Etape incontournable de tout séjour touristique dans la capitale tchèque, Josefov, le quartier juif de Prague, est un lieu chargé d’histoire et de mystère. Situé depuis le Moyen Âge sur la rive droite de la Vltava, le ghetto juif a considérablement changé au fil des siècles. Les monuments qui se sont conservés jusqu’à nos jours, notamment la synagogue Vieille-Nouvelle et le Vieux cimetière juif continuent à fasciner, de même que la légende du Golem liée à la cité juive de Prague. Un lieu à (re)découvrir…
L’histoire des Juifs de Prague
Josefov qui fait figure du plus petit quartier de Prague, est facilement accessible par la station de métro Staroměstská ou par la rue Pařížská. Bordé par un méandre de la Vltava, il se trouve en plein cœur du vieux Prague. Pour les visiteurs, il est parfois difficile de se faire une idée précise de ce qu’était la cité juive de Prague dont il n’existe aujourd’hui que des vestiges. On écoute la guide Šárka Gandalovičová :
« Beaucoup de touristes ont l’impression que Josefov fait partie de la Vieille-Ville, mais c’est un quartier à part, l’un des plus anciens quartiers à Prague, car une communauté juive importante s’y est installée aux XII et XIIIème siècles. »
« A cette époque, les Juifs vivaient encore relativement bien. Mais la situation change en 1215 dans toute l’Europe. Pendant le IVe concile du Latran, le pape Innocent III a déclaré les Juifs coupables de la mort de Jésus Christ et des esclaves du Saint-Empire germanique. Cela a changé leur statut social en Europe et ils ont été obligés de payer un impôt spécial aux souverains des pays qui les accueillait. Pour les souverains, c’était économiquement avantageux, mais c’était problématique du côté de la population majoritaire. »
« Au XIIIème siècle, les avenues principales du quartier de Josefov, qui sont orientées vers la Vieille-Ville ont été fermés par des portes. Les Juifs ont commencé à vivre séparément. Ils ont été discriminés, accusés de tous les maux, ils n’avaient pas les mêmes droits civiques et politiques que la population chrétienne et étaient victimes des pogroms. Cette situation a duré jusqu’à l’époque du règne de l’empereur Joseph II. »
Il a donc fallu attendre 1781 et la promulgation de l’Edit de tolérance par Joseph II pour que la population juive ne connaisse plus les persécutions des siècles passés. Cet Edit de tolérance garantissait non seulement la liberté de culte mais aussi le libre accès de tous les citoyens, quelle que soit leur confession, à la vie publique.
En 1850, lorsqu’elle a été rattachée au reste de Prague, la Ville juive (Židovské město) est devenue Josefov, en mémoire de l’empereur. Au tournant des XIXe et XXe siècles, presque tous les bâtiments du quartier ont été démolis et remplacés par de nouvelles maisons d’habitation. Šárka Gandalovičová :
« Il ne reste aucune trace des maisons anciennes où les Juifs étaient obligés d’habiter sans pouvoir déménager pendant des siècles. Les rues de la Ville juive étaient sinueuses, étroites, les maisons étaient à plusieurs étages. C’était un des prétextes invoqués pour justifier les travaux d’assainissement : on disait que les quartiers juifs manquaient d’hygiène. Mais c’était aussi l’intérêt des – aujourd’hui on dit développeurs immobiliers – qui étaient bien conscients du potentiel de ce quartier. »
Des boutiques de luxe à côté des synagogues
Le guide Jakub Šváb, initiateur du projet Imperial Kosher Tours, nous fait découvrir les vestiges de l’ancien quartier juif :
« Nous nous trouvons rue Pařížská (en français, rue de Paris, ndlr), c’est une longue artère, la plus luxueuse et représentative de la Vieille-Ville de Prague. Et nous voilà en face de la synagogue Vieille-Nouvelle, considérée comme la plus ancienne synagogue d’Europe centrale. La date exacte de sa construction demeure inconnue, on la situe entre 1270 et 1290. Les historiens misent plutôt sur l’année 1270, donc nous fêtons cette année son 750e anniversaire. »
A cause des inondations, le terrain a été élevé lors des travaux d’assainissement. Par conséquent, l’entrée dans la synagogue Vieille-Nouvelle se trouve deux mètres au-dessous du niveau de la rue Pařížská. D’où vient le nom singulier de la synagogue Vieille-Nouvelle ? Jakub Šváb :
« A l’origine, elle s’appelait Nouvelle, car la première synagogue de Josefov, la Vieille école, datait du XIIe siècle. Mais au XVIIIe siècle, on a construit une synagogue qui s’appelait Nouvelle, en allemand Neuschul. Alors pour faire la distinction entre elles, la synagogue du XIIIe siècle a été rebaptisée Vieille-Nouvelle. »
Aujourd’hui, vous ne trouverez à Josefov ni la Vieille, ni la Nouvelle synagogue, mais seulement celle qu’on appelle Vieille-Nouvelle : à l’emplacement de la Vieille école se trouve depuis les années 1860 la Synagogue espagnole, tandis que la Nouvelle synagogue a été démolie dans le cadre de l’assainissement du quartier.
