François-Joseph 1er était-il le père du père de la nation tchécoslovaque ?

Tomáš Garrigue Masaryk et François-Joseph 1er

Grande figure de la Première République tchécoslovaque, Tomáš Garrigue Masaryk était-il le fils de François- Joseph 1er, empereur d’Autriche et roi de Bohême ? Très sérieuse, la question se pose depuis quelque temps déjà en République tchèque. Mais la question restera – ne serait-ce que dans l’immédiat - sans réponse. L’arrière-petite-fille du premier président tchécoslovaque a refusé que des tests ADN soient effectués.

Tomáš Garrigue Masaryk et François-Joseph 1er
Officiellement, Tomáš Garrigue Masaryk, qui a vu le jour le 7 mars 1850 à Hodonín, petite ville de Moravie du Sud alors province de l’Autriche-Hongrie, est né dans une famille pauvre – d’un père slovaque valet de ferme et d’une mère germanophone cuisinière dans une famille aisée.

Officieusement, celui qui est devenu en 1918 le premier président du nouvel Etat tchécoslovaque, aurait des origines plus nobles. Auteur d’un livre intitulé « Císařův prezident » (littéralement « Le président de l’empereur »), David Glockner prétend que Masaryk serait le fils de François-Joseph 1er, symbole de la dynastie des Habsbourg au XIXe siècle en Europe centrale. Selon sa version, sa mère travaillait dans un château de Hodonín qui appartenait aux Habsbourg lorsque le jeune François-Joseph y a passé quelques jours en 1849.

L’hypothèse selon laquelle Masaryk serait donc le fils de l’empereur est aujourd’hui reconnue par nombre d’historiens. Il n’existe toutefois aucune preuve établie, et c’est pourquoi une équipe de la Télévision tchèque avait annoncé, en fin d’année dernière, qu’elle entendait faire procéder à une analyse génétique. On en saurait très probablement plus aujourd’hui si Charlotta Kotíková, l’arrière-petite-fille de Masaryk, n’avait pas interdit ces tests, comme le regrette Magdelena Mikesková, directrice du Musée Tomáš Garrigue Masaryk à Rakovník (Bohême centrale) :

Charlotta Kotíková,  photo: ČT
« Les visiteurs du musée nous demandent très souvent ce qu’il en est vraiment. Pour nous, il serait donc préférable que la lumière soit faite sur cette question. Ce serait aussi une bonne chose du point de vue du positivisme de Masaryk, car lui-même tenait à ce que la vérité soit établie sur la base du savoir cognitif. C’est pourquoi il serait donc très intéressant d’avoir enfin la réponse. »

Avant de recevoir le courriel de refus de Charlotta Kotíková, qui vit aux Etats-Unis, le reporter de la Télévision tchèque avait rassemblé une quinzaine d’objets ayant appartenu à Masaryk et qui auraient permis de procéder aux tests ADN. Malgré cela, Marek Vácha, de l’Institut d’éthique de la faculté de médecine de l’Université Charles, affirme que la position de l’aïeule de Masaryk se justifie, notamment d’un point de vue éthique :

« Je comprends très bien les motivations de Charlotta Kotíková. Je pense que personne ne souhaite que de telles recherches concernent son propre arrière-grand-père. Si la famille ne souhaite pas lever le voile sur certains secrets, il convient de respecter cette position. Cela doit prévaloir sur l’intérêt des historiens ou de la société. »

Son avis est également partagé par Petr Pithart, avocat de formation et ancien Premier ministre tchèque dans les années 90 :

« J’espère que madame Kotíková a la même vision des choses que moi. Quel que soit le résultat des tests, cela détournerait l’attention du public de ce qui est le plus important, à savoir l’action et l’héritage de Masaryk. Je ne suis pas convaincu que savoir qui est le père de Masaryk soit essentiel. Ce qui l’est en revanche, c’est la manière dont Masaryk a lutté contre les institutions, contre le nationalisme, contre l’antisémitisme ou contre l’autoritarisme. Voilà ce qu’il faut retenir de sa vie. »

Tomáš Garrigue Masaryk | Photo: New York Public Library Archives
Le Code civil tchèque permet à un membre d’une famille, pour peu que celui-ci descende de la ligne directe, comme cela est le cas avec Charlotta Kotíková, d’interdire des recherches génétiques qui seraient menées à des fins scientifiques ou historiques. Un point législatif que respecte également le philosophe Jan Sokol, même s’il estime que le doute peut ici aussi faire foi dans une certaine mesure de vérité :

« La première chose qui vient à l’esprit est que ce n’est pas là une décision très sage. A partir du moment où la rumeur s’est répandue, plus personne ne peut s’empêcher de penser qu’il y a sans doute du vrai derrière tout cela, et un tel refus ne fait qu’appuyer cette idée. »

Quatre-vingt ans après la mort de Masaryk, grande figure avec Václav Havel de l’histoire moderne tchèque, les avis sont donc partagés sur la question du bien-fondé de telles analyses. Mais la majorité des historiens s’accordent aussi sur le fait que quelles que soient ses véritables origines, celles-ci ne modifieraient en rien le regard que les Tchèques portent sur leur premier président.