Gyumri, la ville des fantômes d’enfants

'Gyumri'

Arménie. 1988, année zéro. Le 7 décembre 1988, un tremblement de terre d’une magnitude de 6,9 sur l’échelle de Richter dévaste une partie du pays. Entre 25 et 30 000 personnes trouvent la mort. La ville de Gyumri est détruite à 60%. C’est là que la réalisatrice tchèque Jana Ševčíková a tourné pendant plusieurs années. Le résultat est un documentaire qui porte tout simplement le nom de la ville.

Près de vingt ans après, certains bâtiments sont encore en ruines, les cimetières sont toujours pleins d’immenses pierres tombales représentant des êtres chers disparus… Très souvent des enfants.

La documentariste Jana Ševčíková s’est pour la première fois rendue en Arménie en 2003 pour tourner un film sur une communauté d’artistes vivant dans les ruines de cette ville désertée par ses habitants. C’est par hasard qu’elle croise un jour dans la rue deux jeunes garçons, et qu’elle découvre à la faveur d’une discussion qu’ils portent tous deux le nom de leur frère décédé. Elle découvre alors qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé.

« Je suis fière de porter le même nom que ma soeur. »

« Si l’âme de mon frère est en moi, c’est comme si j’étais à côté de sa tombe et que je regardais son image. »

'Gyumri'
Tous ces enfants ont souvent grandi avec un sentiment de culpabilité, leurs parents leur faisant porter le poids de la comparaison avec leurs aînés partis trop tôt. Certains ont même mis en place un processus d’identification si fort que lorsque la réalisatrice les filme, face à la caméra, on a parfois l’impression que quelqu’un d’autre parle en eux.

Jana Ševčíková filme l’invisible et l’impalbable : les disparus, le deuil impossible, le lien filial brisé et péniblement rafistolé avec plus ou moins de réussite avec les enfants de l’après-tremblement de terre.

'Gyumri'
Un des moments les plus intrigants de ce documentaire, est la profonde conviction de nombreux parents que le tremblement de terre n’en était pas un. Tous disent avoir entendu une explosion après les secousses, évoquant des armes cachées sous terre. Impossibilité d’accepter l’inacceptable et les lois d’une nature hasardeuse ? Fantasme dû à la paranoïa d’une époque encore placée dans la crainte du régime communiste ? Réalité ? Le film ne donne pas de réponse, mais les soupçons surprennent.

Jana Ševčíková a réalisé ce film de façon si peu intrusive et pourtant touchant si juste qu’elle confronte le spectateur à l’après-catastrophe... Que deviennent les gens meurtris quand la télévision a cessé de s’intéresser à eux ? Il est aussi un douloureux aiguillon sur l’absence totale de suivi psychologique dans ces pays post-communistes qui ont subi des guerres ou des catastrophes naturelles.

Le documentaire Gyumri était le seul représentant tchèque à la dernière biennale de Venise.