Jour de la Terre : « Nous voulons donner à la nouvelle génération les clés pour créer un autre modèle de société »

Ce 22 avril est la « La Journée internationale de la Terre nourricière » selon la formulation de l’ONU. En ce jour dédié à la sensibilisation du public à la biodiversité et à l’environnement, Radio Prague International vous propose de partir à la découverte de Génération Symbiocène, un programme d’éducation original qui n’a pas attendu le 22 avril pour parler d’environnement. Centré autour de la résolution de la crise climatique, ce programme a émergé il y a deux ans sous l’impulsion de Zuzana et de quelques-uns de ses collègues de l’ONG Nazemi. Le principe : six week-ends par an, un groupe d’une vingtaine de jeunes se réunit dans une ville de Tchéquie pour réfléchir à la manière de créer le monde de demain et acquérir des compétences pour ce faire, dans une démarche éducative originale qui se veut aux antipodes du système éducatif classique. Anti-conventionnel, ce programme aux allures de scoutisme esquisse un modèle de société radicalement différent qui se veut être une réponse à la hauteur de la crise climatique.

Tereza | Photo: Generace Symbiocén/NaZemi

« Nous ne voulons pas nous contenter de donner des solutions « faciles » parce que la crise climatique est un problème complexe qui mérite des solutions toutes aussi complexes pour être résolu ». C’est par ces mots que Tereza présente le programme Génération Symbiocène qu’elle co-préside. Elles sont trois, en ce vendredi matin, à avoir accepté de nous rencontrer pour en parler, et c’est autour d’une tasse de café à l’université Masaryk de Brno que nous nous retrouvons. Le cadre est de circonstance : Zuzana et Tereza sont toutes deux éducatrices au sein de l’ONG environnementale Nazemi, qui chapeaute le programme, tandis que Jasna, une des dix-huit participantes, étudie ici en master.

La solution dont parle Tereza tient dans le nom du programme, comme l’explique Zuzana :

Zuzana | Photo: Generace Symbiocén/NaZemi

« Le nom de ce programme représente ce qu’on veut créer, mais aussi ce qu’on est. Le point de départ, c’est que l’ère de l’anthropocène dans laquelle nous vivons, qui tourne autour des activités humaines, est de toute évidence en train de s’effondrer. Il est impossible de continuer à vivre ainsi, et c’est pour cela que notre projet repose sur la conviction que le monde de demain doit reposer sur un modèle de société qui est en symbiose avec la nature, la symbiocène, et qui s’inscrit dans les limites de la planète sans les dépasser ».

« Par ailleurs ce programme s’adresse à un groupe de personnes âgées de 17 à 23 ans, d’où le terme génération. Ce que nous voulons faire, c’est donner des clefs à la nouvelle génération qui lui permettent de créer un autre modèle de société. »

Génération Symbiocène re prend en fait le concept de symbiocène, théorisé par le philosophe australien Glenn Albrecht, qui désigne par ce terme une nouvelle ère géologique dans laquelle l’empreinte de l’Homme serait réduite au minimum, et où le vivre-ensemble des espèces vivantes serait la règle. Dans la pensée du philosophe, la « génération symbiocène » est la génération qui opérera la transition vers cette nouvelle ère. Pour ce faire, le philosophe plaide pour redonner à nos émotions une place centrale dans notre rapport au monde, puisque, comme on le voit aujourd’hui, les évidences scientifiques de la crise climatique, qui font appel à notre raison, ne suffisent pas à mobiliser.

