du potentiel de l’économie circulaire et pour trouver des solutions. Il s’agit là de la deuxième raison. C’est pourquoi des pays comme la France ou les Pays-Bas, où nous avons un projet, sont plus ouverts. Ils ont eu plus de temps pour prendre conscience de ce potentiel économique, et pas seulement environnemental. »
« Si vous en parlez avec les gens, tout le monde comprend que l’environnement nécessite des changements. Mais, encore une fois, ce qui manque, c’est de bien saisir le potentiel économique de cette transformation. L’environnement commercial est un peu difficile, comme le montre le projet de recyclage de différents déchets (plastiques mélangés, verre, textile) en produits de construction que nous avons avec une ville tchèque qui traîne depuis deux ans et dont nous ne sommes toujours pas sûrs qu’il se réalisera un jour. C’est dommage parce que c’est un projet qui peut générer des emplois, des profits et des matérieux utilisables localement. »