Jako doma : dix années d’engagement pour les femmes sans-abri

Des femmes du centre communautaire

Voilà déjà dix ans qu’a été créée à Prague l’association « Jako doma » (« Comme à la maison »), avec l’objectif de venir en aide aux femmes sans-abri en prenant en compte leurs besoins particuliers. Au micro de RPI, la représentante de l’association Lenka Vrbová fait le point sur ses dix années d’activité ainsi que sur les conséquences de la guerre en Ukraine. Mais tout d’abord, elle rappelle comment l’organisation a vu le jour et quels en sont ses principaux projets à l’heure actuelle.

Lenka Vrbová | Photo: Tomáš Černý,  ČRo

« L’association ‘Jako doma’ a vu le jour il y a dix ans ; les fondatrices estimant alors que trop peu d’attention était accordée à la pauvreté des femmes en République tchèque. Elles ont tout d’abord fait des recherches pour savoir s’il y avait des femmes sans-abri et pour identifier leurs besoins. Elles ont alors découvert que c’était un thème conséquent. C’est à partir de cela que l’association ‘Jako doma’ a commencé à se développer, avec par exemple la création du projet des « Cuisinières SDF » et leur restaurant (« Jídelna kuchařek bez domova »), mais aussi un centre communautaire. Et depuis deux ans, nous gérons un hébergement humanitaire destiné aux femmes les plus en danger pendant la période du Covid-19. Outre des projets ponctuels, nous travaillons également en partenariat avec la mairie de Prague dans le cadre de logements sociaux. »

Le restaurant Jídelna kuchařek bez domova | Photo: Petr Zewlakk Vrabec, Jako doma

« Pendant très longtemps, notre équipe associative se composait de 10 à 15 personnes, mais le Covid-19 a changé beaucoup de choses. Depuis que nous avons mis en place notre projet d’hébergement humanitaire dans un hôtel de Žižkov, nous sommes maintenant 40 personnes à travailler pour l’association. »

Vous faites partie de l’équipe de l’association « Jako doma » depuis neuf ans, à savoir quasiment depuis sa création. Qu’est-ce qui a changé en cette décennie, non seulement au niveau de l’association, mais aussi de la situation des femmes SDF à Prague ?

« Il faut bien faire la différence entre l’évolution de notre association et les évolutions de la société et du système. Pour ce qui est de notre association, il est évident qu’elle a gagné en taille, et que son fonctionnement s’est professionnalisé. Au début, tout était un peu improvisé, il y avait beaucoup de choses que nous ne savions pas, nous faisions beaucoup d’erreurs, nous tâtonnions… Mais je pense que nous sommes désormais parvenus à un fonctionnement – qui part toujours de la base, certes, et qui est très participatif, mais qui dispose de méthodes établies et qui est plus professionnel. Par ailleurs, nous travaillons maintenant avec des institutions plus importantes, tout en restant une association relativement petite. »

Photo: Jako doma

« Pour ce qui est de l’évolution de la situation des femmes sans-abri, la situation récente – qu’il s’agisse du Covid-19 ou de l’augmentation du prix des énergies – a pour conséquence une augmentation du nombre des femmes qui risquent de perdre leur logement, mais également de celles qui sont déjà à la rue. Le nombre de femmes qui s’adressent à notre association est de plus en plus important : c’est en partie parce que nous nous consacrons au thème spécifique de la pauvreté des femmes, ce qui fait que nous sommes connus pour ça, et d’autres services s’adressent à nous. Par ailleurs, je constate quelque chose qui est en partie le résultat de notre action : c’est que d’autres associations se mettent elles aussi à s’intéresser au thème des femmes SDF et à leurs besoins, et à mettre en place, par exemple, des foyers d’accueil et des centres communautaires spécifiquement destinés aux femmes. »

Le centre communautaire à Prague-Libeň | Photo: Ray Baseley,  Jako doma

Quel est, selon vous, le plus grand succès de l’association « Jako doma » au cours de ces dix dernières années, ce dont vous êtes la plus fière ?

« L’une de nos grandes réussites, en collaboration avec d’autres acteurs, c’est le fait que nous sommes parvenus à faire prendre conscience du thème des femmes SDF et de leurs besoins spécifiques, à en faire un thème dont parlent les médias. L’implication de nos ‘peer pracovnice’ et notre fonctionnement participatif est également un point dont je suis fière. »

Des femmes du centre communautaire | Photo: Jako doma

« Et puis, même si ce n’est pas tout à fait terminé, nous avons commencé à déhiérarchiser notre association, avec l’objectif de parvenir à une autogouvernance, c’est-à-dire un fonctionnement sans dirigeants ni managers, mais avec une responsabilité partagée et un fonctionnement sur la base de retour d’information, de transmission d’informations, etc. Nous avons donc lancé cette démarche de déhiérarchisation, qui me semble particulièrement importante, notamment d’un point de vue personnel, parce que ma position de directrice de l’association est très lourde pour moi. Par ailleurs, je vois énormément de bénéfices à ce type de fonctionnement. Je me réjouis donc de cette transformation, dont j’aimerais pouvoir dire, d’ici quelques années, qu’elle a été un de nos succès. »

Vous avez mentionné le terme « peer pracovnice », des « travailleuses peer ». En quoi cela consiste-t-il dans votre association ?

