Jan Vladislav, poète, essayiste et témoin de son temps

Jan Vladislav, photo: Slovník české literatury

« Journal ouvert » - tel est le titre que le poète Jan Vladislav a donné aux textes rédigés au cours d’une des périodes les plus difficiles de sa vie. Cet ouvrage de plus de 1 000 pages reflète la situation du poète entre 1977, où il a signé la Charte 77, et son départ en exil en 1981. En signant la Charte 77, document appelant les autorités tchécoslovaques à respecter les droits de l’Homme, Jan Vladislav s’est exposé à la colère des dirigeants communistes qui ont fini par le chasser du pays. Il n’a jamais considéré ce journal comme définitif. Pendant trente ans, Jan Vladislav a continué à développer et à enrichir les textes de ce journal devenu un témoignage détaillé sur la vie spirituelle de son auteur et sur toute une époque. « Journal ouvert » de Jan Vladislav est sorti aux éditions Torst quatre ans après la mort du poète.

Jan Šulc,  photo: ČT24
Nous pouvons deviner quelle impulsion a poussé Jan Vladislav en 1977 à rédiger son Journal. Son éditeur pragois Jan Šulc estime que l’écrivain sentait le besoin de refléter par écrit une situation que le régime totalitaire rendait de plus en plus difficile :

« Je pense qu’il voyait que les conditions devenaient plus dures et que la pression exercée par le régime sur lui et ses amis prenait un nouvel aspect, ce qui entraînait des situations dramatiques et inénarrables à son entourage parce que cette pression ne concernait pas tout le monde. Et je crois que cela a provoqué chez lui le besoin de conserver son témoignage et de raconter ce qu’il vivait et ce que vivait la communauté des gens autour de lui. »

Né en 1923 en Slovaquie dans la famille d’un employé de poste tchèque, Jan Vladislav, de son propre nom Ladislav Bambásek, s’installe en Bohême dès 1939. Après la guerre, il étudie la littérature comparée avec le professeur Václav Černý à l’Université Charles de Prague mais aussi pendant un an à l’Université de Grenoble. Il commence à écrire, publie deux recueils de poésie, mais son envol littéraire est brisé par le régime communiste qui s’installe au pouvoir en 1948. La majorité des exemplaires de son troisième recueil est mis au pilon et Jan Vladislav ne peut plus dès lors déployer son talent littéraire que dans les livres pour enfants et dans les traductions d’œuvres d’autres auteurs. C’est ainsi qu’il traduit et fait découvrir aux lecteurs tchèques notamment les beautés de la poésie classique, moderne et populaire, tandis que sa propre création reste inédite. La libéralisation politique des années 1960 et le Printemps de Prague en 1968 lui permettent de faire connaître ses œuvres et de s’engager dans la vie publique.

Jan Vladislav,  photo: Slovník české literatury
Chassé de ses fonctions après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les armées du Pacte de Varsovie, Jan Vladislav est contraint de se retirer de la vie publique et ne peut plus publier ses écrits qu’en samizdat, ce qui lui attire les foudres des autorités communistes. En 1981, obligé de quitter sa patrie, il s’installe pour deux décennies en France, où il poursuit son œuvre et dirige un séminaire sur la culture non officielle dans les pays situés derrière le Rideau de fer. Jan Vladislav revient en Tchéquie en 2003 et meurt à Prague en 2009. C’est l’éditeur Jan Šulc qui se lance dans la publication de son journal :

« Je pense que ce journal est la partie centrale, fondamentale de l’œuvre de Jan Vladislav. Il a écrit son Journal ouvert en le concevant comme un livre indépendant qui relate une période de quatre ans, mais la portée de cet ouvrage est beaucoup plus large, car l’auteur se réfère aux événements du passé et commente aussi la littérature du monde. Après avoir rédigé ce texte, Jan Vladislav a continué avec Le journal parisien de la période 1981-89. Ce sont donc deux livres qu’il a composés sans jamais avoir achevé ni l’un ni l’autre. Il a continué à écrire son journal même après 1989 et pratiquement jusqu’à sa mort, mais ces textes ont le caractère d’un journal classique dont la forme est structurée d’une autre façon. L’auteur ne marie plus des passages essayistes, des souvenirs, des textes poétiques et des fragments de la réalité crue. Ces deux livres représentent donc l’essentiel de ses journaux. »

