« Une étrangère qui parle tchèque, c’est incroyable ! »
Née dans le nord de l’Italie, Camilla Rimoldi a étudié le français, le russe et le tchèque, et fait deux séjours Erasmus en République tchèque avant de s’installer à Prague. En 2021, elle a remporté le Prix Susanna Roth décerné aux jeunes traducteurs du tchèque. Au micro de Radio Prague International, elle parle de la difficulté de la traduction des dialogues en « mauvais anglais », mais aussi du plaisir du compliment reçu – même lorsqu’il est assorti d’une amende.
« Comme beaucoup d’Italiens, j’ai appris le français à l’école. Au collège, beaucoup d’Italiens peuvent choisir entre le français ou une autre activité extracurriculaire. Pour ma part, j’ai choisi le français, que j’ai donc étudié pendant trois ans au collège puis pendant cinq ans au lycée. Mais j’avoue que mon français était assez scolaire ; ce n’est que lorsque que j’ai rencontré, un peu par hasard, des Français, ici à Prague, que j’ai amélioré mon français et que mon vocabulaire s’est enrichi. »
« Apprendre le français à Prague, c’est alternatif ! »
C’est original, d’apprendre le français à Prague… Mais qu’est-ce qui vous a amenée ici ?
« C’est pour un séjour Erasmus que je suis venue à Prague en 2015. J’avais déjà fait un séjour Erasmus à Brno en 2012. Mon parcours est un peu particulier, car j’ai étudié le tchèque, à l’université ‘Ca’ Foscari’ de Venise, puis à l’université de Padoue. Après une année passée à Prague en Erasmus, je me suis dit que la vie ici était géniale et que j’aurais bien aimé rester. Cela m’a motivée à trouver un stage, qui s’est ensuite transformé en travail, et voilà : en 2022, je suis toujours ici ! »
Qu’est-ce qui vous a décidée à apprendre le tchèque ?
« A la base, j’avais choisi d’étudier le russe et le français à l’université. Mais les étudiants de français étaient trop nombreux, et tous rassemblés dans un même cours, quel que soit le niveau de langue des étudiants. Pour moi qui avais déjà appris le français pendant huit ans, c’était ennuyeux. Je me suis donc dit : ‘Pourquoi ne pas étudier une autre langue à la place du français ?’ On avait à l’époque une prof de littérature assez stricte, mais très intéressante, qui nous avait conseillé d’étudier une deuxième langue slave. C’est comme ça que je suis tombée sur le tchèque, complètement par hasard : je ne connaissais rien du tchèque, je savais seulement que Prague était la capitale de la République tchèque, mais je n’y avais jamais mis les pieds. »
« Le tchèque, une langue compliquée, mais très belle »
Ce qui n’est déjà pas mal, car beaucoup pensent toujours que Prague est la capitale de la Tchécoslovaquie… Mais une fois installée à Prague, avez-vous continué votre apprentissage du tchèque ?
« En Italie aussi, beaucoup pensent cela ! Quoi qu’il en soit, lors de mon séjour Erasmus à Prague, oui, j’ai suivi des cours de tchèque à l’université Charles, avec des étudiants du monde entier. Une fois installée ici, après avoir terminé mes études en Italie, j’ai également testé plusieurs écoles de langue et pris des cours de tchèque sur plusieurs mois. J’ai un niveau B2, j’essaye de me débrouiller, mais cela reste une langue compliquée – même si c’est une très belle langue, que j’aime beaucoup. »
Parlez-vous tchèque au quotidien ?
« Malheureusement, je n’ai actuellement pas vraiment l’occasion de le parler au quotidien, car je n’en ai besoin ni dans ma vie professionnelle, ni dans ma vie personnelle. Mais j’aimerais bien avoir plus d’amis tchèques pour pratiquer. »
Succession de consonnes et mot composé
Vous souvenez-vous du premier mot tchèque que vous avez appris ?
« Je ne me souviens pas du premier mot, mais je me souviens avoir appris, pendant les premières semaines, le mot ‘zmrzlina’, qui signifie ‘glace’. Je me souviens en avoir parlé à mes parents et à ma famille, et que tout le monde avait essayé de le prononcer, en s’étonnant du nombre de consonnes qui se suivaient dans ce mot ! »
Outre la glace, « zmrzlina », avez-vous des mots préférés en tchèque ?
