Gao Xingjian : « Je ne crois pas que l’économie de marché conduira la Chine vers une démocratisation »

Gao Xingjian, photo: Tomáš Vodňanský, ČRo

C’est grâce à la maison d’édition Academia et au traducteur Denis Molčanov que les lecteurs tchèques peuvent lire deux grands romans de l’écrivain français d’origine chinoise Gao Xingjian, prix Nobel de Littérature. En 2010 est sortie la traduction tchèque de son livre expérimental « La montagne de l’âme », puis, en 2012, la maison Academia a récidivé avec le roman « Le livre d’un homme seul ». A cette occasion, l’écrivain Gao Xingjian, qui est également dramaturge, metteur en scène, cinéaste et peintre, est venu en République tchèque pour participer à des rencontres avec les lecteurs et présenter son film « Silhouette sinon l’ombre ». Gao Xingjian a également répondu aux questions de Radio Prague. Voici la seconde partie de cet entretien :

Gao Xingjian,  photo: Tomáš Vodňanský,  ČRo
Dans « Le livre d’un homme seul » vous écrivez que les Chinois vivent pendant toute leur vie avec des masques qui se sont tellement soudés à leurs visages qu’ils ne peuvent plus les enlever. N’avez-vous pas la même impression aussi en Europe et dans tous les pays de la civilisation occidentale ?

« Beaucoup, beaucoup moins, parce qu’en Chine si l’on ne fait pas attention, on court à tout instant un grand risque. Le risque d’être emprisonné, d’être attaqué comme un contre-révolutionnaire et de perdre son travail. Tout peut arriver. A l’époque de Mao Zedong, on se dénonçait même dans les familles. D’ailleurs, cela n’arrivait pas seulement en Chine. Sous le régime totalitaire en Allemagne de l’Est, on se dénonçait également beaucoup. Normalement, c’est impensable, mais à l’époque c’était possible, parce que la terreur envahissait tout. C’était la faiblesse humaine. Et dans de tels cas, le masque est le seul moyen de se protéger parce qu’on ne peut pas fuir. On ne peut pas quitter le pays et alors on est obligé de mettre un masque. On se dénonçait constamment, même dans la vie privée, même en famille. Souvent, les enfants dénonçaient leurs parents, la femme dénonçait son mari et réciproquement. Cela arrivait. Dans les pays communiste à l’époque, c’était comme ça.

'Le livre d’un homme seul',  photo: Academia
En Chine, c’était un phénomène généralisé. Cette oppression politique envahit tout et on ne peut pas fuir. Par contre, en Occident on a beaucoup d’espace libre, parce que le pouvoir ne s’impose pas de cette façon. Il ne s’impose que par les élections. On dit oui ou non et on a beaucoup de liberté. Ce régime démocratique n’existe pas en Occident seulement depuis un siècle. A l’époque des Grecs, il y avait déjà les germes d’une certaine démocratie. Le régime démocratique ne s’est pas installé en un jour. Par exemple, sous la Renaissance, il y a eu aussi une certaine démocratie. Bien sûr, elle était pour les nobles et pas pour le peuple. Aujourd’hui donc, on est bien libre dans ce sens-là. »

Votre roman reflète, entre autres, la période de 1997 précédant la rétrocession de Hong-Kong à la Chine. Comment voyez-vous cet événement historique aujourd’hui ? Quelles en ont été les conséquences ?

« Ça ne se passe pas mal actuellement à Hong-Kong. J’y suis allé souvent, j’y ai souvent été invité. Mes livres y sont publiés, ce qui est totalement impossible sur le continent, où mes livres et même mon nom sont totalement interdits jusqu’à aujourd’hui. Hong-Kong reste au contraire très libre, même après la rétrocession. Je n’arrivais même pas à l’imaginer à l’époque. Heureusement, les habitants de Hong-Kong résistent très bien. Il y a encore une liberté de la presse et de publication, parce que les habitants ont déjà vécu dans le système démocratique instauré par les Anglais. Ils ont vécu un siècle dans la liberté. C’est pourquoi ils résistent et l’on s’y sent à l’aise. Tout récemment, au début de cette année, j’ai aussi été invité à Hong-Kong, où l’on a présenté ma pièce à grand spectacle inspirée de la mythologie que j’avais écrite il y a longtemps. C’est la première fois qu’elle a été montée, parce que c’est un très grand spectacle. Il y a au moins 70 personnages, dieux et saints. Voilà, c’est toujours agréable. J’ai toujours été bien accueilli à Hong-Kong. The Chinese University of Hong-Kong a même créé en collaboration avec l’Université d’Aix-en-Provence un centre de documentation et de recherche qui a réuni tous mes écrits et travaux. »

Aimeriez-vous retourner un jour en Chine ?

Gao Xingjian,  photo: Stanislav Soukup,  ČRo
« Je ne pense pas. Ce n’est pas qu’aujourd’hui que je dis ça. Je l’ai dit déjà il y a vingt ans. J’ai dit et publié que, de mon vivant, je ne pourrai pas revenir en Chine, parce que je connais tellement bien ce pays. Les observateurs occidentaux croyaient que l’économie de marché libre, le capitalisme, conduirait la Chine vers une démocratisation. Je ne le crois pas. Aujourd’hui, cela se confirme. Le régime reste là, la censure reste très stricte, au fond rien n’a changé. Mais la Chine a changé énormément. Il y a vraiment un essor économique incroyable. On ne peut même pas l’imaginer. Mais mes expériences de la Chine me font comprendre qu’elle ne changera pas comme le pensent les Occidentaux. La Chine a son histoire et sa tradition, et le pouvoir central reste toujours très fort. Historiquement aussi, c’est très différent de l’Europe. Ce régime est tellement fort qu’il contrôle tout. Je ne pense pas cela puisse changer de mon vivant. Moi qui suis écrivain et artiste, j’ai besoin de la liberté d’expression. C’est capital pour moi. Je ne pense pas que dans un proche avenir les intellectuels et artistes chinois puissent jouir de cette liberté. »