'Journal ouvert',  photo: Torst
Jan Šulc rappelle aussi l’existence des essais encore inédits de Jan Vladislav. Il estime que l’importance de ces essais dans l’ensemble de l’œuvre de Jan Vladislav est comparable à celle de ses journaux. D’ailleurs, de nombreux passages de ces journaux sont en réalité de petits essais, car les formes du journal et de l’essai dans la création littéraire de Jan Vladislav se confondent. A la différence d’autres auteurs de ce genre littéraire, Jan Vladislav ne dévoile pas sa vie intérieure et ne se livre pas entièrement à son lecteur. L’éditeur remarque qu’il ne nous a pas donné un journal intime. Jan Šulc :

« Je pense que sa principale intention était de se porter témoin. Il dévoile sa vie intime beaucoup moins que ne le font par exemple Jan Zábrana et Ivan Diviš, auteurs qui confient à leurs journaux leurs blessures intérieures et les doutes sur le sens de leur travail. Jan Vladislav est beaucoup plus témoin, il est inspiré dans ce sens par Jiří Kolář et sa conception du journal. Jiří Kolář ne figure pratiquement pas dans ses journaux en tant que personne. Il n’évoque que les gens autour de lui, l’époque et les conditions dans lesquelles ils vivent. Il cherche à saisir l’ensemble, la vie de la communauté et ne désire pas confier au lecteur ses élans personnels. (…) Tandis que Jan Zábrana écrivait un véritable journal, notait ce qui lui arrivait le jour même et ne revenait plus dessus, les notes dans le journal de Jan Vladislav servaient de point de départ pour un travail littéraire postérieur, travail qui était celui d’un essayiste. »

Son journal était ouvert et le sens de cette ouverture pourrait se résumer aux paroles ‘Tant que je vis, j’écris’. Pour lui, il était donc beaucoup plus important d’écrire ce journal que de le publier.

De temps à autre, Jan Vladislav a même publié certains chapitres ou quelques fragments de ces journaux dans des revues littéraires tchèques à l’étranger, et même en Tchéquie après 1989. Il n’en finissait pas de revoir, de corriger et de retravailler ses textes, des textes qui étaient pour lui une matière toujours vivante, toujours en évolution, toujours inachevée. Ce qui a été décisif pour l’éditeur lors de la préparation du Journal ouvert à la publication, ce ne sont donc pas les textes originaux rédigés par Jan Vladislav entre 1977 et 1981, mais plutôt leurs dernières versions, revues, corrigées et développées par leur auteur jusqu’à la fin de ses jours. Pour Jan Šulc, qui voulait respecter les vœux de l’auteur, la publication de ce genre de textes a donc été une affaire assez compliquée :

« Il m’en a souvent parlé et j’ai donc compris comment ce journal avait pris naissance, dans quelles conditions il avait été écrit et ce que Jan Vladislav avait à l’esprit lorsqu’il le rédigeait. Il désirait que le journal soit publié sous la forme d’un livre achevé et complet. Il ne voulait pas que ce soit un cahier de travail avec une multitude de notes de bas de page, et ce bien qu’il s’agisse quand même d’une œuvre inachevée. Et je pense que, au fond, il ne pouvait pas et ne voulait pas achever ce travail. Je dirais que ce journal lui donnait un espace de vie. Jan Vladislav n’était pas de ces auteurs qui mettent un point final à leur livre et le remettent à l’éditeur. Son journal était ouvert et le sens de cette ouverture pourrait se résumer aux paroles ‘Tant que je vis, j’écris’. Pour lui, il était donc beaucoup plus important d’écrire ce journal que de le publier. Au fond, la publication n’était pas ce qu’il recherchait. »