Foot : « Très compliqué pour les clubs tchèques de garder leurs talents »
'À l’ombre du Big five : Les nations perdues du football' est le titre d'un livre publié en France le 14 septembre par Amphora. Sous la direction de Nicolas Vilas et David Lortholary. Ce livre retrace l’histoire de nombreuses nations européennes, jadis sur le toit de l’Europe, mais évincées ces dernières années par le Big Five. Constitué des grandes nations européennes du football, c’est-à-dire l’Angleterre, l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie et la France, ce Top 5 s’est tellement enrichi et développé qu’il domine sans partage le football continental, laissant les anciennes gloires, comme l’ex-Tchécoslovaquie, la Hongrie ou l’Ecosse, au second plan. Lazar van Parijs, de footballski.fr, est l’auteur des chapitres sur la Tchéquie et la Serbie.
Première question, très simple, pourquoi avez-vous décidé de faire ce livre, À l’ombre du Big five, qu’est-ce qui vous a inspiré, et pourquoi vous, en particulier, avez rédigé ce chapitre sur la Tchécoslovaquie ?
« Le projet a été initié par Nicolas Vilas et David Lortholary, qui aiment s’intéresser à une pluralité de championnats et qui aiment avoir des sons de cloches un petit peu différents de ce qui se fait dans le Big five. C’est à ce moment-là que Nico m’a contacté en me soumettant l'idée et, de fil en aiguille, j’ai trouvé que c’était très intéressant, étant cofondateur du site footballski.fr, qui est un média spécialisé dans le football d’Europe centrale et de l’Est, et où on couvre un certain nombre de pays qui étaient dans l’orbite de Nicolas et David. C’est à ce moment-là qu’en tant que rédacteur Tchéquie et Serbie, j’ai été amené à travailler sur le projet sur les deux chapitres. »
Nous sommes Radio Prague International, donc forcément nous allons nous intéresser plus précisément à la Tchéquie. Cette année, trois clubs tchèques sont qualifiés en Coupe d’Europe, le Slavia et le Sparta en Europa League et le Viktoria Plzeň en Europa League Conférence, comment situez-vous le championnat tchèque aujourd’hui ?
« Par rapport aux autres championnats d’Europe centrale, on peut dire qu’il y a un écart important avec la Slovaquie aujourd’hui. La Slovaquie a quand même plus de mal à avoir des clubs sur la scène européenne et à exporter des talents, et ça se ressent sur le niveau de l’équipe nationale. Après, vis-à-vis de la Pologne et de la Hongrie c’est un petit plus compliqué, en Hongrie on retrouve un système politique où Orban va mettre en avant le football car c’en est un grand fan. Forcément, la construction de stades, la construction d’académies, le recrutement de joueurs dans les pays limitrophes, dans les régions magyarophones, va commencer à se ressentir au bout d’un certain temps. Enfin, la Pologne est un pays qui a un club phare, le Legia Varsovie, et un club qui fonctionne plutôt bien, le Raków Częstochowa. Si on doit remettre ça dans le contexte de la Tchéquie, par rapport à ses voisins, c’est un pays qui aujourd’hui ne se débrouille pas trop mal, surtout depuis quelques années. On retrouve une certaine stabilité du côté du Slavia, avec l’arrivée de l’entraîneur J. Trpišovský il y a quelques années, et depuis deux ou trois ans, il y le retour en grâce du Sparta avec un directeur sportif, Tomáš Rosický, qui voit son travail qui commence à payer, avec le titre, entre autres, l’année dernière. À côté de ça, le Viktoria Plzen est toujours présent sur la carte. »
La Tchéquie absente des dernières Coupes du monde
En Europe centrale donc, la Tchéquie occupe une position assez dominante, que manque-t-il au football tchèque aujourd’hui, pour redevenir compétitif sur la scène européenne en général, que ce soit au niveau des clubs en coupe d’Europe, ou au niveau de la sélection nationale ?
