La cathédrale Saint-Guy, l’église de la nation tchèque
Si l’on devait comparer la cathédrale Notre-Dame de Paris, touchée dans la nuit de lundi à mardi par un affreux drame, à un monument pragois, le premier quidam venu citerait sans doute et sans hésitation la cathédrale Saint-Guy qui, depuis le château de Prague, domine fièrement la ville. A bien y regarder, il n’aurait sans doute pas tout à fait tort et c’est pourquoi nous vous proposons dans cette rubrique historique de découvrir ce joyau de l’architecture gothique.
Un élément essentiel du paysage pragois
Perchée en haut de la colline du quartier de Hradčany, surplombant d’une tête les autres bâtiments composant le complexe du château de Prague, la cathédrale Saint-Guy est un élément familier du paysage de la capitale tchèque. Depuis n’importe quel point de vue ou presque, on l’aperçoit, fière et tranquille. On peut deviner la foule des touristes qui s’agite à ses pieds, en train d’hésiter entre se contenter d’y pénétrer pour seulement un instant ou bien acheter le ticket payant qui permettra de la découvrir en détail.
C’est pourquoi, quand on demande à Ondřej Šefců, le directeur de l’Institut national du patrimoine, quel édifice pourrait susciter en Tchéquie une émotion telle que celle produite par l’incendie de Notre-Dame de Paris, il n’hésite pas une seconde :« En République tchèque, cela serait certainement la cathédrale Saint-Guy. Je pense que son importance est comparable. Nous avons cependant sans doute un petit avantage, c’est que la charpente de la cathédrale n’est pas en bois mais en acier. De plus, il y a de très bons dispositifs de sécurité. Par exemple, on trouve des colonnes sèches sur toute la façade du bâtiment, des tuyaux vides qui permettent d’acheminer de l’eau à de grandes hauteurs. »
L’évocation de la structure métallique de l’église et la présence de colonnes sèches témoignent de la jeunesse relative de la cathédrale : ses travaux, longs de six siècles, ne se sont achevés qu’en 1929 ! Outre des ajouts et embellissements à d’autres époques, la construction s’est en fait déroulée principalement en deux temps, au XIVe siècle et à partir de la moitié du XIXe siècle.
Une cathédrale voulue par Jean de Luxembourg et Charles IV
A l’instar de Notre-Dame de Paris et comme souvent pour ce type d’édifice, la cathédrale Saint-Guy est bâtie à l’emplacement d’anciennes églises. Il s’agit en l’occurrence d’une rotonde du Xe siècle, dans les premiers temps de la christianisation des pays tchèques, déjà dédiée à saint Guy, et d’une basilique construite un siècle plus tard et consacrée aux saints Guy et Adalbert (Vít et Vojtěch en tchèque), ainsi qu’à la Vierge Marie.C’est donc au XIVe siècle, sous le règne du roi de Bohême Jean de Luxembourg qu’est lancé le chantier de la cathédrale. Son élévation est alors nécessaire, alors que Prague gagne en importance, tant politique que religieuse, comme l’historienne Lucie Kodišová l’a expliqué sur nos ondes :
« Nous savons que grâce aux négociations du père de Charles IV, Jean de Luxembourg, à Avignon, le siège provisoire de la papauté, l’évêché de Prague a été élevé au rang d’archevêché en 1344. Cela s’est donc passé sous le règne de Jean de Luxembourg mais Charles IV, qui aidait déjà à l’époque son père à gérer les pays tchèques, a participé lui aussi à la fondation de la cathédrale. L’édification d’une cathédrale était alors indispensable car il fallait avoir une église digne d’un archevêché. »
Sous la direction de Mathieu d’Arras puis de Peter Parler
Le style gothique, marqué par la recherche de lumière, d’espace et de légèreté, est né au mitan du XIIe siècle en Ile-de-France. Notre-Dame de Paris, dont les travaux se sont échelonnés en plusieurs étapes depuis cette époque jusqu’à la moitié du XIVe siècle, est un exemple de ce mouvement architectural, qui s’est diffusé dans toute l’Europe. Il n’est donc guère étonnant que le premier maître d’œuvre des travaux de la cathédrale Saint-Guy, Mathieu d’Arras, soit originaire du royaume de France. Le médiéviste Václav Žůrek nous en dit un mot :« Des artistes français sont venus à Prague pour travailler ici, par exemple Mathieu d’Arras, le premier constructeur de la cathédrale Saint-Guy. Même si nous ne savons pas de façon certaine d’où il vient ; probablement d’Arras mais il a auparavant travaillé dans le sud de la France à Narbonne et à la cour d’Avignon. »