Joyau de l’art gothique primitif, la synagogue Vieille-Nouvelle est toujours utilisée pour le culte, de même que la Synagogue jubilaire, construite, elle, dans le style pseudo-mauresque et située rue Jeruzalémská (rue de Jérusalem, ndlr), non loin de la Gare centrale.
Plusieurs autres synagogues sont à découvrir dans le quartier de Josefov, de même que l’ancienne mairie de la Ville juive.
« Sur le bâtiment de la mairie se trouve une horloge ordinaire, ainsi qu’une horloge avec des chiffres en hébreu et dont les aiguilles tournent de gauche à droite. »
L’étonnant Musée juif
L’Hôtel de ville a été construit au XVIe siècle par le maire Mordecai Maisel, dont la fortune a permis le développement du quartier. Une des synagogues de Josefov, celle qui servait à l’origine comme lieu de prière à sa famille, porte aujourd’hui son nom. A la synagogue Maisel, on peut en apprendre davantage sur l’histoire des Juifs en pays tchèques jusqu’à l’époque de Marie-Thérèse d’Autriche, tandis que la synagogue Pinkas a été transformée en mémorial de la Shoah. Vous y trouverez 80 000 noms manuscrits de Juifs tchèques victimes des nazis.
Vous pouvez poursuivre votre balade à Josefov en visitant la synagogue Klaus, l’unique synagogue baroque de Prague, ainsi qu’une salle de cérémonie néo-romane. Dans les deux bâtiments administrés par le Musée juif, sont exposés les objets et textes liturgiques utilisés pendant les fêtes juives.
Avec ses collections qui comptent 40 000 objets et 100 000 livres, le Musée juif de Prague, fondé en 1906, fait partie des principaux musées du genre au monde. Paradoxalement, les collections ont été enrichies pendant la Deuxième Guerre mondiale, comme l’explique Jakub Šváb :
« Les nazis ont amené à Prague l’équipement des synagogues et salles de prière de toute la Bohême. Ils voulaient que tout soit répertorié et catalogué. Pour faciliter cela, les autorités nazies ont étatisé le Musée juif. Comme la plupart des communautés juives du pays n’ont pas été renouvelées après l’Holocauste, on ne pouvait pas leur restituer ces collections. Il n’y avait personne qui pouvait les reprendre… Alors tout est resté au Musée juif qui a ainsi gagné en importance après la guerre. »
Rabi Löw et son Golem
La légende dit que dans le grenier de la synagogue Vieille-Nouvelle repose aujourd’hui encore le Golem, cet être d'argile fantastique animé grâce à l’inscription « du Nom de Dieu» sur son front et censé protéger les Juifs pragois des persécutions. L'histoire de ce héros mystique est ancienne et remonte à 3 000 ans, mais cette légende pragoise, la plus célèbre qui le concerne, se déroule à Prague sous l’empereur Rodolphe II. Šárka Gandalovičová raconte :
« Au XVIème siècle vivait à Prague un grand rabbin que les Juifs appelaient le Maharal de Prague (c’est l’abréviation du titre d’honneur ‘notre enseignant’ ou ‘notre seigneur’). Rabi Löw était un éminent érudit et pédagogue, venu à Prague de Pologne. Il enseignait le Talmud à la synagogue Klaus. Comme beaucoup de rabbins, Rabi Löw s’intéressait à la Kabbale. Plusieurs légendes sont liées à son nom, la plus connue est celle du Golem. »
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« C’est un être artificiel humanoïde fait d’argile, animé avec une formule secrète. Dans le film tchèque ‘Le boulanger de l’empereur, L’empereur du boulanger’, on parle d’une petite boule, le shem, qu’on plaçait dans le front du Golem. Mais la légende ancienne évoque un parchemin avec la formule secrète qui était placé sous la langue du Golem afin de l’animer. Sur son front était écrit le nom secret de Dieu et le mot emeth - vérité en hébreu. »
