Impossible de définir le vainqueur des dernières élections communales

Andrej Babiš et Adriana Krnáčová, photo: ČTK

Les élections communales qui ont eu lieu en Tchéquie les 10 et 11 octobre derniers et qui ont apporté plus d’une surprise ont été largement commentées dans la presse de ces derniers jours. Les extraits retenus mettent en premier lieu en relief le succès de certaines nouvelles formations que les électeurs ont privilégié au détriment des partis politiques établis. Fidèle à sa tradition, la conférence Forum 2000 qui s’est tenue cette semaine à Prague a accueilli de nombreuses personnalités mondiales. Nous vous en dirons plus dans cette revue de presse qui s’interroge également sur les raisons du refus par le gouvernement de la disposition sur l’adoption d’enfants par des couples homosexuels.

Andrej Babiš et Adriana Krnáčová,  photo: ČTK
Selon Marek Švehla de l’hebdomadaire Respekt, les élections communales ont apporté toute une série de résultats sensationnels. Il entend par là le succès dans un certain nombre de municipalités de mouvements et d’initiatives instigués par des militants locaux, civiques, environnementaux, anti-corruption ou autres qui, dans le passé, n’avaient aucune chance de s’imposer. Cette tendance s’est manifestée en particulier dans certains arrondissements de Prague qui étaient auparavant des bastions de la droite. A noter aussi, selon Marek Švehla, l’échec à l’échelle nationale des formations avec des accents racistes et xénophobes, ainsi que celui des communistes. « Combien d’années passerons-nous dans le Babišistan » ? C’est ainsi que s’intitule un commentaire publié sur le site echo24.cz, dans lequel Lenka Zlámalová analyse les résultats de ces élections communales. Voici ce que nous pouvons y lire :

« Contrairement à d’autres élections, les élections communales et sénatoriales donnent un large espace à toute sorte d’interprétations de leurs résultats. Toutefois, force est de constater que le grand vainqueur des dernières élections communales, c’est le mouvement de protestation ANO dirigé par le milliardaire Andrej Babiš, ministre des Finances, tandis que les perdants, ce sont les partis démocratiques standards, idéologiquement établis... Si étaient organisées aujourd’hui des élections législatives, cette victoire serait probablement plus convaincante encore. Il y a plusieurs explications à cela, mais deux choses sont certaines. D’un côté, une grande partie de la société a été convaincu par le récit proposé par Babiš sur un ‘pays pillé et mal géré’ et, d’un autre côté, on voit également une grande partie des élites prêter l’oreille à ce discours : universitaires, banquiers, experts en marketing, élite culturelle, journalistes. »

Lenka Zlámalová estime que si le ‘babišisme’, un peu à l’image d’un système clientéliste, est à ce point infiltré dans la société, c’est justement grâce à l’appui des élites qui se font leaders d’opinion. Plus loin, l’auteur écrit :

« Le ‘babišisme’ pousse le pays dangereusement vers les Balkans. Andrej Babiš ne cache pas qu’il veut remporter les prochaines élections législatives de façon marquante de façon à pouvoir se passer de partenaires de coalition, à l’instar de Viktor Orban en Hongrie ou de Robert Fico en Slovaquie... »

Jusqu’à quand le ‘babišisme’ peut-il durer ? A cette question hypothétique, l’auteur de l’article répond :

« Des ruptures historiques se déroulent d’habitude tous les vingt ans. Espérons que l’ère de l’oligarchie apolitique ne sera pas aussi longue et qu’au moins une partie des élites se rendra compte du côté préjudiciable de la concentration des pouvoirs... Ceci dépendra dans une grande mesure de l’état de l’économie. Sinon, il faut attendre que les gens comprennent qu’une oligarchie apolitique n’a jamais conduit un pays à la prospérité et à un haut niveau de civilisation. Aucun Etat n’y est arrivé sans les partis politiques traditionnels. »

S’agissant de la mairie de Prague, c’est là aussi le mouvement ANO qui a gagné le plus de voix. Dans les pages du quotidien Lidové noviny, Petr Pešek écrit à ce sujet :

