Václav Klaus : nouvelle controverse au sujet du « politiquement correct »
Les positions du président Václav Klaus sont souvent jugées, dans le pays comme à l’étranger, comme controversées. Il s’agit notamment de celles à l’égard de l’Union européenne, l’euroscepticisme ouvertement revendiqué du chef de l’Etat tchèque étant notoirement connu. Ces jours-ci, il a de nouveau défrayé la chronique en prenant la défense d’un candidat au poste de haut fonctionnaire d’Etat, dont le passé et les opinions politiques semblent pour le moins discutables et en s’en prenant à tout un éventail de personnalités de la vie intellectuelle et culturelle tchèque.
Cédant à la pression médiatique et, surtout, à celle de ses partenaires au sein de la coalition gouvernementale dont son parti, Affaires publiques (VV), est membre, a côté de l’ODS et de TOP 09, le ministre Josef Dobeš a renoncé à son projet pour ne faire finalement de Bátora que l’un de ses conseillers.
Mais cette histoire ne s’est pas arrêtée là et a connu une évolution assez inattendue, quand le président Václav Klaus est intervenu en faveur du candidat concerné, en publiant dans une des récentes éditions du quotidien Právo et sur le site Novinky.cz un article lui déclarant ses sympathies et son soutien. Son texte a été dès lors diffusé sur Internet et repris, en versions intégrale ou raccourcie, par une grande partie des journaux nationaux.
« Les journalistes tchèques, de concert avec certains hommes politiques, même de droite, ont provoqué l’affaire Bátora, ce qui m’inquiète profondément. Je croyais vivre dans une société démocratique, mais les signes qui prouvent qu’il n’en est rien, n’ont de cesse de se multiplier », peut-on lire dans le texte écrit par Václav Klaus.
Plus loin, le président tchèque déplore le fait « qu’un certain groupe de gens qui a acquis une position incroyablement forte dans le médias, se réserve le droit de dire ce qui est politiquement correct »… D’après lui, il s’agit d’un phénomène mondial, européen et tchèque et celui qui essaie d’y résister ferait l’objet « d’une avalanche d’attaques qui le mettrait en marge de la société, qui lui ferait le cas échéant perdre son emploi… »
Václav Klaus prétend ne pas connaître Ladislav Bátora personnellement, mais il écrit pourtant :
« Je sais que c’est un homme de droite authentique, profondément conservateur, qui a l’habitude de participer à différentes actions publiques dénonçant les choses que je critique également. C’est en premier lieu l’Union européenne, car il estime probablement, tout comme moi, que l’Union européenne, surtout dans sa forme actuelle, représente une fausse construction et qu’il faut le dire à haute voix. J’oserais même dire que cet avis est proche de ce que pense la majorité de l’opinion tchèque (et peut-être, aussi, les gens dans toute l’Europe). Sauf que cela ne répond pas aux opinions des stratèges du ‘politiquement correct’ et de tous ceux qui veulent être à tout prix en bons termes avec Bruxelles. »
Finalement, il avoue partager une grande partie des idées de Bátora qui se définit, lui, dans sa propre biographie, comme quelqu’un qui rejette, pour ne citer que quelques exemples, « l’européisme, le genderisme, le multiculturalisme, le féminisme, l’œucuménisme, la discrimination positive, l’homosexualisme, la Vérité et l’Amour érigés en principes à partir de la tanière morale et spirituelle mal aérée de Havel, l’environnementalisme, le Tribunal international… ». Václav Klaus pour sa part précise :
« Tout comme lui, je privilégie la tradition au prétendu progrès… moi aussi, je vois une menace dans ce que Jean-Jacques Rousseau a semé dans la société, je crains que les slogans de la société civile dissimulent beaucoup d’idées et d’actes peu démocratiques. »Les nombreux articles et réactions qui ont vu le jour par la suite, replacent la légitimation des positions de Ladislav Bátora par le chef de l’Etat dans un contexte plus large. Dans le quotidien économique Hospodářské noviny, Jindřich Šídlo rappelle ce que représentait le Parti national, dont Bátora, « une figure digne de mépris et potentiellement dangereuse », avait été le candidat :
« C’était un parti fascisant qui n’a pas hésité a démentir l’existence de l’holocauste rom, à l’endroit même de l’ancien camp de concentration de Lety et qui a organisé en 2007, le jour anniversaire de la Nuit de cristal, un défilé à travers le quartier juif de Prague. »
« Une affaire Hilsner à la tchèque ». Le politologue et journaliste Jiří Pehe s’interroge sur le titre que le président Klaus a utilisé pour son article. L’affaire Hilsner, rappelons-le, a été une campagne nationaliste et antisémite déclenchée sous l’Empire austro-hongrois contre Leopold Hilsner, d’origine juive, accusé d’assassinat rituel sur une jeune fille. C’est Tomáš Garrigue Masaryk qui à l’époque a pris vigoureusement sa défense. Dans son blog, Jiří Pehe écrit :« Le président Klaus prend, lui, la défense de Bátora, qui se range par son profil et par ses actes aux côtés de ceux qui ont déclenché la chasse à Hilsner. C’est une insulte à tous les gens honnêtes, y compris Masaryk, tout comme aux victimes juives de l’antisémitisme. »
Le professeur d’université Tomáš Halík, prêtre catholique, l’un de ceux qui ont été, une nouvelle fois d’ailleurs, la cible de critiques de Václav Klaus, a commenté son discours, dans une récente émission télévisée :
« Il s’agit d’un discours, d’une rhétorique, qui a été utilisée par le fascisme tchèque sous la deuxième république tchécoslovaque et j’ai l’impression que cet esprit a maintenant tendance a émerger de nouveau, dans certains milieux. Je dois dire que si ce discours plaît au président de la république, alors moi, j’en suis profondément inquiété. »
Dans l’édition de ce mercredi du journal Hospodářské noviny, déjà cité, Jan Macháček fait remarquer que la manière dont Václav Klaus défend Ladislav Bátora, pousse le chef de l’Etat vers un extrémisme politique très prononcé. Et de s’interroger si, en fin de compte, ce fait n’apporte pas à la société un certain profit. Il explique :
« Il semble qu’à force de se positionner de plus en plus à droite, Václav Klaus et, dans une certaine mesure aussi l’ODS, réduisent l’espace qui pourrait être occupé par un vrai parti d’extrême droite. On sait que les partis d’extrême droite existent dans plusieurs pays postcommunistes – en Hongrie, en Slovaquie et ailleurs. Il faut donc se demander si, le président ne nous rend pas service, sans même s’en rendre compte“.
En ce qui concerne le Premier ministre Petr Nečas, il s’est clairement opposé à la candidature de Ladislav Bátora au poste de premier adjoint au Ministère de l’Education nationale, compte tenu de ses précédents liens avec le Parti national. « Une telle nomination à caractère politique au sein du gouvernement que je dirige, est pour moi inadmissible, » a-t-il déclaré. Pas de commentaire en revanche de sa part, au sujet du texte de Václav Klaus qui serait, selon le porte-parole du gouvernement, ni plus ni moins, qu’« une opinion personnelle du Président. » Roman Joch, conseiller du Premier ministre pour les droits de l’homme, estime pour sa part que « l’attitude d’une grande partie des médias à l’égard de M. Bátora était injuste, du fait que rien que son ancienne candidature aux couleurs du Parti national a suffi pour le faire condamner. »A en croire le dernier sondage de l’agence CVVM, le président Václav Klaus serait la première autorité de confiance en République tchèque.