Joseph Maïla: le débat sur la religion dans les sociétés sécularisées est en train de revenir

Joseph Maïla

La religion sous ses différents aspects a été un des sujets qui ont été soulevés à la conférence Forum 2000, qui s’est tenue à Prague et qui a été annoncée sous le titre « Le monde dans lequel nous voulons vivre ».

Joseph Maïla
Dans le cadre de ce traditionnel rendez-vous intellectuel, l’Institut français de Prague a organisé une table ronde lors de laquelle quatre intervenants ont réfléchi sur la nouvelle place de la religion au sein des relations internationales. A l’issue de cette réunion, Radio Prague a pu s’entretenir avec un de ses participants, M. Joseph Maïla, professeur de sociologie politique et de relations internationales.

La religion apparaît désormais comme un phénomène important dans l’agenda des relations internationales. Pourquoi ?

« Pour plusieurs raisons, je crois. D’abord, parce que la religion apparaît de plus en plus comme une part essentielle dans l’identité des peuples et des personnes. C’est vrai que la perte de l’influence idéologique dans le monde fait aussi que les régions se recomposent dans la mondialisation à partir de leur appartenance à des civilisations, à des contextes culturels, ce retour du culturel signe aussi le retour du religieux ».

Ce phénomène est peut-être très marquant dans les sociétés sécularisées…

Photo: Commission européenne
« Il faut bien entendu quand on parle du religieux distinguer selon les régions. Il y a des régions, pour lesquelles la sécularisation n’apparaît pas comme un phénomène important. Si je vous dis que la religion est par exemple importante en Arabie Saoudite, effectivement la globalisation n’a rien fait, la chute du Mur de Berlin n’a pas eu d’effet immédiat et cet intérêt pour la religieux, parce que l’Arabie Saoudite est bâtie sur la religion, en tant qu’Etat, ne change pas. En réalité, le débat sur la religion dans les sociétés sécularisées est en train de revenir. Et il revient par le biais de l’immigration, c’est parce qu’il y a une population immigrée qui elle a des habitudes anciennes, qui vient de pays où la pratique religieuse est extrêmement forte, où l’identité religieuse est souvent inséparable de l’identité nationale, que ces populations immigrées qui se présentent sur un sol sécularisé veulent pratiquer leur religion. Et du coup, l’Europe sécularisée qui a oublié la religion, voit la religion revenir, mais pas par le biais du christianisme. Elle revient par le biais de l’islam. Mais du coup, le christianisme se réveille pour se positionner par rapport à cette perception nouvelle, à cette donnée nouvelle ».

D’un autre côté, on ne voit pas monter le nombre de croyants.

Photo: Commission européenne
«Non, vous avez raison de faire cette remarque importante. C’est une question qui se présente en forme de paradoxe. La religion revient, elle occupe un espace qui est nouveau, qui est plus visible et en réalité, le monde des croyants n’a pas augmenté et il est toujours aussi bas. Donc, elle ne revient pas sous la forme de la religion, mais sous la forme de l’identité. Le débat qu’elle met en avant est un débat qui répond à la question qui nous sommes, de traditions, de traditions culturelles, de traditions culturelles chrétiennes. Elle ne revient pas sous la forme de la question religieuse, à savoir à quoi nous croyons. Ce qui est posé n’est pas une question théologique. La question c’est de se dire, puisqu’il y a d’autres populations qui sont devenues européennes, mais qui appartiennent à une autre tradition culturelle et religieuse, la question comme dans un miroir nous est renvoyée, et nous dit, mais vous, qui êtes vous. Et là, nous nous réveillons devant cette question que d’autres nous posent à partir de notre sol ».

La religion peut-elle devenir d’après-vous un déclencheur de la dangerosité ?

« Non, la religion en soi n’est pas dangereuse, au contraire. Quelqu’un qui croit c’est quelqu’un qui se livre en général à une attitude compassionnelle, croit qu’il y a un Dieu qui est bon, qui est juste. La question de la religion devient plus compliquée et quelquefois menaçante, quand elle se couple avec une question politique, quand elle devient un instrument pour mobiliser les gens. En leur disant, vous les croyants, vous devez être derrière moi, il faut faire et ceci et cela, et surtout, à partir de la religion, proposer des solutions qui appartiennent à la politique. Lorsque la religion se met à donner des leçons sur ce qu’il faut faire dans la société, alors ça commence à être inquiétant. Mais cela n’interdit pas à n’importe quel croyant quand il vote, quand il fait de la politique, de dire, mais au fond si je veux être en conformité avec les principes auxquels je crois comment je dois agir, comment je dois voter. Mais c’est tout à fait différent de la question de se mobiliser à partir de la question religieuse pour apporter des solutions religieuses à des problèmes qui sont politiques ».

L’idée stéréotypée veut que la République tchèque soit considérée comme un des pays les plus athées en Europe.

« Oui, le cas tchèque est donné en exemple. Il est donné en illustration de la sécularisation la plus poussée dans l’espace européen oriental et central. Effectivement pour des raisons qui tiennent à l’histoire, pour des raisons qui tiennent au passage du communisme, pour des raisons aussi de transmission religieuse, la République tchèque a connu une situation qui l’a fait se présenter sous un jour différent. Mais le plus sécularisé conduit à beaucoup d’agnosticisme comme il peut permettre aussi beaucoup de religiosité, mais une religiosité privée. Le cas tchèque est intéressant, parce qu’il montre un aspect beaucoup plus tranché sur les réponses est-ce que vous croyez ou est-ce que vous ne croyez pas, la réponse en Tchéquie est assez étonnante du point de vue de ceux que l’on sonde, et qui vous répondent qu’ils n’ont pas de croyance religieuse ».

Le religieux a surgi, aussi, dans le discours d’inauguration au Forum 2000 qui a été prononcé par l’ex-président tchèque Václav Havel.

Václav Havel,  photo: CTK
Dans son intervention, considérée par beaucoup comme alarmiste, Václav Havel a porté un regard particulièrement critique sur notre monde et sur notre civilisation qui est, d’après ses propres mots, « une première civilisation globalisée et une première civilisation athée. Une civilisation donc qui a rompu ses liens avec l’infini et l’éternité».

Pour Václav Havel, « l’orgueil représente le trait le plus dangereux de cette civilisation athée.» La disparition du respect à l’égard du secret, à l’égard de tout ce que nous n’arrivons pas à mesurer et à identifier, constitue dans son optique un autre aspect de ce phénomène. Et de constater :

« Je pense que la récente crise financière et économique a adressé au monde d’aujourd’hui un signal important qui implique un très profond avertissement ».