« Je pensais que si je maîtrisais le tchèque, je comprendrais toute l’Europe de l’Est »
Sociologue lituanienne polyglotte ayant fait la majeure partie de ses études secondaires et supérieures en France, Giedrė Šabasevičiūtė a découvert Prague grâce à une offre d’emploi de chercheuse à l’Académie des sciences. Depuis 2015, elle partage son temps entre la République tchèque et l’Egypte, appréciant Prague pour sa « beauté modeste » et essayant, bon gré, mal gré, de s’approprier la langue – de façon informelle de préférence, par exemple dans le confort des salons de thé.
« Je m’appelle Giedrė Šabasevičiūtė et je vis à Prague depuis septembre 2015. Je suis sociologue à l’Académie des sciences tchèque, mon domaine de spécialité étant l’Egypte, plus précisément le monde littéraire et culturel égyptien contemporain. »
Quelle est votre langue de travail ?
« C’est essentiellement l’anglais et l’arabe, mais je travaille aussi beaucoup avec le Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales (CEDEJ) au Caire, l’équivalent du Centre français de recherche en sciences sociales (CEFRES) à Prague. Je suis chercheuse associée là-bas, donc je travaille aussi un peu le français.
Une vie entre Prague et Le Caire
Etes-vous amenée à voyager entre Prague et l’Egypte pour le travail ?
« Oui, je voyage souvent en Egypte. L’an dernier, par exemple, j’ai passé cinq mois en Egypte. C’est presque la moitié de mon temps… En quelque sorte, j’ai deux vies, deux appartements. J’ai tout en double : les habits, les chaussures, etc. Je vis entre les deux pays. »
Apprenez-vous maintenant le tchèque ?
« Quand je suis arrivée, j’étais très motivée pour apprendre le tchèque. J’ai déjà appris plusieurs langues dans ma vie, je parle plusieurs langues. J’étais très curieuse de découvrir cette langue très proche du polonais – car étant lituanienne, les Polonais sont nos voisins – et du russe. Je pensais donc que si je parvenais à comprendre le tchèque, à la maîtriser, je comprendrais toute l’Europe de l’Est. Les trois premiers mois, j’ai suivi les cours proposés par l’Académie des sciences. Mais j’ai fini par perdre ma motivation. Depuis, ma motivation revient, par périodes. Je reprends alors des cours, à des endroits différents et dans des contextes différents. Mais cela ne fonctionne pas vraiment pour moi, je crois que je n’ai pas vraiment trouvé les cours qui me conviennent. Donc je continue à apprendre, parfois seule, parfois avec des amis, parfois en essayant des nouveaux cours… Mais je crois que je n’ai pas vraiment trouvé de cours qui pourraient me convenir. »
Qu’est-ce qui vous bloque avec cette langue ?
« Les Européens de l’Est utilisent la Russie pour se définir par rapport aux autres »
« Je ne m’en étais pas rendu compte, mais au début, quand j’essayais de parler tchèque, j’avais en fait un accent russe. J’étais donc souvent prise pour une Russe, ce qui me fâchait, parce que pour les Lituaniens, les Tchèques sont plus proches des Russes, de par leur langue, qui est une langue slave. Alors que notre langue, le lituanien, n’est pas une langue slave. J’ai réfléchi : c’est intéressant comment nous, les Européens de l’Est, nous utilisons la Russie pour nous définir les uns par rapport aux autres, nous distinguer les uns des autres. Maintenant, je n’ai plus ce problème, même si je pense toujours avoir un accent russe lorsque je parle tchèque, mais ça ne me dérange plus beaucoup. »
« Je ne sais pas vraiment ce qui me bloque dans l’apprentissage du tchèque. Peut-être parce que, étant chercheuse, je travaille déjà beaucoup avec des livres. Je pense donc que je ne suis pas capable d’apprendre une langue en ayant recours à des livres. Il me faut une autre méthode d’apprentissage, moins scolaire. Soit par des gens, soit par des cours, mais des cours d’autres disciplines – dans la couture, le sport, etc. J’ai aussi essayé ça. Et puisque vous avez mentionné le mot ‘scolaire’, c’est vrai que je trouve les cours trop scolaires, ici. On veut apprendre aux étrangers à bien parler le tchèque dès le début. Et aussi à l’écrire. Mais moi, cette insistance sur la grammaire, sur le fait de parler correctement, ça m’empêche de m’approprier cette langue. Cette méthode, ça ne fonctionne pas pour moi. »
Il vous faudrait des cours plus informels.