Un modèle éducatif alternatif, qui fait la belle part aux émotions et à la mise en pratique

Sur cette base théorique, les formateurs de Génération Symbiocène ont mis en place un programme qui s’écarte des modalités d’enseignement traditionnelles, convaincus que l’éducation est la clef pour faire changer les mentalités :

« Nous pensons que l’éducation traditionnelle, telle qu’elle est en l’état, comporte beaucoup de limites. Ce que nous voulons instaurer, c’est un système qui laisse plus de part à la participation, avec un meilleur équilibre entre les professeurs et les élèves. »

« Au sein de notre programme, nous mettons aussi l’accent sur une forme plus holistique d’éducation. Cela consiste à laisser moins de place à la réflexion et plus à l’intuition, aux émotions et au corps dans l’apprentissage. C’est aussi ce qu’on appelle l’approche tête-cœur-mains, qui est fondamentale parce qu’elle nous fait prendre conscience que nous sommes partie intégrante de l’environnement qui nous entoure, et que nous devons en prendre soin. »

« Transformer la manière dont on éduque les générations suivantes est le premier pas pour changer la société. C’est en apprenant aux générations futures à prendre soin les uns des autres et du monde qui les entoure que nous pourrons véritablement parvenir à créer une nouvelle société qui fonctionne selon ces principes. »

Photo: Generace Symbiocén/NaZemi

Zuzana, Tereza et les autres formateurs valorisent à la fois la mise en pratique et les débats, en veillant toujours à ce que les expériences de chacun soient mises à contribution. L’enseignement par les pairs est effectivement un des points forts du programme, tout comme le contact avec la nature, qui est facilité par les lieux choisis pour passer ces longs week-end de quatre jours. Surtout, l’idée est que les participants et participantes puissent appliquer dans leur quotidien ce qu’ils apprennent, condition sine qua non pour instaurer un changement profond et durable dans leur manière de faire société. Un programme ambitieux qui semble porter ses fruits, puisque Jasna, une des participantes, confie que « ce programme a vraiment été transformateur pour elle » :

« Dans toutes les institutions scolaires par lesquelles je suis passée j’ai eu à développer mes compétences de réflexion mais on ne m’a jamais incitée à accorder de l’importance à mes émotions, et cela m’a manqué. Cette nouvelle approche me permet d’avoir mieux conscience de ce que je ressens et de mieux communiquer avec les autres. J’ai aussi pris conscience que mes actions pouvaient influencer le système dans lequel nous vivons.  En résumé, j’ai une vision plus précise du monde et de la place que j’y occupe, et je pense que c’est ça qui est unique dans ce programme. »

Concrètement, les six week-ends sont articulés autour de trois thèmes principaux qui suivent une logique progressive : la première partie du programme est une sorte d’état des lieux de la crise climatique, qui s’attache notamment à comprendre les racines du problème ; la deuxième invite les participants à imaginer un monde différent sur la base de ce constat, tandis que la troisième phase est consacrée aux méthodes nécessaires pour mettre en place ce changement. Zuzana et Tereza insistent notamment sur la nécessité de replacer la crise environnementale dans un contexte plus global, là où le sujet est souvent traité de manière isolée par les autorités et dans le débat public.

En tant que formatrices pour l’ONG Nazemi, Zuzana et Tereza ont l’avantage d’avoir une expérience solide dans le domaine de l’éducation aux questions environnementales, puisqu’elles animent régulièrement des ateliers sur le sujet dans les établissements scolaires. L’ONG, qui se consacre aux questions d’éducation et de consommation responsables et qui est basée à Brno, leur permet non seulement d’avoir accès à de nombreuses ressources éducatives mais aussi de prétendre à un financement de la part du ministère de l’Environnement, via le fonds environnemental de l’Etat.

Des participant(e)s aux profils similaires

En ce qui concerne les participants, la seule règle est d’avoir entre 17 et 24 ans, une limite d’âge « importante pour favoriser le partage et la bonne entente au sein du groupe ». Zuzana et Tereza essaient de favoriser une certaine diversité des profils lorsqu’elles choisissent les candidats, mais force est de constater que la plupart d’entre eux sont des jeunes femmes qui sont déjà plus ou moins actives dans la lutte climatique. En tout cas, la dynamique de groupe semble fonctionner, car quand Jasna nous quitte, c’est pour partir profiter du week-end en compagnie d’autres participants au programme.

https://generacesymbiocen.cz/