Jiří Přibáň : « la démocratie en Europe a besoin de conflit politique »

Jiří Přibáň, photo: ČT

Deux jours de débats intitulés « Les dialogues européens de Václav Havel » se sont tenus récemment dans la capitale tchèque. Radio Prague vous a informé sur cet événement et a également proposé une interview avec le chercheur bulgare Ivan Krastev. Ces « dialogues européens » ont eu la vertu d’aborder un grand nombre de sujets en présence de conférenciers enthousiasmants. Parmi eux, Jiří Přibáň, juriste et sociologue tchèque, enseignant à l’Université de Cardiff en Grande Bretagne. Radio Prague vous propose de découvrir ses idées sur l’état actuel de l’intégration européenne.

Jiří Přibáň,  photo: ČT
Dans le cadre de la conférence à Prague, Jiří Přibáň est intervenu dans une table ronde sur « l’Europe et les limites de la société civile : du consensus à la politique des conflits ». Il résume son idée de base en s’en prenant à l’UE comme une machine à consensus :

« La politique européenne craint le conflit et essaie de trouver un compromis ou un accord à tout prix. Mais le compromis n’est pas toujours la meilleure solution. Par conséquent, les objections à ces pratiques sont d’emblée délégitimées comme antieuropéennes et donc mauvaises. A mon sens, l’incapacité à entrer en conflit politique nuit à l’idée européenne. »

Le conflit politique permettrait donc de dépasser une crise de légitimité dont l’UE souffre actuellement. Car les éléments qui servaient à la légitimer peuvent aussi bien la délégitimer. Jiří Přibáň le démontre sur l’exemple de la politique économique européenne :

« Souvenons-nous des arguments en faveur de la monnaie commune, ils étaient presque existentiels. Le président français comme le chancelier allemand poussaient pour l’euro sinon l’Europe risquait une prochaine guerre. Mais nous nous rendons compte que l’euro n’a pas été un instrument pour assurer la paix en Europe. Au contraire, il a surtout entamé une guerre intra-générationnelle et interétatique au sein de la zone euro où nous avons aujourd’hui 50% de chômeurs parmi les jeunes en Espagne et une baisse de 25% du PIB grec. Mais les partisans du projet européen refusent de lire cela comme un conflit interne découlant du caractère contradictoire de l’UE. »

Ainsi, face à la montée des formations d’extrême-droite, seul le conflit politique permettrait d’asseoir des procédures démocratiques plus légitimes. Jiří Přibáň souligne que si l’Union continue à agir comme un ensemble technocratique, qui, en apparence, ne donne pas de place aux voix discordantes, elle n’arrivera jamais à créer une démocratie à son échelle :

Photo: Commission européenne
« C’est le risque de la dépolitisation de l’UE. Dans une démocratie, nous ne devons pas tant craindre le populisme car nous y retrouvons y une tension incessante entre un certain niveau du populisme et l’expertise technocratique. Cela fait partie de la démocratie, mais le problème est que l’Union européenne fonctionne comme un élément dépolitisant et se légitime par une rationalité économique et une gestion bureaucratique efficace dans les domaines de l’éducation etc. Mais sans soutien des citoyens européens, le projet ne peut plus se poursuivre. Cela pousse à la démocratisation de l’Union, laquelle implique, qu’à côté du consensus politique, nous développons également une forme de dissidence. »

Pour Jiří Přibáň, l’Union européenne se trouve au bord de la désintégration qui pourrait aboutir à la remise en cause des principes fondateurs de l’intégration. Face à ce risque, il appelle à ce que l’on engage un débat conflictuel au sein de l’Union pour intégrer dans un processus démocratique les idées remettant en cause la construction de l’Europe dans sa forme actuelle.