Gao Xingjian : La terreur de Mao Zedong n’aurait pas pu exister sans la faiblesse humaine
La maison d’édition Academia a déjà publié les traductions de deux grands romans de l’écrivain chinois Gao Xingjian, prix Nobel de littérature en 2000. En 2010, les lecteurs tchèques ont d’abord pu découvrir son livre expérimental « La montagne de l’âme » et cette année, les librairies tchèques proposent le roman « Le livre d’un homme seul », une œuvre qui marie réalité et fiction et est riche d’éléments autobiographiques. Parallèlement, la maison d’édition « Na konári » a publié « L’autre rive », un recueil de courtes pièces et de textes consacrés au théâtre. Gao Xingjian n’est pas resté insensible à cet intérêt des éditeurs et est récemment venu en République tchèque pour présenter ses œuvres. A cette occasion, il a accordé un entretien à Radio Prague.
Votre roman « Le livre d’un homme seul » avait donc déjà été écrit dans l’espoir que cette œuvre soit publiée ?
« Je ne pouvais pas imaginer de revenir un jour en Chine. J’ai déjà affronté cette vie en exil et j’ai écrit immédiatement une pièce qui s’appelle ‘La fuite’ pour mettre un point final sur tout qui était en rapport avec la Chine de mon origine. On m’a dit : ‘Quand sortirez-vous votre nouveau roman ?’ J’avais beaucoup de projets, y compris des projets de nouveaux romans. L’idée de ce roman m’est venue par hasard et je l’ai dictée sur magnétophone. Je dicte toujours sur magnétophone la première ébauche de mes écrits, y compris mes réflexions et mes essais. Je dicte donc le premier chapitre et du coup je me dis : ‘Ce n’est pas mal.’ Et je continue. C’était comme ça. Mais quand je me suis plongé vraiment dans le passé vécu en Chine, c’était insupportable. Je l’ai donc mis de côté. Puis j’ai encore continué à écrire quelques mois après et je l’ai mis de nouveau de côté. Mon éditeur m’a appelé au bout d’un an en me demandant : ‘Comment ça va, votre nouveau roman ?’ Alors j’ai repris le manuscrit et ça allait de mieux en mieux grâce peut-être à la distance avec la Chine. Et ce qui était surtout intéressant, c’était de passer de la Chine à la vie occidentale. Le livre enchaîne les deux expériences. »
L’élément autobiographique est donc plus présent dans « Le livre d’un homme seul » que dans « La montagne de l’âme » ?
« Evidemment, mais ce n’est pourtant pas un livre autobiographique, ce n’est pas ça. Ce n’est pas une autofiction. Bien sûr, il y a là-dedans beaucoup d’expériences que j’ai vécues, surtout les années folles de la Révolution culturelle en Chine. Jusqu’à aujourd’hui, il n’y a aucun livre qui ait vraiment montré cette terreur rouge, cette terreur communiste. On a publié des chiffres, on a publié des mémoires, mais il n’y a pas de vraies sensations humaines de l’époque. Il faut pourtant se demander comment cette terreur, ce fléau, a pu se produire ? C’est impensable. En Occident, on n’arrive pas à le croire. Et c’est pourquoi le roman est vraiment important pour moi. Il faut vraiment montrer comment cette terreur se répand. Je pense que c’est la faiblesse humaine et je l’ai montré. Ce n’est pas seulement la conséquence de dénonciations, mais cela arrive parce que tout le monde y participe. Tout le monde l’accepte même si on en est victime. Ça, c’est la faiblesse humaine, voilà. Si le nazisme ou bien ce fléau nommé Mao Zedong peuvent s’imposer, c’est parce qu’ils sont basés sur la faiblesse humaine. »Mais dans votre roman il y aussi beaucoup de fiction et beaucoup de rêve. Quel est le rapport entre la réalité, la fiction et le rêve dans votre création littéraire ?
« Dans mes écrits je mélange souvent mes souvenirs, la réalité et l’imagination parce que, dans le roman et aussi dans la poésie, il y a une autre notion du temps. Il y a toujours ‘l’éternel présent’ même si l’on raconte les faits du passé, même si l’on revient au passé. Le roman, c’est la narration. L’essentiel du roman pour moi, ce n’est pas la description, ce n’est pas façonner un personnage. Le plus important, la base même, est la narration. Mais on est toujours au présent. Dans ce cas-là, le futur, le passé et l’imagination importent peu. Ça se déroule dans un courant du temps qui est éternellement présent. Si l’on écrit de cette façon, on parvient à une autre expression romanesque, ce n’est pas la peine de définir et de retracer une histoire complète. Tout cela, impressions, imagination, visions, réflexions, deviennent possibles dans le roman. La forme romanesque peut comprendre même les essais philosophiques, la prose, la poésie, la narration et la fiction. Tout est possible dans le roman avec cette notion du temps. Une fois entré dans ce courant du langage, on ne se soucie plus si c’est du passé ou du présent. D’ailleurs, c’est très amusant dans l’écriture de juxtaposer différentes impressions dans ce courant du temps toujours présent. Et cela met encore en valeur l’art de la langue. »