Jan Spata et ses documentaires qui vont droit au coeur
Rarement, on croise quelqu'un d'aussi enthousiaste, autant emballé par son travail et par la vie tout court que Jan Spata - le classique du documentaire tchèque décédé il y a un peu plus d'une semaine à Prague. La vie et le travail - pour lui, les deux notions étaient comme deux vases communicants. Il l'a dit lui-même :
Né le 25 octobre 1932 à Nachod, dans l'est du pays, dans la famille d'un petit commerçant, Jan Spata a commencé son parcours comme caméraman reporter à la fin des années 1950. Après avoir collaboré aux nombreux films documentaires du réalisateur Evald Schorm, une autre personnalité imminente du cinéma national, il commence à tourner ses propres films. J'emprunte les mots de son ami Vladimir Bystrov : « Ce pas qu'il a franchi, ce fut un retour aux origines du cinéma : caméraman, il est devenu réalisateur de ses films et, en tant que réalisateur, il s'est engagé, lui-même, comme caméraman. Il n'avait plus besoin de personne pour se faire conseiller ou diriger. Ou plutôt, il ne voulait personne à ses côtés. »
Un solitaire ? Au contraire : si les films de Jan Spata tournent autour d'un thème phare, c'est bien le rapport à autrui. Il scrute l'être humain dans des situations diverses, dans des étapes différentes de l'existence, toujours soucieux de trouver le côté précieux de son caractère : il place sa caméra devant des femmes âgées vivant dans les villages les plus reculés de la campagne tchèque ou dans des foyers, devant des outsiders mis au ban de la société, des athlètes, des musiciens reconnus, aussi passionnés pour leur vocation que lui. Jan Spata :
« Quand je pouvais, j'essayais de traiter des sujets qui étaient en rapport avec ce que je vivais, ce qui me faisait souffrir, ce que je désirais, ce qui m'excitait. Si on me proposait un autre thème, je m'efforçais d'y glisser ce qui était important pour ma vie. »Parmi les sujets qui ont intrigué Jan Spata durant les quarante ans de sa carrière : la vieillesse, le mystère de la mort, le don de la foi. Son disciple et collaborateur Martin Stoll raconte :
« Pour lui, le film était une thérapie. Il incitait le spectateur à vivre modestement, à chercher le bonheur, mais en même temps, il comblait ses propres déficits. Par exemple, les gens le pensaient profondément croyant, mais il ne l'était pas et il en a souffert. Mais la spiritualité lui était extrêmement proche, d'où ses films sur les religieuses, sur l'Irlande... Un autre exemple : dans les années 1990, il a eu une crise cardiaque et s'est fait opérer du coeur. Six mois après, il est revenu à l'hôpital, pour y tourner un film, 'Le coeur à la main', qui lui a permis, là encore, de surmonter la maladie. Bien sûr que c'est un film sur les chirurgiens, la vie et la mort, mais la manière dont il l'a tourné... J'y ai assisté : dans la salle d'opération, il s'est même allongé pour filmer les lumières vue d'en bas. »
C'est avec charme, humour et toujours avec une étincelle dans les yeux que Jan Spata, encore en pleine forme, a commenté les extraits de ces plus de 100 films d'auteur dans l'ultime documentaire de sa vie, intitulé « L'amour que je quitte » et dont il fut lui-même l'acteur principal. C'était en 1998 et le film, en deux parties, est diffusé durant ce mois d'août par la Télévision tchèque. Plusieurs dizaines de personnalités publiques et culturelles ont assisté à son enterrement, ce mercredi, à Prague.