Jan Svankmajer s'offre, pour son 70e anniversaire, une rétrospective au Château de Prague
Aujourd'hui, je vous invite à la rétrospective de deux personnalités insolites de l'art tchèque : des plasticiens et animateurs Eva et Jan Svankmajer... Direction la Salle de manège du Château de Prague...
Aujourd'hui, je vous invite à la rétrospective de deux personnalités insolites de l'art tchèque : des plasticiens et animateurs Eva et Jan Svankmajer... Direction la Salle de manège du Château de Prague...
« Food », Jidlo, est le titre d'une remarquable exposition du surréaliste Jan Svankmajer et de son épouse Eva. Elle regroupe leurs travaux créés à partir des années 1950 jusqu'à aujourd'hui. Une oeuvre gigantesque, ludique, inédite sur la scène artistique du pays : des films d'animation, peintures, céramique, dessins, collages, marionnettes, objets bizarres que le visiteur est invité à identifier en tactile... Tout cela correspond au thème phare de l'exposition, qui est la nourriture. Bénédicte Ramade, historienne de l'art et journaliste à France Culture l'a visitée...
"Ses films sont... terribles, mais en même temps extrêmement drôles ! C'est tout un univers totalement délirant. En plus, le thème principal est la nourriture, donc c'est quelque chose que l'on fait tous les jours et ça change vraiment la façon de manger. Les héros (et encore, je ne sais pas s'ils sont très héroïques) sont toujours malmenés par la nourriture et on ne peut pas s'empêcher d'y penser après... C'est peut-être une exposition à voir en milieu d'après-midi plus qu'avant de déjeuner ou de dîner... Les peintures et les sculptures de Svankmajer sont aussi diaboliques. Bref, ça remue physiquement. On est totalement ailleurs, on n'est plus au Château de Prague. On est dans un fantasme qui est agréable, parce qu'il est fort."
Bénédicte Ramade est, d'ailleurs, une passionné de cinéma d'animation tchèque en général.
"C'est extrêmement intéressant, mais malheureusement très difficile à voir en France. Certaines choses ont été diffusées dans les années 1970. Les Français qui ont aujourd'hui 30 ans ont pu voir ces films, mais sans savoir que c'était tchèque. Il y a quand même des trésors d'imagination, d'invention ! Je crois qu'aujourd'hui, on redécouvre un peu ça dans les Académies des Beaux-Arts, dans le traitement de la vidéo, où l'on délaisse un peu la technique numérique pour revenir à des principes d'animation qui seraient plus 'tchèques', historiques, proches des films de Jiri Trnka ou de Jiri Brdecka... On revient à cette essence de l'animation qui serait 'une vraie' animation : des collages, des décors peints, des mixages entre des poupées et des marionnettes..."
Primés, entre autres, au festival du cinéma d'animation d'Annecy, les films surréalistes de Svankmajer sont des mélanges de dessins, d'objets animés, du jeu des acteurs et des marionnettes, où le rêve et la réalité se côtoient. Les histoires de la vie quotidienne, présentées à sa façon, vont jusqu'à l'absurde : qu'il s'agisse des clients d'un restaurant très affamés qui se mettent à consommer tout ce qui est à portée de main, les couverts, les assiettes, leurs vêtements, pour, finalement, se ruer l'un sur l'autre... ou des héros des Conspirateurs du délice, tous victimes d'une certaine anomalie sexuelle... ou encore d'Otesanek, le denier long métrage de Svankmajer, un conte populaire tchèque modernisé sur l'amour fou d'une mère pour son enfant qui n'est, en réalité, qu'un bout de bois. Le cinéaste français Bertrand Schmitt, qui partage sa vie entre Paris et Prague, voue un véritable culte à Jan Svankmajer...
"Ce qui me fascine chez lui, c'est le glissement qu'il opère entre la réalité et l'imaginaire. C'est intéressant, parce que ça rend des choses beaucoup plus instables. Le premier film que j'ai vu de lui et qui m'a énormément marqué, c'est le Alice, le premier long métrage qu'il a fait, parce que c'était une relecture totalement nouvelle du livre de Lewis Carroll... Les Conspirateurs du délice, par exemple, est pour moi, au niveau de l'humour, le film le plus drôle que j'ai jamais vu. C'est un film universel, sans paroles, que les gens peuvent tout à fait comprendre. Il reprend à la fois presque le cinéma burlesque, mais en même temps avec un côté effrayant. Il y a aussi un apport de son travail plastique, parce qu'il a fait venir le tactilisme à l'intérieur des films. J'aurais peut-être une petite faiblesse pour ce film... En France, les gens connaissent très peu de son oeuvre. Ses films sont montrés dans des festivals, il y a une très grande estime pour son travail, mais de la part de professionnels ou de journalistes. Mais son oeuvre n'a jamais été distribué en France. J'espère que ça va changer..."
Il y a quelques années, Bertrand Schmitt et son collègue Michel Leclerc ont signé le documentaire Les chimères des Svankmajer, sur la vie et l'oeuvre des deux artistes. Quelle est l'histoire de leur amitié ?
"J. Svankmajer est membre du Groupe surréaliste de Prague depuis 1970 et moi, je suis membre du groupe surréaliste de Paris depuis 1990... Après la Révolution de velours, les surréalistes tchèques sont venus à Paris, pour organiser une petite exposition. L'oeuvre de Svankmajer a été une grande révélation pour moi. Je lui ai proposé, sans trop y croire, de tourner un documentaire sur lui. Au bout de trois ans, il m'a invité à Prague. Je suis donc venu en 1996, avec Michel Leclerc, et nous avons tourné ce film. Souvent, on ne voit J. Svankmajer que comme un cinéaste. Nous, nous avons voulu le montrer comme un être prolifique et protéiforme, à la fois cinéaste et artiste plastique, mais surtout en tant que militant surréaliste qui ne fait pas de distinction entre les différentes parties de son oeuvre. On voulait également créer un dialogue avec sa femme Eva."
Bertrand Schmitt et Michel Leclerc ne sont pas les seuls cinéastes étrangers à avoir eu la possibilité de travailler avec Jan Svankmajer.
"Jan Svankmajer est très fidèle, il travaille avec les mêmes gens depuis des années. Mais à côté de ce noyau dur, il y a effectivement la possibilité, à des personnes qui en font la demande, qui s'intéressent à son oeuvre, de venir et de travailler avec lui. Il y a par exemple deux jeunes Américains qui sont venus travailler sur Otesanek, à des postes assez importants : l'un a été script et l'autre Otesanek - il s'est retrouvé à l'intérieur de la grande poupée qui a été construite pour ce film... Il est resté en République tchèque et tourne ses propres films."
"Je ne fais pas de l'art, mais dans ma création, je donne libre cours à mon désir. C'est tout", dit Jan Svankmajer. Bien qu'il ait fêté, le 4 septembre, ses 70 ans, il refuse de fermer la porte derrière son enfance et ses rêves. Ils lui ont suggéré le sujet de son prochain film d'horreur "Le délire", inspiré de l'univers d'Edgar Allan Poe et du marquis De Sade. La rétrospective des Svankmajer est à voir au Château de Prague, jusqu'au 19 septembre.