Photo: Petr Zewlakk Vrabec,  Jako doma

« Chaque association a sa propre définition des ‘peer pracovnice’ et de leur implication dans le fonctionnement de l’association, mais à ‘Jako doma’, les ‘travailleuses pairs’ sont des femmes qui ont elle-même connu une expérience de vie sans-abri. Elles font partie de l’équipe des salariés à temps plein de notre centre communautaire ; elles ont les mêmes droits et les mêmes responsabilités que les autres salariés. Nous sommes conscients du fait que certains thèmes peuvent les toucher différemment que des personnes qui n’ont jamais vécu dans la rue ; en revanche, leur expérience personnelle fait que notre équipe est plus hétéroclite – et plus riche, ce qui permet de créer ensemble des choses intéressantes. »

Est-ce que la guerre en Ukraine a changé quelque chose dans votre association, que ce soit d’un point de vue financier – puisque vous êtes une ONG et que votre activité est financée par des dons et des subventions – ou bien du fonctionnement concret de votre association au quotidien ?

« Notre fonctionnement est assuré principalement par des subventions européennes ou de la mairie de Prague, mais aussi grâce aux dons. Pour ce qui est de l’impact éventuel de la guerre en Ukraine sur le financement de notre association, je pense qu’il est encore trop tôt pour le ressentir. Mais l’immense vague de solidarité avec l’Ukraine laisse pressentir des conséquences sur les dons que nous recevons normalement. Les personnes chargées des collectes de fonds ont exprimé des craintes, car elles ont déjà constaté que des donateurs réguliers avaient annulé leur versement automatique au bénéfice d’une aide à l’Ukraine. C’est fantastique, bien sûr, mais le financement des associations tchèques n’est jamais aisé… Toutes les associations connaissent des difficultés de financement, et ce, bien qu’elles assurent un travail important, souvent à la place de l’Etat, d’ailleurs. »

Jídelna kuchařek bez domova | Photo: Magdalena Hrozínková,  Radio Prague Int.

« Pour ce qui est de l’impact concret sur notre activité, nous avons déjà constaté, par exemple, que des lieux auparavant mis à disposition pour les sans-abri sont désormais utilisés pour les Ukrainiens. Nos ressources matérielles ont par ailleurs été réduites, mais également nos ressources humaines, puisqu’il a été demandé aux employés d’associations de venir aider dans les centres d’accueil de réfugiés. »

« D’un point de vue humain, les femmes de notre centre communautaire s’inquiètent de la situation en Ukraine, car elles craignent qu’au Bureau de l’emploi, la priorité soit donnée aux Ukrainiennes. Des rumeurs courent… ce qui n’augure rien de bon, ni d’un point de vue social, ni pour une éventuelle future collaboration… »

« Enfin, il est fort probable qu’une partie des réfugiés qui arrivent actuellement d’Ukraine passe au travers du système d’aide tel qu’il est actuellement défini, que ce soit en raison de maladies mentales, d’addictions, de difficultés à garder un logement ou parce qu’ils ont des besoins spécifiques… Ils risquent donc de se retrouver hors système. Parmi les personnes qui ont recours au service de ‘Jako doma’, nous avons déjà des étrangères, parmi lesquelles des Ukrainiennes, mais il s’agit de personnes arrivées en République tchèque avant l’invasion russe. Pour ce qui est de la vague actuelle, nous attendons de voir ce qui va se passer. Cela dépendra bien évidemment de la durée du conflit en Ukraine. »

Vendredi 8 avril, vous organisez un événement ouvert à tous pour les 10 ans de « Jako doma ». Pouvez-nous nous présenter le programme de cette célébration, qui aura lieu à Kampus Hybernská ?

« Nous avons décidé de fêter ces 10 ans avec tous ceux qui nous apprécient et qui ont collaboré avec nous à un moment ou à un autre. Nous prévoyons une mini-conférence sur le thème des femmes SDF, avec comme intervenantes, aussi bien des employées que des femmes sans-abri de ‘Jako doma’. Une vente aux enchères sera également organisée, ainsi qu’un défilé de mode préparé par les femmes du centre communautaire. La nourriture sera assurée par les ‘Cuisinières SDF. Et la soirée se terminera par un concert, avec à l’affiche la chanteuse Monika Načeva, le groupe Tábor et DJ Johana. »

Vous organisez actuellement une collecte de fonds, avec l’objectif de recueillir 1 million de couronnes (41 000 euros). A quelle fin ?

« En fait, lorsque vous avez demandé en quoi notre activité avait changé en 10 ans, j’aurais pu préciser, entre autres, que les financements européens et nationaux accordés aux activités sociales sont de plus en plus réduits. Concrètement, actuellement, nous ne disposons plus d’aucun financement pour notre centre communautaire. Nous avons donc décidé de lancer cette collecte de 1 million de couronnes, qui serait un beau cadeau d’anniversaire pour nos 10 ans, car cela nous permettrait d’assurer le fonctionnement de notre centre communautaire pendant plusieurs mois, en attendant de trouver d’autres sources de financement. »