« Le paradoxe pour la sélection nationale est qu’ils arrivent à se qualifier à tous les Euros, mais qu’ils n’arrivent jamais à se qualifier pour la Coupe du Monde. Ça reste un grand paradoxe. Ce qui manque aujourd’hui, et on l'évoque dans le livre, ça va être la question du départ à l’étranger, d'aller se former à l’étranger, d’aller se confronter aux plus grands et aux meilleurs, pour emmagasiner de l’expérience et réussir à passer ce cap. Aller jouer dans les grands clubs, aller jouer dans les grands championnats. Et on voit qu’aujourd’hui dans la sélection nationale, on a beaucoup de cadres qui restent quand même en Tchéquie, que ce soit au Sparta ou au Slavia. C’est un des problèmes qui s’explique par le fait que toutes les générations ne sont pas extraordinaires, on a quelques joueurs par génération qui arrivent à faire leur trou et, l’autre chose, est qu’il y a eu un travail de formation qui a été relancé il y a quelques années par la fédération et il faut que ce travail de formation, inspiré de Clairefontaine en France, porte ses fruits. »
Justement, vous parlez des joueurs qui franchissent le cap pour partir jouer à l’étranger, actuellement trois joueurs tchèques, Patrik Schick, Adam Hložek et Matěj Kovář, font le bonheur du Bayer Leverkusen, qui figure parmi les outsiders cette saison en Bundesliga et qui a récemment accueilli la légende espagnole Xabi Alonso, en tant qu’entraîneur. Leverkusen est deuxième du championnat, toujours invaincu et à égalité de points avec le Bayern Munich, ils réalisent un bon début de saison. Ces joueurs peuvent-ils constituer le renouveau de la formation tchèque en menant la voie à une nouvelle génération qui va oser sortir des frontières de la Tchéquie et briller sur la scène footballistique européenne ?
« Le Bayer est connu pour travailler de façon très intelligente ces derniers temps. Le fait d’aller chercher des jeunes pépites tchèques pour eux est un moyen de le prouver. Ils ont eu des joueurs qui ne sont pas forcément trop chers, et qui ont beaucoup de talent. C’est une facette de ce recrutement qui a dû les attirer chez ces joueurs-là. On n’arrive pas au Bayer par hasard, comme vous venez de le dire, ils viennent de recruter Xabi Alonso, qui est un des entraîneurs les plus prometteurs de sa génération, et donc on est vraiment sur un ensemble de paris très calculés de la part des dirigeants du Bayer. Le fait pour trois Tchèques d’être ensemble, premièrement ça les aide à s’intégrer, parce que ce n’est pas toujours évident de partir à l’étranger, d'apprendre une nouvelle langue et de s’intégrer. Être ensemble, c’est une bonne façon pour eux de vivre entouré de Tchèques en Allemagne. C’est une façon pour le Bayer aussi de réduire le risque d’un mauvais transfert. Le fait de partir tous ensemble, ou plutôt de se retrouver, et de vivre dans un club qui a de grandes ambitions, est bénéfique pour tout le monde. »
Pour vous, l’avenir de la sélection nationale tchèque réside dans le fait de réussir à exporter les joueurs ? Par exemple, vous affirmez dans le livre que le Sparta faisait partie des meilleurs centres de formation d’Europe en 2021, devant la Masia du FC Barcelone, preuve donc du progrès de la formation en Tchéquie. L’avenir de la formation tchèque doit se jouer à l’étranger, donc, et pas dans les clubs en en Tchéquie ?
« Aujourd’hui, c’est quand même très compliqué pour les clubs tchèques de garder les talents, que ce soit à un niveau financier ou au niveau du prestige. Si des clubs vous appellent pour jouer la Ligue des Champions, comme on vient de le dire, l’objectif c’est de se frotter aux meilleurs pour s’améliorer, le Bayer est présent en Ligue des Champions régulièrement ces dernières années, ce que le Sparta n’est pas capable de faire ces derniers temps. »
Daniel Křetínský, West Ham et le Sparta
Il y a un homme qui est de plus en plus important dans le football tchèque, il s’agit du milliardaire tchèque Daniel Křetínský, propriétaire du Sparta depuis 2004, il a investi largement dans le club anglais de West Ham, en 2021. Dans quelle mesure cette présence de plus en plus marquée de Daniel Křetínský dans le football tchèque et européen influence-t-elle le football tchèque. A-t-il un impact plutôt positif pour le rayonnement du football tchèque ?
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« À ma connaissance, il n’a pas de lien direct avec la fédération. Ce qui peut être intéressant, c’est si des liens se forment en West Ham et le Sparta, que ce soit avec des prêts de joueurs qui cherchent à se relancer, ou avec un partage des meilleures pratiques. Les clubs anglais ont quand même des budgets et des pratiques qui sont théoriquement aux avant-gardes du football européen. Une telle association permettrait de renforcer les pratiques et les connaissances du football local. »
Dans votre chapitre, vous parlez également des investissements massifs en provenance de Chine, qui ont permis de sauver le club du Slavia de la faillite, est-ce que le football tchèque, aujourd’hui, manque d’investisseurs pour être plus compétitif et pour conserver les talents tchèques ?
