Journée des réfugiés : La Strada met en garde contre l’exploitation des Ukrainiens
Ce mardi 20 juin, la Tchéquie célèbre, elle aussi, la Journée mondiale des réfugiés. A cette occasion, le Bureau pragois du Haut commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (UNHCR) a organisé une rencontre entre représentants d’ONG pour faire le point de la situation des réfugiés dans le pays, de ceux d’Ukraine notamment, dans le contexte des changements dans l’aide au logement prévus par l’Etat tchèque à partir du 1er juillet.
« Je suis moi-même réfugiée. Je suis arrivée à Prague en 1992, avec ma famille, après avoir quitté Sarajevo. Quand je me retrouve en face d’un réfugié ukrainien, c’est comme si je me voyais dans un miroir. Le traumatisme revient. Être forcé de quitter son pays, c’est une souffrance pour le reste de la vie », raconte Jelena Silajdžić, fondatrice de l’ONG tchèque Slovo 21 qui favorise l’intégration des étrangers des pays tiers et des Roms dans la société tchèque.
Depuis le début de l’invasion russe, la Tchéquie a accueilli près de 340 000 réfugiés ukrainiens et leur a accordé une protection temporaire. Alors qu’au début du conflit, le pays accueillait entre 3 000 et 6 000 ressortissants ukrainiens par jour, actuellement, leur nombre ne dépasse pas 2 000 par semaine. Les femmes sont toujours majoritaires, mais leur proportion a toutefois baissé de 80 % à 60 %, selon les chiffres approximatifs communiqués par les ONG.
D’après leurs estimations, 53 % des réfugiés ukrainiens en Tchéquie sont originaires des zones de conflit. Certains Ukrainiens ayant trouvé refuge en Tchéquie ont toutefois déjà quitté le pays, pour retourner chez eux ou pour aller vivre ailleurs. Sur le long terme, environ un réfugié ukrainien sur trois restera en Tchéquie, estiment les ONG.
Ce n’est pas le cas de Svetlana, psychologue qui apporte son soutien aux enfants et adolescents ukrainiens au sein de l’association tchèque AMIGA :
« Personnellement, je n’apprends pas le tchèque, parce que je ne veux pas rester ici. Pour l’instant, je travaille et j’ai un logement, mais ceci se terminera un jour. Je compte alors retourner en Ukraine. Voilà pourquoi je ne cherche pas vraiment à m’intégrer. »
« Notre organisation s’occupe des réfugiés vulnérables qui ont besoin de soutien et d’assistance, mais il existe de nombreuses personnes arrivées d’Ukraine qui n’en ont pas besoin. Ce sont des personnes hautement qualifiées, des hommes d’affaires, des informaticiens par exemple qui ont juste implanté leurs entreprises en Tchéquie », explique Magda Faltová, directrice de l’Association pour l’intégration et la migration.
Ses clients sont dans une tout autre situation et seront touchés par l’un des amendements à la loi dite Lex Ukrajina qui renforcera les règles d’attribution d’aide humanitaire et au logement à partir de juillet.
Plus précisément, l’Etat tchèque cessera de payer l’hébergement d’urgence dans des dortoirs, des pensions ou des hôtels au bout de cinq mois. Si les clients ne paient pas eux-mêmes, ils devront trouver un autre logement. Cette mesure ne s’applique pas aux personnes âgées de plus de 65 ans, aux personnes handicapées, aux parents d’enfants d’âge préscolaire, aux enfants et aux jeunes de moins de 18 ans.
Par ailleurs, les réfugiés recevront désormais une seule allocation pour frais dans le cadre de l’aide humanitaire. Mais leur revenu mensuel sera déduit de cette allocation, ce qui pose problème aux yeux des organisations d’aide aux migrants. On écoute Markéta Hronková, directrice de La Strada qui s’occupe de la lutte conte l’exploitation et la traite des êtres humains :
« Suite à ce changement législatif, la situation sera plus difficile pour les réfugiés ukrainiens. Ceux qui ont un besoin réel d’aide humanitaire préféreront probablement trouver un travail précaire, pas vraiment légal, et ne pas déclarer leur revenu pour pouvoir percevoir l’allocation. Ils vont travailler dans des conditions qui ne répondent pas au Code de travail, mais malheureusement, ce sera l’unique moyen pour eux de gagner leur vie. »
La Strada s’occupe des victimes d’exploitation et de traite de nationalités différentes, de Tchèques qui se sont retrouvés aux mains de personnes mal intentionnées à l’étranger, aussi bien que de ressortissants des Philippines, de Mongolie, de Roumanie, de Bulgarie ou de pays africains enfermées dans un système d'exploitation en Tchéquie. Markéta Hronková constate que l’afflux de réfugiés ukrainiens a détérioré la situation des victimes en générale :
« La guerre en Ukraine a changé notre travail de manière significative. Les réfugiés ukrainiens ont des besoins immédiats qui concernent le logement, l’aide matérielle, car ils sont en situation financière difficile. Ce qui est important, c’est que la guerre a changé l’attitude des criminels. Ils utilisent le conflit et la vulnérabilité des réfugiés pour faire du bénéfice. »
« Le nombre de nos clients a doublé voire triplé comparé à l’année 2021. Cette augmentation concerne principalement les réfugiés ukrainiens, mais également ceux d’autres nationalités. Par ailleurs, nous travaillons aussi avec des réfugiés mineurs et des mères avec enfants, ce qui est totalement nouveau pour La Strada. Nous avons été obligés d’adapter nos services à cette situation inédite. »
La Strada s’occupe donc de cas concrets de femmes ukrainiennes victimes d’exploitation en Tchéquie ?
« Effectivement, plusieurs femmes ukrainiennes, des mères d’enfants, se sont adressées à nous. Je ne peux pas citer de cas concrets, parce qu’ils font l’objet d’une enquête. Il s’agit de cas de femmes exploitées sexuellement par le propriétaire de leur logement ou de celles qui n’ont pas été payées pour leur travail. »
Selon le rapport annuel du Haut Commissariat aux Réfugiés, 2022 a marqué un nouveau record de plus de 110 millions de réfugiés et de déplacés de force dans le monde. Près de 50 millions de personnes feraient l’objet d’exploitation à l’échelle internationale, dont des milliers voire des dizaines de milliers en Tchéquie.