Kundera : « Revenir à Brno me permet de veiller à concilier sa ‘vie tchèque’ et sa vie après l’exil »

Bibliothèque Milan Kundera

Milan Kundera a été incinéré mercredi à Paris. Ses cendres devraient un jour être transférées à Brno, sa ville natale, où a récemment été inaugurée la Bibliothèque Milan Kundera, dans laquelle des archives de l’écrivain peuvent être consultées par les chercheurs. Inscrite à l’Université d’Aix-Marseille, Adélie Huguenin travaille sur une thèse relative à l’œuvre de l’auteur tchéco-français et a été l’une des premières à avoir accès à ces archives.

Adélie Huguenin | Photo: Archives d’Adélie Huguenin

« Je suis particulièrement enthousiaste, car le fonds donné à cette bibliothèque par le couple Kundera est encore plus conséquent que ce que j’imaginais. Pour ma recherche de doctorat c’est assez incroyable. Assez émouvant aussi, suite à sa disparition, d’avoir accès à des éditions qui comportent ses notes manuscrites, des corrections qu’il a apportées à son éditeur Gallimard. Ils ont beaucoup d’exemplaires annotés par Milan Kundera lui-même. »

'La plaisanterie' avec des notes de Milan Kundera | Photo: Václav Richter,  Radio Prague Int.

« Il y a aussi l’édition originale française de La plaisanterie sur laquelle il a travaillé pour réviser la traduction. C’est assez incroyable de l’avoir entre les mains et c’est un matériau intéressant pour la recherche, pour étudier en termes de style sa pratique de l’écriture. Il y a aussi beaucoup de sa correspondance, dont on ne sait pas encore si elle sera rendue publique – ce sera à voir avec Věra Kundera. Il y a notamment ses lettres échangées avec Fellini, Aragon, Ionesco… »

Bibliothèque Milan Kundera | Photo: Magdalena Hrozínková,  Radio Prague Int.

Ce sont des lettres que vous avez pu consulter ?

« Que j’ai pu consulter exceptionnellement, disons. Tout n’a pas encore été classé, il y a encore beaucoup d’archives au sous-sol de la bibliothèque. Tout n’est pas encore mis à la disposition du public mais le personnel est en train d’y travailler. Il y a un classement de toutes les archives qui est long mais ils font leur possible pour les rendre accessibles aux chercheurs. »

Je suppose que votre séjour à Brno était déjà prévu de longue date ; il se déroule juste après le décès de Milan Kundera. Quel effet a eu cette nouvelle sur place ?

« Dans la bibliothèque il y a sa photographie avec une gerbe de fleurs et un livre de condoléances. Depuis le début de la semaine, je vois défiler tous les jours des personnes de tout âge – étudiants ou personnes plus âgées – se recueillir et inscrire leurs condoléances dans ce livre, c’est particulièrement émouvant. »

Photo: Václav Šálek,  ČTK

‘L'image, entre essentialité et réduction : ambivalence et enjeux romanesques de l'image et de la métaphore dans l'oeuvre de Milan Kundera’ : c’est le titre de votre  thèse. Ce séjour à Brno peut-il vous apporter une aide essentielle pour votre recherche ?

« Oui tout à fait, notamment grâce à ces différentes éditions annotées par l’auteur lui-même. J’ai déjà fait quelques trouvailles très intéressantes en seulement deux jours, donc cela sera vraiment important pour mon travail et ce n’est pas fini. Comme il reste encore des archives à être classées, je suis assez optimiste quant au futur de ma recherche. »

En étant sur place à Brno, avez-vous l’impression d’en apprendre plus sur la jeunesse de l’auteur, sur l’environnement dans lequel il a grandi ?

Bibliothèque Milan Kundera | Photo: Bibliothèque régionale de Moravie

« Oui, j’étais déjà venue à Brno il y a un an, avant que la Bibliothèque Milan Kundera ne soit inaugurée. Revenir sur ses pas une semaine après sa disparition est très important pour moi et très émouvant. Quand on est une chercheuse française, c’est aussi vrai qu’on n’a pas forcément accès à son passé tchèque, à ses écrits de jeunesse qu’il n’a pas voulu intégrer à son œuvre finale (publiée dans La Pléïade, ndlr), mais aussi à ses influences tchèques qu’on ne connaît pas forcément en France. Tout cet héritage littéraire et culturel tchèque, qui est primordial pour comprendre son œuvre, j’ai l’impression de le toucher davantage du doigt en venant ici. C’est vrai que c’est vraiment important, parce qu’on coupe souvent Kundera de ces références-là dans l’étude de son œuvre par les chercheurs français. Revenir à Brno me permet de veiller à concilier sa ‘vie tchèque’ et sa vie après l’exil en France. »

Sa relation compliquée avec son pays natal est-elle difficile à appréhender depuis la France ? Peut-on en comprendre davantage sur place ?

« Pour l’instant je n’ai pas eu l’occasion de beaucoup discuter avec des Tchèques. C’est vrai que ceux à qui je peux parler sont des amoureux de Kundera. Je n’ai pas encore discuté avec des lecteurs qui ne sont pas des chercheurs donc c’est un peu difficile à appréhender. Après, je pense qu’on a aussi dramatisé cette relation. Je crois que Věra Kundera a dit que Brno avait toujours été fidèle à Milan Kundera, donc c’est à nuancer mais c’est vrai que c’est parfois difficile à appréhender en tant que Française. »

13
49.208648681641
16.594028472900
default
49.208648681641
16.594028472900
mots clefs:
lancer la lecture