« On l’a vu, dès que les investisseurs chinois ont commencé à retirer quelques billes du Slavia, automatiquement, le Slavia a baissé d’un cran, n’était plus capable d’avoir l’effectif qu’ils avaient ou de faire les transferts qu’ils ont pu faire il y a quelques années. On l’a vu également récemment, quand il y a eu des ventes de clubs, ce sont souvent des investisseurs locaux, de la ville ou de la région, qui reprennent le club. Ils n’ont pas forcément la même manne financière, que si c’étaient de grands investisseurs étrangers qui viendraient pour mettre des billes. Après ça permet de conserver un ancrage local, d’un point de vue humain c’est très bien aussi, mais il faut savoir quel est l’objectif et qu’est-ce qu’on veut faire de ça. »
Foot vs hockey ?
Vous écrivez vous-même dans votre chapitre que nous sommes dans un pays où le hockey sur glace est roi - est-ce que cela peut empêcher le football de tchèque de se développer réellement ?
« Je ne pense pas dans le sens où on peut aisément retrouver des joueurs qui pratiquent les deux sports. On peut penser à Petr Čech, l’ex-gardien de Rennes et de Chelsea, qui dès qu’il a arrêté sa carrière footballistique, a pris une licence dans un club semi-professionnel de hockey en Angleterre, et a tout de suite commencé à se remettre au hockey à un niveau plutôt sérieux. Beaucoup de jeunes pratiquent le hockey l’hiver et le football l’été en République tchèque, donc l’un n’empêche pas l’autre, alors oui, forcément, au bout d’un moment il faut choisir, mais il y a aussi une telle structure professionnelle qui se développe en Tchéquie, que de plus en plus de talents peuvent être amenés à jouer au foot. »
Une question peut-être plus historique : ces dernières années, la Slovaquie a produit des joueurs talentueux qui ont évolué au meilleur niveau européen, comme Milan Skrinjar, récente recrue du Paris Saint-Germain et finaliste de la Ligue des Champions avec l’Inter Milan l’année passée, Marek Hamsik, légende du SSC Napoli ou encore Lobotka, champion d’Italie en 2023 avec le Napoli. De plus, contrairement à la Tchéquie, la Slovaquie s’est qualifiée pour la Coupe du monde 2010 et a même atteint les huitièmes de finale. Quand on voit cela, on se demande tout naturellement quel a été l’impact de la révolution de Velours et du divorce tchécoslovaque sur les performances du football tchèque ?
« Ce qu’on peut dire c’est qu’en tout cas le réservoir de joueurs a très largement chuté, réduit. Forcément, on passe d’une équipe qui a des joueurs tchèques et des joueurs slovaques, à une équipe qui a des joueurs uniquement tchèques. Quand on est un petit pays et qu’on le réduit encore plus, le réservoir de joueurs a son importance, et donc, les équipes sont amenées à jouer avec moins de joueurs qui ont un top niveau. C’est plus compliqué pour ces pays de sortir des talents, et de venir titiller les plus grands. L’autre point est que forcément, l’une des conséquences de la révolution a été le changement de régime, et qui dit changement de régime, dit perte de repères et de certaines bases de la société. Comme on l’évoque dans le livre, les systèmes de formation se sont arrêtés, parce que c’était dans une dynamique socialiste de repérage etc. Avec le changement de régime, toute la formation s’est écroulée, il faut donc du temps et de la volonté pour relancer la formation, ça commence, avec la Tchéquie, à enfin payer. »
Le football tchèque comme tremplin pour jeunes joueurs
Enfin, quelles peuvent être aujourd’hui les ambitions du football tchèque pour les années à venir ?
« Aujourd’hui le football tchèque se positionne comme un tremplin pour de nombreux jeunes joueurs. On retrouve à la fois de nombreux jeunes qui ont évolué dans les championnats scandinaves, des Balkans ou d’Afrique, qui viennent et qui utilisent le championnat tchèque comme une porte d’entrée vers le Top 5. On a vu de nombreux jeunes partir dans les championnats du Top 5 après. On sait que le championnat est regardé, surveillé, et donc c‘est une belle porte d’entrée et de sortie pour ces jeunes. À côté de ça, on voit qu’avec le Sparta et le Slavia, qui ont deux stratégies assez différentes, mais qui peuvent prétendre à de belles places européennes, avec un Viktoria Plzeň qui est un peu plus libre, qui est à la fois capable d’aller gagner un championnat comme il y a deux ans et de jouer la Ligue des Champions derrière, ou de jouer de la Conférence, tout ça permet quand même d’assurer une présence notoire en Europe, mine de rien. L’objectif à court terme des Tchèques va être de remonter au classement de l’indice UEFA, pour récupérer quelques places supplémentaires et assurer une présence plus continue de trois clubs nationaux en Europe. »
Et pour la sélection nationale ?
« Ça va passer par une qualification pour la prochaine Coupe du Monde ! »
Qui devrait être plus aisée puisqu’on passe à 48 équipes...
« Exactement. »