« Une fois animé, le Golem travaillait pour Rabi Löw. Néanmoins, il était nécessaire de l’endormir au début de Shabbat car le vendredi soir il commençait à être agressif et dangereux. Rabi Löw lui enlevait le parchemin de la bouche et effaçait la première lettre du mot ‘emeth’, cela donnait ‘meth’ qui en hébreu veut dire ‘mort’. La légende raconte qu’un jour, alors qu’il avait des soucis avec sa fille qui était malade, il a oublié de l’endormir. Et alors qu’il commençait l’office, le Golem a attaqué des gens et détruit des maisons du ghetto juif. Rabi Löw a donc interrompu son office et a endormi le Golem. Et puisque c’était pendant Shabbat, il s’est endormi définitivement. Plus tard, Rabi Löw a caché le corps du Golem dans le grenier de la synagogue de la Vieille-Nouvelle. La légende raconte que son corps s’y trouve encore. »
Les pierres tombales enchevêtrées du Vieux cimetière juif
Si le lieu de repos du Golem est toutefois voilé de mystère, nous savons avec certitude que son créateur, Rabi Löw, est enterré au Vieux cimetière juif, fondé au XVe siècle et comptant près de 12 000 pierres tombales. Šárka Gandalovičová :
« Le cimetière juif est extraordinaire, à la fois pour les historiens et l’histoire de l’art, car on y trouve ds monuments funéraires, des stèles, des tombes, qui datent du XVème jusqu’à la deuxième moitié du XVIIIème siècle. Nous pouvons voir comment changeaient les matières qui ont été utilisées pour les stèles : à l’époque du gothique tardif, c’était du grès, une matière sablonneuse, utilisée pour construire le pont Charles. Il était facile d’y creuser l’inscription rappelant le nom de défunt, la date du décès et ce que la personne avait fait pour la communauté. »
« Les stèles datant de l’époque de la Renaissance sont beaucoup plus petites et faites de marbre. Les pays tchèques avaient beaucoup de carrières de marbre, la plus connue se trouvait à Slivenec et le marbre local, rose voire rouge, était utilisé pour la construction de dalles, d’autels d’églises, de portails… Evidemment, les stèles de l’époque baroque sont encore très différentes. »
« De nombreux personnages illustres sont inhumés au Vieux cimetière juif de Prague : des chercheurs, des rabbins, de riches bourgeois, des mathématiciens, des savants, des érudits. On peut y trouver la tombe de Mordecai Maisel, ou encore celle du rabbin Avigdor Kara qui a survécu au pogrom particulièrement sanglant de 1389. Sa pierre tombale est la plus ancienne de tout le cimetière, elle date de 1439. Enfin, pour les touristes, c’est un endroit très romantique dont l’aspect change en fonction des saisons. »
Depuis 1787, plus aucun corps n’est inhumé au vieux cimetière. La communauté juive enterre alors, pendant 200 ans, ses membres dans le quartier de Žižkov, près de l’actuelle tour de télévision. En 1890 a été ouvert, dans ce même quartier, le Nouveau cimetière juif de Prague, où se trouve notamment la tombe de Franz Kafka.
La série Histoires de Prague a été réalisée en collaboration avec l’historienne de l’art Šárka Gandalovičová, directrice de l’agence Czech Art Tours & Consulting (http://www.czech-art-tours.cz/).