Les veuves de mineurs racontent leur vie
« Le mineur est un homme qui a toujours un pied dans la tombe, » dit avec résignation une des femmes qui racontent leur vie dans le livre de Kamila Hladká intitulé Hornické vdovy – Les veuves de mineurs. Ce livre réunit les souvenirs et les confessions de huit femmes dont les vies se sont déroulées dans un bassin minier aux confins de la Moravie et de la Silésie, dans une région dominée par l’industrie minière et métallurgique.
Victimes du métier de leurs maris
C’est Ostrava, ville surnommée « le cœur noir ou le cœur d’acier de la République » qui est le centre de cette région. Malgré un important recul de l’exploitation du charbon au cours de ces dernières décennies les panoramas d’Ostrava et d’autres villes et communes de la région sont encore aujourd’hui dominés par des tours métalliques surmontant les puits d’extraction et par des hauts-fourneaux. C’est dans ce pays noir, un pays voilé de fumée et couvert de poussière que vivait toute une population de mineurs. Les femmes dont les témoignages sont réunis dans le livre, font partie de ce peuple souterrain et elles sont, elles aussi, victimes du métier dangereux de leur mari. Kamila Hladká leur a demandé de lui raconter leur vie :
« Ce sont des entretiens avec des veuves de mineurs, nous nous sommes rencontrées, nous avons enregistré des entretiens, nous avons visité des endroits liés avec la vie de ces femmes. Je n'ose pas donc dire que je suis l'auteure de ce livre. Ce livre est une œuvre collective de moi-même et des veuves qui me racontaient leur vie. Une seule fois j'ai enregistré un entretien que j'ai transcrit pratiquement sans changement, par contre dans la majorité des cas nous avons parlé, nous avons enregistré de nombreux entretiens qui ont duré des heures et des heures. Et par moments, je saisissais les propos qui m'intriguaient et je les ai insérés dans la composition de mon texte. Dans le livre il n'y a pratiquement aucune parole qui ne serait pas dite par ces femmes. »
Une chronique d’accidents miniers
Les accidents graves ne manquent pas dans l’histoire du bassin minier d’Ostrava. Une véritable catastrophe frappe le 7 juillet 1961 la mine Dukla où 108 mineurs meurent asphyxiés. Un incendie qui éclate dans une galerie souterraine les empêche de remonter à la surface. Olga et Květa, deux femmes dont les récits figurent dans le livre, y perdent leur mari. Au moment de la catastrophe, le fils d’Olga n’a que dix semaines et après le choc provoqué par la tragédie sa mère n’arrive pas à s’occuper de lui. Elle n’arrive pas à se ressaisir et sombre dans une profonde apathie. Ce n’est qu’avec le temps qu’elle retrouve la force de vivre et aussi son amour maternel.
Des accidents graves se produisent aussi pendant les décennies suivantes et, malgré les mesures de sécurité sévères, ne manquent pas même de nos jours. Le dernier accident mortel cité dans le livre date de 2015. Cependant Kamila Hladká n’a pas écrit ce livre pour évoquer uniquement les conséquences des tragédies minières :
« L'ambition de mon livre n'était pas seulement de raconter des histoires tragiques et d'évoquer le destin énormément lourd des veuves de mineurs. Je désirais aussi beaucoup présenter le métier de mineur sous un autre jour, le débarrasser des idées préconçues sur les mineurs qui existent depuis longtemps en République tchèque. Je n’ai donc pas interrogé ces femmes pour savoir comment leurs maris étaient morts. Cela n'a jamais été un thème essentiel. Nous y sommes toujours parvenues par une évolution naturelle de nos entretiens. »
Un métier blâmé et exalté
La situation des mineurs dans la société et le prestige de leur métier ont évolué avec le temps. Considérés pendant longtemps comme des parias, ils ont ensuite été hissés par le régime communiste sur le piédestal réservé aux héros du travail. Sous le communisme, ils sont aussi relativement bien rémunérés par rapport aux autres travailleurs, ils sont exemptés du service militaire et l’Etat construit pour eux des cités HLM entières. Cependant, tout cela n’améliore pas radicalement leur réputation aux yeux des autres habitants qui ont toujours tendance à les considérer comme des personnes en marge de la société, partageant leur existence entre l’abîme des mines et les débits de boisson. Et après la chute du régime communiste et la fermeture de nombreuses mines, ils deviennent un groupe qui génère de nombreux problèmes sociaux et qui cherche péniblement sa nouvelle place dans la société. Kamila Hladká désire corriger ce regard subjectif et injuste porté sur les mineurs, leurs vies et leur rôle dans la société :
« Il est vrai que je porte cette région dans mon cœur à cause de mes relations avec les veuves de mineurs et mes rencontres avec elles, mais en rédigeant ce livre j’ai cherché à empêcher que ces liens humains qui se nouaient entre moi et ces femmes, n’influencent ce livre. Je ne voulais pas les embellir, je ne voulais pas les avantager. La confiance mutuelle s'est établie entre nous. Pratiquement dans tous les cas il y a eu des moments où la femme que j'interrogeais, m'a dit : 'Je voulais te raconter ça, mais il ne faut pas le citer dans le livre.' J’ai beaucoup apprécié cela et bien sûr je n'ai jamais abusé de leur confiance. »
Huit destins de femmes
On dirait que les récits réunis dans ce livre sont des variations sur un seul thème, sur un coup de sort qui a brisé l’espoir de bonheur. Et pourtant chacune de ces femmes y apporte quelque chose qui n’est qu’à elle, qui est très personnel parce qu’il n’y a pas de vies humaines identiques. Les protagonistes de ces récits diffèrent par leurs tempéraments et par leurs âges. La plus âgée d’entre elles, Olga, a 80 ans, la plus jeune, Ivana, n’en a que 38 et leurs vies et leurs expériences sont donc forcément bien différentes. Malgré ces différences Kamila Hladká trouve pourtant aussi des traits qui leur sont communs :
« Ce qu'elles ont en commun, c'est l'humilité et une capacité énorme de se réjouir de petites choses, de se réjouir de la quotidienneté. Et puis aussi elles ont un sens pratique hors du commun dont elles font preuve à la suite de ces tragédies minières, ainsi qu'un esprit d'union et une certaine franchise. »
Une douleur inexprimable par les mots
De nombreuses photos d’archives familiales accompagnent les récits de ces huit veuves et ajoutent un trait important à leurs confessions. Le lecteur voit les visages de ces femmes et de leurs maris à différentes étapes de leurs vies, il voit aussi les visages de leurs enfants dont certains n’ont jamais vu leur père. Leurs récits prennent ainsi un aspect concret et troublant. Mais ce qui échappe forcément au lecteur, ce qu’il ne peut pas sentir ni entendre, ce sont les moments de silence qui ont ponctué les confessions de ces veuves et dans lesquels l’auteure sentait, comme elle le dit, « une douleur inexprimable par les mots ».
La nature de ces femmes de mineurs ne leur permet pas cependant de se plaindre. Et malgré leurs plaies intérieures qui tardent à se refermer, l’auteure décèle chez elles aussi une force intérieure qui les anime et les aide à vivre :
« Les femmes que j'ai rencontrées, ont accepté leur sort et n'ont pas renoncé à organiser la suite de leur vie. Il y en a qui se sont remariées, qui ont eu encore des enfants, certaines ont trouvé un nouveau partenaire, mais ce n'est pas une règle. Ainsi la vie a continué. Elles ont accepté la réalité, elles la perçoivent comme quelque chose de triste mais elles ont la capacité d'aller de l'avant. »