Il y a 60 ans, le plus grand accident minier de l’après-guerre en Tchéquie
Mercredi dernier, 60 ans se sont écoulés depuis le pire accident minier survenu sur le territoire tchèque depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le 7 juillet 1961, un incendie survenu dans la mine de Dukla, dans le bassin houiller d’Ostrava-Karviná, en Moravie-Silésie, coûte la vie à 108 mineurs. La tragédie a été commémorée au cimetière de la ville de Havířov, en présence des survivants et des familles des victimes.
« Mon frère travaillait lui aussi dans cette mine. Ce jour-là, en allant au travail, il a vu la moto de mon mari dans le garage. Quand il a appris qu’un incendie s’était déclaré dans la mine, il est venu chez moi et m’a dit : Láďa est resté en bas. Mon oncle qui était secouriste dans la mine m’a raconté plus tard que les gars sont morts asphyxiés. Ils ont terriblement souffert. A l’époque, j’étais enceinte et après avoir vécu cela, je voulais me faire avorter. Mais mes parents m’ont persuadée de garder mon enfant », se souvient Květa, une des 63 femmes qui ont perdu leurs époux dans cette catastrophe minière qui a fait également 107 orphelins. Six enfants, dont celui de Květa, sont nés après la mort tragique de leurs pères à Dukla.
Květa, ainsi que les autres témoins du drame, participent chaque année, en juillet, à une cérémonie de commémoration. Elle s’est tenue pour la première fois au cimetière de Havířov où se trouve désormais un mémorial en l’honneur des victimes, déplacé en raison de la transformation de l’ancienne mine de Dukla en une zone industrielle.
En effet, la mine a remonté son dernier charbon en janvier 2007. Au début des années 1960, le site tournait encore à plein régime et plus encore : la semaine de travail venait d’être raccourcie de six à cinq jours, mais les normes journalières d’extraction du charbon sont restées inchangées. Historien à l’Académie tchèque des Sciences, Martin Jemelka décrit le contexte de l’accident du 7 juillet 1961, expliquant d’abord quelle était sa cause directe :
« Une bande en caoutchouc sur une machine qui transportait du charbon a pris feu et a déclenché un incendie dévastateur. La machine a été mise en marche accidentellement, peut-être par un des mineurs qui avaient l’habitude de se raccourcir le chemin par-là, mais les enquêteurs ne sont pas parvenus à élucider les circonstances du drame. »
La négligence des autorités concernant les règles de sécurité a joué aussi un rôle important. Dans la galerie où les mineurs ont péri, le système de ventilation était inachevé, elle n’était pas suffisamment équipée de matériel anti-incendie et les transporteurs de charbon n’étaient pas sécurisés. »
« Nous parlons là d’une époque où la santé humaine n’était pas prioritaire. Ce qui était au premier plan, c’était les normes macro-économiques, ainsi que les impératifs idéologiques et politiques. »
Symboles de classe ouvrière, les mineurs étaient mis sur un piédestal par l’Etat communiste. Toutefois, cela n’a pas empêché les autorités d’alors de persécuter, dans le cadre des purges politiques des années 1950, de nombreux ingénieurs miniers expérimentés et de les remplacer par des personnes souvent moins compétentes, mais politiquement fiables. Certaines d’entre-elles ont été reconnues coupables de la tragédie de Dukla et poursuivies en justice.
Ces dernières années, nous assistons en République tchèque à un regain d’intérêt pour l’histoire de la principale région minière du pays, située en Haute-Silésie, à proximité de la Pologne. Si la saga familiale intitulée « Šikmý kostel » (L’Eglise penchée) de l’écrivaine Karin Lednická se range parmi les best-sellers du moment, un autre livre, « Hornické vdovy », qui réunit les confessions de huit veuves de mineurs, a été nommé en 2020 pour le prestigieux prix littéraire tchèque Magnesia Litera.
Mais surtout, on notera le succès indéniable de la mini-série télévisée « Dukla 61 » (« Déflagration » en français) un récit déchirant sur la tragédie tourné en 2018 par le réalisateur David Ondříček.
Directeur des opérations au sein de l’entreprise OKD qui regroupe les mines de la région d’Ostrava-Karviná, David Hájek a participé, cette semaine, à la commémoration des victimes de la catastrophe de Dukla. Selon lui, les conditions de travail et de sécurité ont été considérablement améliorées depuis la catastrophe de 1961. Toutefois, en milieu souterrain, le risque zéro n’existe pas :
« Depuis les années 1960, plusieurs équipes de scientifiques et de techniciens ont travaillé intensément pour améliorer les dispositifs de sécurité dans les mines. Les équipements et les techniques de l’époque sont incomparables avec les dispositifs que nous avons aujourd’hui, c’est comme si on comparait une voiture fabriquée en 1960 avec un modèle actuel. »
« Toutefois, le travail dans les mines reste dangereux, on y fait face aux phénomènes de la nature, on travaille dans un milieu très spécifique… Il faut réfléchir, savoir prévenir les risques. L’expérience des mineurs est cruciale. »
« Malgré tous les efforts, d’autres tragédies sont survenues dans nos mines après celles de Dukla. Heureusement, depuis deux ans et demi, nous n’avons eu aucun accident mortel dans les mines OKD. Nous espérons continuer ainsi jusqu’à la fin de l’exploitation houillère en Tchéquie. »