Fermeture des « hôtels humanitaires » pour sans-abris : lettre ouverte à la mairie de Prague

Alors que la mairie de Prague a annoncé la fermeture au 30 juin des « hôtels humanitaires » ouverts peu après l’apparition des premiers cas de Covid-19 en République tchèque, les associations assurant le fonctionnement de ces établissements offrant un hébergement d’urgence aux sans-abris lancent un appel aux élus. Selon elles, quelque 60 personnes se retrouveraient bientôt à nouveau à la rue, risquant ainsi de perdre les bénéfices de plus de deux années de vie apaisée.

Après plusieurs reports, la mairie de Prague a décidé de fermer définitivement à la fin du mois de juin les quatre derniers « hôtels humanitaires » offrant encore des lits à quelques 160 personnes sans abri. Mais plusieurs organisations assurant le fonctionnement de ces hébergements d’urgence ont récemment adressé une lettre ouverte à la mairie de la ville, afin d’alerter les élus sur la situation incertaine de plusieurs dizaines de personnes hébergées. Parmi ces associations, « Jako doma » gère depuis mars 2020 un « hôtel humanitaire » installé tout d’abord dans le quartier de Žižkov, avant qu’il ne déménage dans celui de Vyšehrad. Travailleuse sociale dans cette association d’aide aux femmes et personnes transsexuelles sans abri, Eliška Konývková explique ce qui a motivé cette lettre ouverte :

Photo illustrative: René Volfík,  iROZHLAS.cz

« Cela fait un certain temps déjà que nous sommes en relation avec la mairie de Prague. La fermeture des hôtels au 30 juin avait été convenue conjointement ; il ne s’agit pas d’une surprise. Cependant, la mairie avait également prévu d’offrir une capacité d’hébergement suffisante aux personnes qui ne bénéficieraient pas encore de logement tel qu’un appartement ou encore une place en maison de retraite. La mairie a donc mis en place deux centres d’hébergement, ce qui est super ; néanmoins, leur capacité d’hébergement est insuffisante. D’après les calculs que nous avons faits avec les autres « hôtels humanitaires », le nombre de personnes ne disposant toujours pas d’hébergement pour la suite est de 60 en tout. »

« Notre lettre à la mairie et aux conseillers municipaux est donc un appel à ne pas renoncer, car pour cette soixantaine de personnes auxquelles la vie à l’hôtel a permis de se stabiliser, de régler certains problèmes ou de renouer des liens avec leur famille, se retrouver à nouveau à la rue pourrait constituer un danger pour leur santé, voire pour leur vie. La revendication première de notre lettre est donc que la ville de Prague garantisse un hébergement à ces personnes. »

400 personnes en deux ans

Ouverts en mars 2020, peu après le premier cas de Covid-19 en République tchèque, pour offrir un lit et un toit aux personnes sans abri, les « hôtels humanitaires » de Prague auraient vu passer, d’après les chiffres de la mairie de Prague, quelque 400 personnes en un peu plus de deux ans. Rien qu’à l’hôtel géré par « Jako doma », elles ont été 71 sur cette période – et sont toujours 34 femmes à y être logées actuellement. Mais alors, que vont devenir au 1er juillet les 60 sans-abris de Prague auxquels aucun hébergement n’a encore été attribué ? Eliška Konývková :

Photo: Association Jako doma

« Si la mairie de Prague ne leur propose pas de logement, notre association va essayer de leur en trouver un. Nous y travaillons déjà, notamment par le biais de centres d’hébergement privés, de types auberge. Mais le problème, c’est que ces logeurs privés acceptent rarement d’attendre le versement de l’allocation par l’Office du travail. Il s’agit d’une allocation dont peuvent bénéficier les personnes en situation de détresse sociale et qu’elles peuvent utiliser pour payer leur loyer. C’est donc très compliqué pour elles. Par ailleurs, comparés aux centres d’hébergement municipaux, les centres d’hébergement privés sont hors de prix, proposant des tarifs pouvant aller jusqu’à 8000 couronnes [environ 320 euros] par mois pour une chambre. Nous estimons que dans ces conditions, pour les personnes qui vont bientôt quitter les ‘hôtels humanitaires’, rester dans un logement de ce type risque d’être extrêmement compliqué. Il serait donc super que la ville de Prague fasse le nécessaire pour trouver un logement aux 60 personnes restantes. »

Mais alors, ne serait-il pas mieux de repousser encore un peu la fermeture de ces « hôtels humanitaires » pragois ? Eliška Konývková n’en est pas convaincue :

« Le fonctionnement de ces hôtels a déjà été prolongé à plusieurs reprises. Au début, en mars 2020, ça devait être pour trois semaines, puis pour trois mois, puis pour un an, puis pour une année supplémentaire… Leur fermeture a donc été repoussée plusieurs fois. Et l’idée, c’est qu’au sortir de cet hébergement d’urgence, une personne devrait pouvoir bénéficier d’une plus grande stabilité, de l’assurance d’un logement pour plusieurs années. Moi qui travaille à l’hôtel humanitaire, je peux témoigner que pour ces femmes, ne pas savoir si l’hôtel va rester ouvert ou non, c’est extrêmement difficile à vivre. Nous l’avons déjà vécu notamment en juin 2021 ; cette grande incertitude et ces changements incessants sont très stressants. Pour nous travailleurs sociaux, c’est également difficile, car nous ne savons pas quoi leur dire… et à l’hôtel, la nervosité est palpable. Pour cela, il serait donc vraiment bien que la mairie de Prague prenne une décision claire et trouve un logement pour ces personnes. Cela les soulagerait énormément. »

Les bénéfices de la stabilité du logement

D’autant que la sécurité du logement a des effets bénéfiques sur la santé et la vie des personnes auparavant sans abri, comme a pu le constater Eliška Konývková, qui termine sur une note positive :

« En plus de deux ans de fonctionnement de notre ‘hôtel humanitaire’, j’ai été témoin de très belles histoires. Pour les femmes avec lesquelles j’ai eu l’occasion de travailler, le fait d’avoir un logement stable leur a permis de se reposer et de reprendre des forces, et ainsi de se consacrer à leurs affaires, que ce soit en termes de santé physique ou mentale, de travail ou de relations familiales. J’ai donc pu constater que cela avait véritablement du sens. Je serais donc heureuse que ce travail ne soit pas réduit à néant, et que l’effort pour mettre fin au sans-abrisme soit continué de façon systématique. C’est mon souhait. »