Habsbourg en Bohême et idées reçues
Comme le précisent certains spécialistes de l’Europe centrale, les Habsbourg ont commis assez d’injustices pour ne pas en rajouter. Au tableau sombre légué par les historiographies françaises mais aussi tchèques, il convient de restituer l’autre face de le l’Empire austro-hongrois... A cent lieux des images convenues...
« A l’école (sous le communisme), on nous présentait toujours l’époque des Habsbourg sous le jour le plus sombre : les Jésuites poursuivaient et brûlaient les personnes ayant d’autres convictions religieuses que catholiques. Tout le monde devait renoncer à ses opinions. Je pense que la Contre-Réforme était, au début, vaiment difficile mais au final, ce mouvement a beaucoup fait pour changer l’Eglise catholique elle-même. Maintenant que je suis plus âgée, j’ai plus de recul. Je pense par exemple à l’église de Saint-Nicolas à Mala Strana. A l’école, on nous présentait ces églises monumentales comme le symbole de la domination catholique mais sur l’histoire de l’art en revanche, on n’a rien appris ! »
Karine appartient à cette jeune génération de Tchèques qui fréquentèrent l’école durant les dernières années du régime communiste. Elle nous livre ici l’historiographie officielle de l’époque sur les Habsbourg, sans nuances. Une histoire idéologique, qui a voulu faire des Habsbourg un symbole de germanisation en terres tchèques. Rien n’est plus éloigné de la réalité : à l’époque, les divisions étaient d’abord religieuses et le concept de nation n’était pas aussi fluide qu’aujourd’hui.
D’ailleurs, on le sait peu : lors de la révolte des Etats tchèques vers 1618-1619, ce sont des catholiques tchèques fidèles aux Habsbourg qui défenestrent des Allemands de Bohême protestants ! Cette idée d’une tentative de germanisation a aussi été soutenue par l’historiographie française du XIXème siècle. D’où cette image, encore vivante aujourd’hui, de l’Empire des Habsbourg comme « prison des peuples. »
Là encore l’image est bien trop simpliste : dépendants de l’aristocratie tchèque pour les contributions financières, les Habsbourg ont constamment adopter une politique de relatif compromis. La langue tchèque est d’ailleurs reconnue à égalité avec la langue allemande.
Certes, aux XVIIe et XVIIIe siècle, Prague est reléguée au second rang après Vienne dans l’Empire et on a pu parler d’une certaine provincialisation de la Bohême. Et pourtant, c’est bien par Prague que pénètre d’abord l’art baroque en Europe centrale, avant de resplendir ensuite à Vienne. Et en retour, la Bohême participe avec éclat à cette civilisation baroque. Agnès, une jeune Hongroise, exprime même une certaine nostalgie pour cette époque révolue.
« Ce que le mot Habsbourg évoque pour moi ? D’abord un grand Empire bien sûr. Cela me rappelle aussi un monde d’art et de beautés étonnantes, une culture très riche. Je ressens en même temps une certaine tristesse car je pense qu’une telle culture devrait perdurer. J’ai d’ailleurs une expérience personnelle à ce sujet car mon père, qui est le maire de ma ville d’origine (en Hongrie), a recontré l’un des descendants de la famille Habsbourg. ».
Et en effet, la politique de Contre-Réforme des Habsbourg n’a pas revêtu uniquement le visage de l’oppression. C’était aussi un mode de vie social, avec ses fêtes, ses processions, des repères auxquels se sont identifiés une grande partie des Tchèques de l’époque.
D’ailleurs, le succès des Jésuites dans l’entreprise de recatholicisation des terres tchèques est avéré à Prague mais dans le reste de la Bohême, le résultat fut plus mitigé, faute de visites pastorales.
Surtout, les divisions n’ont pas épargné les catholiques eux-mêmes, contribuant à les affaiblir face au camp protestant. Ainsi, au XVIIe siècle, le triomphe des Jésuites à Prague suscite l’inquiétude du cardinal Harrach, archevêque de Prague mais également chancelier de l’université de Prague, où les Jésuites détiennent les postes-clés.
Harrach trouvait, dans cette rivalité, le soutien des ordres qui avaient été écartés de l’Université au profit des Jésuites : dominicains de Saint-Gilles et fransiscains de Saint-Jacques. Harrach menaçait d’interdir l’université. On a même pu voir des affrontements de rue, les étudiants Jésuites venant injurier le cardinal quand il quittait le palais épiscopal !
A leur tour, les Jésuites tenteront d’interdire le séminaire diocésain fondé par le cardinal Harrach avec l’ordre des Pémontrés et le feront fermer à plusieurs reprises avec l’aide de Ferdinand II et Ferdinand III.A la fin du XVIIIe siècle, la priorité n’est plus à la catholicisation de la Bohême mais à la formation d’un Empire moderne et centralisé. Et c’est alors de la dynastie très catholique elle-même que proviennent certaines initiatives étonnantes. Ainsi concernant l’église Saint-Nicolas de la Vieille-Ville, dont nous écoutons le sacristain, Jindřich Kejř :
« Joseph II a fait fermer cette église et a transféré sa propriété à la ville de Prague. L’intérieur ayant été déménagé dans une autre église. L’église avait donc été fermée à la fin du XVIIIe siècle et il n’y avait plus d’office religieux. Par ailleurs, Joseph II avait également fait fermer le monastère, qui à l’époque, dépendait de l’église et appartenait aux Bénédictins. »
Construite et décorée par de grands noms du baroque triomphant, Kilian Ignac Dienzenhofer, Matyas Braun, l’église Saint-Nicolas passe, dans les années 1920, entre les mains de l’église hussite tchécoslovaque. Un symbole de la réussite très relative de la Contre-Réforme en Bohême à long terme...