Jiří Stejskal : « Le Festival Ji.hlava fait la jonction avec le monde occidental et avec les grands festivals documentaires »

Festival du film documentaire Ji.hlava

Caméraman et réalisateur, Jiří Stejskal, assiste régulièrement au Festival du film documentaire Ji.hlava depuis une dizaine d’années. A l’occasion de la 25e édition de ce festival, qui s’est tenue fin octobre, Jiří Stejskal a parlé au micro de Radio Prague International de l’importance de cet événement pour le public et les professionnels, du boom du film documentaire en Europe centrale et orientale, et de la valeur des métiers techniques du cinéma.

Jiří Stejskal, bonjour. Vous êtes un habitué du Festival du film documentaire qui a lieu à Jihlava depuis 25 ans. En 2014, votre film « Jáma » faisait d’ailleurs partie de la programmation dans la catégorie « Česká radost ». Selon vous, en quoi ce festival est-il important ?

Jiří Stejskal | Photo: ČT24

« Ce festival est très important aussi bien pour le public tchèque que pour les créateurs de ces films. Ils y ont une opportunité unique de pouvoir se concentrer uniquement sur des documentaires pendant une période d’une semaine. De plus, l’unicité de ce festival réside en grande partie dans le fait qu’il se déroule à Jihlava, car tous les festivals qui ont lieu à Prague sont noyés dans la quantité d’événements en tous genres qui s’y déroulent. »

« Par ailleurs, je pense que c’est un festival très important pour l’Europe centrale et l’Europe de l’Est, car il fait la jonction avec le monde occidental et avec le monde des grands festivals de cinéma documentaire, et il permet l’interpénétration, l’imprégnation des cultures. De la même façon que la République tchèque se trouve au cœur de l’Europe, ce festival se trouve à une place centrale parmi les festivals du monde. Enfin, ce festival constitue l’une des rares occasions de voir des films documentaires, des vrais documentaires, en ce sens qu’il s’agit de films, et non de journalisme ni de divertissement bon marché comme ce que l’on peut voir dans les Cinéstar et autres complexes cinématographiques du genre. »

Pourquoi n’y a-t-il pas plus de films documentaires à l’affiche des cinémas ?

Festival du film documentaire Ji.hlava | Photo: Radek Lavička,  MFDF Jihlava

« La véritable question, c’est : ‘est-ce que l’on souhaite offrir des découvertes au public, ou est-ce qu’on souhaite faire de l’argent ?’ Or la programmation des grands cinémas vise à faire des chiffres ; tant que le film fait des entrées, on le laisse à l’affiche. Il semble donc difficile aux films documentaires d’y trouver leur place. A moins qu’ils ne traitent d’un thème à résonance particulière auprès du public, il semble difficile d’attirer des spectateurs. Et donc, pour voir ces films documentaires, il faut se rendre à des festivals, ou encore dans des petits cinémas ou des cinéclubs, ou bien avoir recours à des plateformes comme Kinedok (https://kinedok.net/cz) ou Docalliance (https://dafilms.cz). Mais force est de constater que ce n’est pas de films documentaires que la société en général est demandeuse, ce qui explique pourquoi ces films ne sont pas plus mis en valeur. »

Mais pourquoi les films documentaires n’attirent-ils pas plus les spectateurs ? Pour ma part, j’ai l’impression que pour beaucoup, film documentaire est systématiquement synonyme de film déprimant. Pourtant, ce n’est pas forcément le cas, n’est-ce pas ?

Festival du film documentaire Ji.hlava | Photo: Jan Hromádko,  MFDF Jihlava

« La majorité des gens ont en tête un style précis de film documentaire, dans lequel une personne parle de problèmes donnés, et donc il s’agit de quelque chose de triste. Mais pour moi, un film en tant que média doit utiliser l’art du film pour éveiller des émotions, – et ce qu’il s’agisse de documentaire ou de fiction. Le fait qu’un film soit triste ou joyeux, cela dépend plutôt de l’effet, du genre, et de beaucoup d’autres choses. Pour moi, ce qui fait la qualité d’un film documentaire, c’est son authenticité. Ce qui est difficile à obtenir avec un film de fiction. »

La production documentaire tchèque a-t-elle quelque chose à apporter au monde du cinéma ?

«  Oui, bien évidemment. Le plus important pour un film, c’est qu’il ne soit pas uniquement local, qu’il attire les spectateurs en leur offrant une résonance soit avec le thème, soit avec le protagoniste. En ce sens-là, c’est sûr, le cinéma documentaire tchèque a des choses à proposer. »

Festival du film documentaire Ji.hlava | Photo: Radek Lavička,  MFDF Jihlava

« C’est évident, le cinéma documentaire connaît un énorme boom, non seulement en République tchèque, mais également en Roumanie et, d’une façon plus générale, en Europe centrale et orientale. Car il est capable de raconter de grandes histoires d’une façon relativement peu coûteuse. Dans les conditions telles que nous les avons ici, il semble difficile de produire des grands films capables de concurrencer la production d’Hollywood. Alors que pour faire  un film documentaire, il suffit d’un téléphone portable ou d’un appareil photo pour tourner un film qui peut ensuite être projeté en cinéma, voire dans le monde entier. En ce sens, je pense que le fait qu’il s’agisse d’un film tchèque, français ou roumain ne joue aucun rôle. Ce qui importe, c’est que son message soit universel. Et dans ce cas, il ne s’agit pas d’une lutte locale de David contre Goliath, mais il peut être compris même par une personne qui vit à l’autre bout du monde. »

Festival du film documentaire Ji.hlava | Photo: Radek Lavička,  MFDF Jihlava

Cette année, pour la première fois, le Festival international du film documentaire Ji.hlava a décerné des « prix professionnels » récompensant le travail des caméramans, monteurs et preneurs de son. Qu’en pensez-vous ?

« C’est très important, en ce sens qu’un film documentaire est vraiment une œuvre, et c’est l’œuvre de plusieurs personnes. Jusqu’alors, dans les prix de cinéma généraux, les films documentaires étaient primés dans le cadre d’une catégorie unique, la catégorie « film documentaire ». Et les différents éléments tels que la caméra, le son et le montage n’étaient pas pris en compte. Un réalisateur n’est pas nécessairement caméraman, et ce qui est nécessaire chez un réalisateur, ce n’est pas tant la maîtrise des techniques du film, mais plutôt le thème choisi et la passion avec laquelle il tourne. C’est là que la présence de l’équipe, qui réalise le film, est absolument indispensable. Il est donc fondamental que ces personnes aussi bénéficient d’un retour, qu’on mette en évidence le fait que leur travail a un sens. »

Meilleur montage du festival Ji.hlava 2021 :