Notre série estivale « Histoires de Prague » se poursuit avec un épisode consacré au Nouveau monde (Nový svět), un petit quartier pittoresque et curieusement peu touristique même s’il se trouve tout près du Château de Prague. Habité autrefois par les plus démunis, le Nouveau monde est devenu, sous le régime communiste, un lieu recherché par les artistes, écrivains et cinéastes. La vie artistique qui y est toujours présente, de même que le calme et l’atmosphère presque villageoise font tout le charme de ce quartier dont nous allons vous faire découvrir les secrets.
« Le Nouveau monde est un recoin un peu perdu de la capitale, peu fréquenté des touristes, avec des rues pavées et tortueuses et de jolies petites maisons. C’est un quartier privilégié des artistes : derrière moi se trouve une maison où habitait le peintre Jan Zrzavý. Il y a installé son premier atelier. C’est un quartier un peu mystérieux, avec des puits et passages secrets et plein d’autres curiosités : certaines maisons n’ont pas de numéro, mais vous en trouverez trois qui portent le numéro 6. L’une de ces maisons n’a pas de porte », raconte le guide Petr Ryska, auteur du projet Praha neznámá (Prague Inconnue ; cf. http://radio.cz/fr/rubrique/tourisme/prague-inconnue-a-la-decouverte-des-endroits-peu-touristiques-de-la-capitale-tcheque).
Au Rokh d'or
Le Nouveau monde est rattaché aux fortifications gothiques du Château de Prague. Il s’agit d’un faubourg de la « ville du château », appelé Hradčany et fondée officiellement au XIVe siècle. La guide pragoise Šárka Gandalovičová nous décrit le chemin qui mène vers la rue du Nouveau monde et le quartier du même nom :
« Lorsque vous vous trouvez devant Notre-Dame-de-Lorette, derrière vous se dresse un palais gigantesque, le Palais Černín, où siège le ministère des Affaires étrangères. Depuis ce palais, vous pouvez descendre la petite rue qui s’appelle Černínská et qui fait déjà partie du Nouveau monde. On y trouve des maisons ravissantes, petites pour la plupart. Le quartier était plutôt occupé par des gens pauvres qui, souvent, étaient au service du Château de Prague. A l’époque, les riches ne voulaient pas tellement y habiter car c’était près des remparts, et ils ne voulaient pas être exposés aux attaques ennemies. »
« C’est étonnant que dans le quartier du Nouveau monde, on trouve plusieurs maisons dont l’appellation contient l’adjectif ‘d’or’, mais cela évoque la pauvreté des habitants du quartier. La maison la plus célèbre du quartier est située au numéro1 de la rue Nový svět. Elle s’appelle Au Rokh d’or, en tchèque U Zlatého Noha, Rokh étant un oiseau mythique, issu des légendes persanes. Dans cette maison habitait Tycho Brahe. »
Invité à Prague par l’empereur Rodolphe II et enterré, en 1601, dans l’église Notre-Dame-de-Týn, sur la place de la Vieille-Ville, Tycho Brahe, a dû quitter la maison Au Rokh d’or, trop petite pour abriter tous les appareils de l’astronome, astrologue et alchimiste danois. L’empereur lui a alors procuré une autre demeure, plus spacieuse, située dans le quartier voisin Na Pohořelci, là où résidait et travaillait un autre scientifique célèbre, Johannes Kepler.
Le Petit Naples de Prague
Ravagé par deux grands incendies, survenus en 1420 et 1541, le quartier du Nouveau monde s’est développé du XVIe au XVIIIe siècle. De cette époque datent les maisons que l’on peut y admirer aujourd’hui : celles A l’Arbre, Au Gland, A la Cigogne ou A la Poire d’or... Nous l’avons dit : malgré ces appellations nobles, les gens y vivaient dans des conditions très modestes, notamment au début du XXe siècle, à l’époque de la Première république tchécoslovaque, comme nous le raconte Petr Ryska :
« Des familles entières vivaient dans de petites pièces de 6 à 8 m². Certaines n’avaient même pas de fenêtres. Dans une petite maison comme celle-ci, Au soleil d’or, étaient entassées dix ou douze personnes. S’il y avait un lit, il était réservé aux parents, tandis que les enfants dormaient par terre. Il y avait des cafards partout, de la moisissure aussi, car les maisonnettes étaient humides et sombres. »
« Dans la rue, il y avait des tables et des chaises, les voisins s’y rencontraient et discutaient. Quand on lavait le linge, on l’étendait dehors pour le faire sécher. Ce quartier avait une ambiance particulière, différente du reste de la capitale. Par ailleurs, dans l’entre-deux-guerres, on ne l’appelait pas Nový svět, le Nouveau monde, mais le Petit Naples de Prague. »
Les derniers réverbères à gaz de la capitale
Tout change après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le Nouveau monde devient le quartier favori des artistes, surtout de personnalités non-conformistes qui trouvent ici une sorte de refuge à l’époque de la Tchécoslovaquie communiste. Parmi les habitants à jamais liés à ce quartier de Prague figurent le peintre Jiří Anderle, les écrivains et amis Arnošt Lustig et Ota Pavel, le cinéaste Karel Kachyňa ou encore le plasticien et réalisateur surréaliste Jan Švankmajer. La guide Šárka Gandalovičová rappelle un autre inconditionnel du lieu :
« Miloš Kurovský était un peintre interdit d’exposition sous le régime communiste. Il habitait la rue du Nouveau monde et il y exposait ses tableaux, accrochés au mur en face de sa maison. Quand il faisait beau, il peignait en plein air, dans la rue. »
Petr Ryska ajoute :
« Entre 1978 et 1990, Milos Kurovský a habité la maison A l’agneau d’or. La fenêtre de son atelier était toujours ouverte. Un cahier y était apposé où les gens pouvaient commander un tableau. »
« Miloš Kurovský est mort il y a quelques années. Malheureusement, après la révolution de Velours, il a déménagé d’ici, je crois qu’il ne s’était pas mis d’accord avec le nouveau propriétaire a qui la maison a été restituée… »
« Je me souviens toujours de l’ambiance extraordinaire qu’avait ce quartier dans les années 1980. Car ici il y avait, jusqu’en 1985, les derniers lampadaires à gaz à Prague. Ils faisaient un bruit particulier… En hiver, quand il neigeait et que la lumière des lampadaires éclairait les tableaux de Kurovský derrière les fenêtres de sa maison, c’était vraiment très romantique… »
Après la chute du régime communiste, les maisons du quartier ont presque tous été rénovées. L’une d’entre elles, qui s’appelle U raka (A l’écrevisse - nom qui fait référence au ruisseau local Brusnice, jadis plein d’écrevisses) a été transformée en hôtel. Il s’agit plus précisément de la réplique d’une maison de campagne au toit de bardeaux, une maison emblématique du quartier du Nouveau monde depuis le XVIIIe siècle…
La série Histoires de Prague a été réalisée en collaboration avec l’historienne de l’art Šárka Gandalovičová, directrice de l’agence Czech Art Tours & Consulting (http://www.czech-art-tours.cz/).