« J’aime bien le mot ‘strašpytel’, car c’est un mot que j’utilise beaucoup depuis que j’ai adopté ma chienne. Car elle vient d’un refuge et est assez craintive. ‘Strašpytel’ se compose du mot ‘strach’ (la peur) et ‘pytel’ (le sac) ; un ‘sac de peur’, cela indique quelqu’un de très peureux. Je l’utilise donc beaucoup lorsque les enfants me demandent s’ils peuvent caresser ma chienne. »
Incroyable, mais… pas de pitié pour la tchécophone !
A vos débuts en République tchèque, comment s’est passée la confrontation entre votre connaissance scolaire du tchèque et le contact avec la vie réelle ?
« Ma compréhension orale du tchèque s’est beaucoup améliorée. Je n’ai pas vécu de malentendus particuliers ; en revanche – en 2016, je crois – j’ai reçu une amende dans le tram, car j’avais oublié de valider mon ticket. La contrôleuse était très surprise que je parle tchèque même si j’étais étrangère ; elle m’a quand même donné l’amende, mais elle a aussi appelé sa collègue en disant : ‘Viens voir, il y a une étrangère qui parle le tchèque, c’est incroyable !’ Du coup, finalement, je n’étais pas trop triste ni fâchée par l’amende, puisqu’elle m’avait fait ce compliment. »
Quel est votre groupe de musique tchèque préféré ?
« Quand j’habitais Brno, on m’a parlé du groupe Zrní, en me disant que c’était un peu la version tchèque du groupe islandais Sigur Rós. J’ai écouté et adoré ! Depuis, j’ai vu Zrní plusieurs fois en concert ; j’aime beaucoup. Ma chanson préférée est sans doute la plus connue, et c’est celle que j’ai écoutée en premier : ‘Hýkal’, c’est le nom d’un démon tchèque qui vit dans la forêt. Cela fait référence à une légende tchèque. »
Lauréate du Prix Susanna Roth 2021 pour l’Italie
Pour en revenir à la langue tchèque, vous êtes l’un des lauréats du Prix Susanna Roth 2021, un concours de traduction littéraire qui récompense les jeunes traducteurs du tchèque. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’y participer ?
« Je connaissais déjà ce concours grâce à mes études universitaires. Je dois avouer que j’avais déjà essayé d’y participer, mais j’avais toujours procrastiné et mes traductions n’étaient jamais prêtes pour la date limite. En 2021, avec le Covid, j’avais beaucoup plus de temps à disposition ; je me suis dit que j’avais vraiment envie de participer. »
Dialogues en italien simplifié
Pour l’édition 2021 du Prix Susanna Roth, le texte à traduire était un extrait du roman ‘URaNovA’ de Lenka Elbe (Argo, 2020), récompensé du prix Magnesia Litera du Premier roman 2021. Avez-vous rencontré des difficultés particulières pour cette traduction ?
« Oui, car l’extrait à traduire était l’incipit, le début du livre, qui contenait énormément de dialogues entre les protagonistes, qui arrivent d’Angleterre, et les habitants de Jáchymov qui les rencontrent au début de leur voyage, dont le chauffeur de taxi, par exemple. Les conversations se déroulent en anglais : l’écrivaine écrit les dialogues en tchèque, bien sûr, mais on est censé croire qu’ils parlent anglais – les protagonistes, avec un anglais parfait ; les Tchèques, avec beaucoup d’erreurs. Et traduire ça en italien n’était pas évident ! »
Quels choix de traduction avez-vous fait pour retranscrire cela en italien ?
« J’ai choisi d’utiliser un italien un peu simple, avec beaucoup d’infinitifs, pour donner l’idée d’une personne peu à l’aise avec cette langue, dont elle ne connaît que les bases. Mais j’ai trouvé intéressant d’en parler avec les autres lauréats, de nous confronter sur le sujet. »
Maisons d’édition et collection spéciale « Europe centrale »
Et vous vous en êtes apparemment bien sortie, puisque vous avez gagné le prix Susanna Roth 2021 pour l’Italie. Félicitations ! Dans le cadre de votre métier, vous faites également de la traduction, mais de la traduction technique, ce qui n’a pas grand-chose à voir avec la traduction littéraire… Mais aimeriez-vous un jour traduire de la littérature tchèque – ou française, d’ailleurs ?
« Oui, j’aimerais bien traduire de la littérature, évidemment… En Italie, il y a plusieurs maisons d’édition qui s’intéressent à la littérature d’Europe centrale, dont notamment Miraggi, qui a une collection dédiée à la littérature contemporaine tchèque [la collection NováVlna, NDLR]. Ils publient beaucoup d’écrivains et d’écrivaines tchèques et slovaques, et donc j’aimerais bien, un jour, collaborer avec eux. C’est un peu mon rêve. »