Mais Mathieu d’Arras alors à l’œuvre depuis huit ans, décède en 1352, sans avoir eu le temps d’achever les travaux. Ils sont repris par Peter Parler. Lucie Kodišová :
« La construction a commencé sous la direction de l’architecte français Mathieu d’Arras. Nous pouvons reconnaître la partie de la cathédrale qu’il a construite avec les chapelles polygonales qu’on trouve à l’arrière de l’édifice. Il est donc facile d’identifier où Peter Parler a repris le chantier. Lui était originaire de Gmünd en Souabe, et il a été convoqué par Charles IV en tant qu’architecte en chef après la mort de Mathieu d’Arras. Peter Parler a construit des chapelles rectangulaires. Il y a donc une différence visible entre les deux ouvrages. Peter Parler a également fait voûter le chœur et il est ainsi le principal auteur de la partie gothique de la cathédrale dans la forme que nous connaissons aujourd’hui. »C’est sous la direction de Peter Parler que sont bâties la chapelle Saint-Venceslas et la chambre où sont conservés les joyaux de la couronne de Bohême. La Porte dorée, représentant le Jugement dernier, est également construite à cette époque, tandis que les travaux de la tour Sud, qui culmine aujourd’hui à 96,6 mètres, sont entamés. A la mort de Peter Parler, ses fils reprennent le flambeau mais le chantier est arrêté au début du XVe siècle, période troublée en pays tchèques, car marquée par les guerres hussites.
Cinq siècles plus tard, la reprise des travaux
Pour encore près de cinq siècles, les Pragois ne devaient profiter que d’une cathédrale inachevée. Le professeur František Kadlec, longtemps à la tête du département en charge du tourisme au château de Prague, précise :« Il n’a pas été possible de terminer la cathédrale en un siècle comme le souhaitait Charles IV. Elle est donc restée dans un état fragmentaire de longs siècles durant. C’est seulement au XIXe siècle, un siècle marqué par la redécouverte de notre histoire et de nos prédécesseurs, qu’on a décidé de terminer les travaux de l’église telle qu’elle avait été imaginée par ses créateurs. »
Au début du XIXe siècle, la cathédrale n’a ainsi pas franchement fière allure. C’est un autre point commun avec Notre-Dame de Paris. A cette époque, l’édifice parisien, mal entretenu, est presque en ruines et il faudra le roman de Victor Hugo puis les travaux d’Eugène Viollet-le-Duc pour lui redonner de sa superbe.
A Prague, une association est fondée en 1844, à l’occasion du demi-millénaire de la pose de la première pierre de la cathédrale Saint-Guy, avec l’objectif de collecter des fonds pour relancer la construction. Mais les obstacles sont encore nombreux avant que les travaux ne reprennent véritablement. Aussi, plusieurs architectes se succèdent pour réaliser ce qui constitue le gros de l’ouvrage : l’élévation de la façade de l’église, dans un style néogothique, avec deux tours de 80 mètres de hauteur.Plus qu’un simple édifice religieux
La cathédrale est solennellement inaugurée en septembre 1929, en présence du premier président de la Tchécoslovaquie indépendante, Tomáš Garrigue Masaryk. La date retenue est très symbolique. František Kadlec :« Tous les efforts visaient précisément cette année 1929, date anniversaire, selon les historiens de l’époque, de l’assassinat du duc Venceslas. En cette année 1929, on allait en effet célébrer le millénaire de la mort de ce saint patron national (il existe une incertitude sur la date du décès de Venceslas, entre le 28 septembre 929 ou 935, ndlr). »
Expropriée sous le régime communiste, la cathédrale, dont la construction, selon František Kadlec, n’est en réalité toujours pas tout à fait achevée, appartient aujourd’hui encore à l’Etat tchèque. Les efforts de l’Eglise catholique dans les années 2000 pour la récupérer n’ont rien pu y changer. C’est par ailleurs au sein de la cathédrale, désormais officiellement dédiée à saint Guy, mais aussi aux saints Venceslas et Adalbert, qu’ont été organisées les funérailles du président Václav Havel en décembre 2011. De sorte que, comme Notre-Dame de Paris en France, la cathédrale Saint-Guy, dont l’histoire est intimement liée à celle de l’Etat et de la nation tchèque, est bien plus qu’un simple édifice religieux.