« Prague a connu une révolution électorale sur de multiples aspects. D’abord, le mouvement ANO l’a emporté sur le parti TOP 09 qui avait décroché l’an passé le poste de maire de Prague à un autre parti de droite, l’ODS, lequel avait régné jusqu’alors sur Prague sans discontinuité depuis la chute du régime communiste. Or, il est désormais possible de voir à la tête de la mairie de Prague une femme (Andrea Krnáčová, tête de liste du mouvement ANO) ce qui est du jamais vu depuis l’investiture du premier maire pragois, Václav Jaroš de Kapí Hora, en 1537. Un autre trait marquant, c’est la composition hétéroclite de la municipalité de Prague qui compte sept formations et partis différents. »

L’émiettement des voix est un aussi aspect important de ces élections communales pour le politologue Tomáš Lebeda. Dans un entretien pour le site respekt.cz il affirme en même temps que les résultats des élections communales ne sont pas un indicateur pertinent de la politique nationale, en raison de leur caractère local et spécifique.

La Tchéquie – une République du désintérêt ?

Forum 2000,  photo: Freddy Valverde
La conférence Forum 2000, dont le père fondateur était l’ex-président tchèque, Václav Havel, et dont la 18ème édition s’est tenue cette semaine à Prague, a été le sujet d’un texte publié dans l’édition de ce mardi du quotidien Lidové noviny. Son auteur, Kateřina Šafaříková, y écrit :

« La conférence Forum 2000 a un désavantage : elle représente en quelque sorte une rencontre où les convaincus prêchent des convaincus. D’un côté on voit assis des défenseurs des droits de l’homme et des victimes de régimes répressifs et d’un autre côté les professionnels issus des organisations à but non lucratif et du corps diplomatique. Ces personnes qui s’intéressent à la problématique des droits de sont des académiciens, étudiants, journalistes. Ils discutent, ils échangent des informations, mais une confrontation d’idées n’y a pas lieu. »

L’auteur rappelle que le Forum 2000 a été effectivement créée pour que se rencontrent des personnes disposant d’une expérience historique similaire en lien avec la chute de régimes autoritaires, avec la priorité donnée aux échanges en termes d’idées. Ce n’est pas mauvais en soi, ce qui est en revanche selon elle à dénoncer, c’est l’absence de représentants politiques tchèques à cette conférence qui a accueilli des personnalités marquantes, comme le professeur d’histoire russe Andreï Zubov, l’ex-prisonnier de Poutine Mikhail Khodorkovski ou le « Havel lituanien », Vytaustas Landsbergis. En conclusion, Kateřina Šafaříková écrit :

« Prague ne représente aucunement un carrefour d’idées et de personnalités globales. Et pourtant, lorsqu’elle est un jour le théâtre d’un événement à portée mondiale, accueillant d’intéressantes personnalités internationales, la représentation politique tchèque l’ignore hautainement. C’est étrange. Nous somme une véritable République du désintérêt."

Non gouvernemental à l’adoption d’enfants par les couples en partenariat enregistré

Photo: Archiv Kurt Löwenstein Education Center,  CC BY 2.0 Generic
Dans un commentaire publié sur le site ihned.cz, Petr Honzejk a récemment réagi à la décision du gouvernement de ne pas donner son aval à la possibilité d’adoption d’enfants par les couples homosexuels vivant en partenariat enregistré. Pour lui, cela illustrerait le fait que la Tchéquie demeure en proie à des préjugés et à des idées préconçues, comme l’a déclaré la médiatrice de la République Anna Šabatová. L’auteur de l’article remarque :

« Les adversaires de cette mesure n’ont pas assez d’arguments rationaux pour étayer leur refus. Et pourtant, dans beaucoup de pays, comme la Belgique, le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, la Slovénie et d’autres, une pareille norme législative dont le but consiste à protéger l’enfant existe. En Tchéquie, par exemple, on ne saurait aujourd’hui exclure qu’en cas de décès du parent biologique qui vit en partenariat enregistré, l’enfant se retrouve finalement dans un foyer d’enfants. C’est une éventualité qui semble pourtant possible dans un pays qui voit le plus grand nombre d’enfants à l’échelle de l’Union européenne placés dans ces foyers. »

Selon Petr Honzejk, une telle approche est compréhensible chez les chrétiens-démocrates qui, par définition, défendent les valeurs de la famille traditionnelle. Un concept d’ailleurs qui n’existe plus depuis longtemps en Tchéquie, un pays qui a un taux de divorce très élevé, autour de 50%. Mais les raisons du refus de l’adoption d’enfants par les couples homosexuels ne sont pas forcément d’ordre religieux. L’auteur de l’article estime qu’il s’agit plutôt du reflet d’une certaine xénophobie communautaire.