« L’enseignement trop scolaire m’empêche de m’approprier la langue »
« Oui, et d’ailleurs, j’en ai suivis, mais malheureusement, ces cours n’existent plus. Il s’agissait d’un cours gratuit, que j’ai suivi pendant cinq mois et grâce auquel j’ai beaucoup avancé. Donné par un groupe intellectuel anarchiste engagé, pas des gens qui vont jeter des cocktails Molotov sur le Parlement, mais un groupe de rencontre et de réflexion lié à des mouvements informels politiques critiques. Et ils donnent des cours gratuitement, c’est un service rendu. Il y avait donc un cours de langue tchèque très bien fait, car ça touchait à des sujets qui m’intéressent. Étant donné que je suis sociologue, je m’intéresse à des sujets de société. On parlait de ces sujets-là, de l’actualité, etc. Ça marchait très bien pour moi, car cela me permettait de pénétrer plus facilement dans la langue.
Quel est votre mot tchèque préféré ?
« Il y a beaucoup de mots que j’aime dans la langue tchèque. Je les trouve tous très drôles en fait, pour des raisons culturelles, car comme le tchèque est proche du polonais, il y a beaucoup de mots qui appartiennent au registre argotique en lituanien. De l’argot ancien, de l’argot des villages, des générations d’avant même mes parents. Il y a donc pas mal de mots qui me font sourire et que j’aime bien. »
« J’aime bien le mot ‘zmrzlina’, la glace à la crème, parce que cela évoque des impressions. Et puis, en lituanien, ce n’est pas un gros mot, c’est juste un joli mot, qui désigne un visage barbouillé. Par exemple, lorsqu’un enfant a mangé une glace, il en a plein sur le visage. En lituanien, pour désigner cela, on a le mot ‘mur̃zinas ‘c’est un mot mignon qu’on utilise pour un enfant ou un petit animal lorsqu’il est sale. Pour moi, donc, il y a une connexion évidente entre ‘zmrzlina’ et ‘mur̃zinas’. »
Prague « belle et modeste, pas belle et fière comme Paris »
Que pensez-vous de la ville de Prague, d’un point de vue esthétique ? Quel y est votre endroit préféré ?
« Je pense que Prague est une très belle ville. Je pense même qu’elle est plus belle que Paris ! Je m’excuse pour la comparaison. C’est une très belle ville, mais qui n’a pas reçu trop d’attention ni de pompe, je pense. Elle est sous-estimée, mais c’est bien, car ainsi elle reste modeste : c’est une ville belle et modeste, pas une ville belle et fière, comme Paris. Au niveau architectural, c’est magnifique, j’adore me promener et je découvre sans cesse des bâtiments, des immeubles d’habitation normaux, mais d’une beauté incroyable. C’est également une ville très confortable à vivre, il y a beaucoup de parcs. Quant à mon quartier préféré, j’habite à Žižkov, donc je pense que je suis un peu attachée à ce quartier. Mais je ne sais pas si c’est mon quartier favori : j’aime aussi bien Vinohrady, là où nous nous trouvons maintenant. J’aime me promener de Žižkov à Vršovice en passant par Vinohrady, j’aime beaucoup ce trajet, pour moi c’est le plus beau pour les promenades. D’ailleurs, ça tombe bien, car il n’y a pas beaucoup de transports qui relient ces trois quartiers, donc on peut le faire à pied ! C’est un très beau trajet. »
Aujourd’hui, nous avons rendez-vous à Dobrá trafika, pourquoi avoir eu envie de découvrir cet endroit ?
« J’aime bien le concept des salons de thé à Prague, je ne trouve pas cela ailleurs. Ce sont des endroits où on peut faire des rencontres… sans forcément boire de l’alcool. Je consomme aussi de l’alcool, mais je pense que cela offre une certaine variété à la manière de se socialiser. J’apprécie leur côté ‘cozy’ ; leur créativité aussi. Chaque ‘čajovna’ a un style bien particulier ; les propriétaires laissent libre court à leur créativité. »
Avez-vous eu l’occasion de découvrir d’autres villes ou régions tchèques ?
« Pas beaucoup, même si je me dis que je devrais voyager plus souvent. J’ai voyagé du côté de Loket, et aussi à Ústí nad Labem, pour rendre visite à une collègue dans le village où elle habite. J’ai aussi visité Český ráj, le Paradis tchèque, j’ai beaucoup aimé y faire des promenades. »