Koulsy Lamko : « Un pur bonheur d’entendre ma pièce jouée en tchèque »
Grâce au festival « Afrique en création » nous avons pu rencontrer à Prague toute une pléiade d’hommes de lettres africains. Dernièrement c’était l’écrivain Koulsy Lamko, venu présenter à l’Institut français de Prague sa pièce intitulée « Celle des îles » et le film « Abouna » dans lequel il joue. Koulsy Lamko est né en 1959 au Tchad mais en 1983 il a été obligé de quitter son pays en proie à la guerre civile. Cet auteur de pièces de théâtre, poèmes, nouvelles, contes, scénarios mais aussi metteur en scène et comédien qui enseigne à l’Université d’Hidalgo au Mexique a également réalisé dans plusieurs pays toute une série de projets d’animation culturelle. Ecoutons ce qu’il a dit au micro de Radio Prague :
« C’est la question existentielle. Je vais reprendre tout simplement les mots d’Aimé Césaire qui dit : ‘Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, et ma voix la liberté de celle qui s’affaisse au cachot du désespoir.’ Par ailleurs il dit : ‘Et toi, mon cœur, et toi, mon âme, garde-toi de te tenir dans l’attitude d’un spectateur, car le monde n’est pas un proscenium. Un homme qui pleure n’est pas un ours qui danse.’ Je crois que tout cela résume mon engagement par l’écriture.
Je suis venu pour avoir l’usage des mots, pour dire un certain nombre de douleurs, d’ostracismes que nous vivons, pour dénoncer pour dire l’égrillard aussi, et avant tout pour jouer avec les mots. Je suis un poète mais je refuse d’être un poète qui fait de l’art pour l’art. Je suis un poète engagé, il y a finalement tant de choses à dire sur notre monde qui va à vau-l’eau et dans lequel nous ne savons pas quel est le future que nous offrons à nos enfants. Comme dans le conte du Petit Poucet, mes livres sont de petits cailloux sur ce chemin de dire non, du dénoncement. »
Vous faîtes partie de la génération des écrivains qui en général ne vivent plus en Afrique et qu’on appelle « les oiseaux migrateurs ». Que pouvez-vous dire sur cette génération ?
« Il faut dire qu’en Afrique vivent aussi beaucoup de gens qui écrivent et dont l’oeuvre est bien connue dans leur pays ou dans les pays voisins. Nous, qui sommes de cette génération, nous avons près de cinquante ans. On est né autour des Indépendances. Les uns avant, les autres un peu après. Nous avons ressenti ce besoin de briser les carcans, les cadres normatifs qui nous ont été dressés, pour nous exprimer avec toute la liberté qu’il est important de s’arroger pour pouvoir dire ce que nous ressentons au plus profond de nous. On est parfois forcé à l’exil. Mais finalement l’exile peut nous aider à concrétiser cette belle parole qui dit que la Terre a déjà été conquise et il ne nous reste qu’à l’habiter. Voilà, nous essayons d’habiter la Terre puisqu’elle a déjà été conquise et les gens veulent aller sur Mars et sur la Lune et qu’elle n’appartient finalement à personne. »Vous êtes auteur d’une œuvre vaste et variée pourquoi on a choisi justement votre pièce intitulée « Celle des îles » pour être traduite en République tchèque ?
« Lucie (Němečková) qui dirige le festival ‘Afrique en création. Nous sommes tous des Africains.’ est beaucoup plus portée sur les écrits dramatiques. Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises notamment en Avignon où j’étais en tant que metteur en scène et plus tard à la Comédie française où j’avais la chance d’avoir une pièce qui a été montée. Et donc je crois que c’est l’intérêt qu’elle a pour les pièces de théâtre et l’écriture dramatique qui a orienté son choix. Pour « Celle des îles », c’est une des plus récentes pièces que j’ai écrites parce que la dernière est plutôt un opéra. Et Lucie a eu l’envie de faire cette traduction et de m’inviter. »Pouvez-vous résumer le thème de cette pièce?
« Celle des îles est une chanteuse de cabaret originaire de Haïti qui vit à Nantes en France. Son cabaret est contigu à un grand restaurant qui s’appelle ‘Le petit bateau négrier ». L’enseigne du restaurant en bois taillé et en fer a toujours été renouvelée depuis des générations. Un jour la chanteuse dit au propriétaire du restaurant de descendre l’enseigne, ce qu’il refuse de faire et il sourit. Et ce sourire rappelle à la chanteuse le sourire d’un client qu’elle avait rencontré dans ce cabaret, un sourire désarmant, détruisant et qui dit : ‘De toute façon, vous êtes toujours des esclaves’. Elle se rebelle contre ce regard, oblige le propriétaire à descendre l’enseigne, et dans un accès de violence elle assassine le propriétaire du restaurant. Mais la pièce commence au moment où elle revient comme fantôme hanter la vie du fils de ce propriétaire.
Pour moi cela permet de revenir sur la problématique du regard que le monde occidental pose sur les peuples noirs, un regard qui ne nous réhabilite pas. Comme si nous devions être obligés depuis des siècles de revendiquer une petite partie de l’humanité chaque fois qu’on est en contact avec les autres cultures. »
La pièce est aujourd’hui traduite en tchèque. Elle a même été lue par des comédiens tchèques au cours d’une soirée à l’Institut français de Prague. Qu’est-ce que cela vous fait quand vous entendez votre œuvre traduite dans une autre langue que vous ne connaissez pas et que vous ne comprenez pas ?« Un pur bonheur. C’est une autre mélodie et un autre rythme, on se sent comme portant une parole qui peut se décliner à l’infini. Rien que de l’entendre comme ça, j’étais en train de râler parce que j’avais oublié mon enregistreur dans la salle. Je crois que ça sera un bonheur complet que de le pouvoir réécouter dans cette langue avec cette musique et avec cette mélodie. »
Vous êtes cependant auteur de beaucoup d’autres oeuvres. Avez-vous une autre oeuvre que vous aimeriez présenter aux lecteurs tchèques ?
«Oui, notamment une pièce qui s’appelle ‘Tout bas … si bas’. Elle a été écrite dans les années 1990. Cette pièce pose le concept de la démocratie tel qu’on nous l’a imposé en Afrique à un moment où on est descendu tout bas, si bas qu’on n’avait plus que l’alternative de remonter la pente. On nous a fait croire que la création de courants du multipartisme dans notre société pouvait nous amener à devenir des pays démocratiques. Et au-delà d’une bonne décennie d’années, on s’est retrouvé avec des partis-ethnies, avec des leaders qui parfois n’ont vraiment pas d’intérêt nationalistes, qui ne veulent qu’arriver au pouvoir et qui sont prêts à se lier à tous les réseaux mafieux possibles pour pouvoir y arriver. Et ces leaders génèrent des divisions, des guerres, etc. tout en oubliant que, dans nos traditions, nous avions des formes de démocraties extraordinaires qu’il aurait suffi juste de réveiller et d’essayer de comprendre pour pouvoir les appliquer. »