La classe politique tchèque inquiète pour la démocratie en Turquie

Ankara, Turquie, photo: ČTK

Les arrestations de milliers de soldats et de juges ou encore les réflexions sur le rétablissement de la peine de mort en Turquie: autant de thèmes qui préoccupent les dirigeants politiques tchèques après la tentative de coup d’Etat militaire raté à Ankara dans la nuit de vendredi à samedi. Les politiciens tchèques soulignent notamment le besoin de stabilité en Turquie, pays membre de l’OTAN et candidat à l’adhésion à l’Union européenne. Ils considèrent toutefois comme intolérable le fait que le président Erdogan profite de ce putsch raté pour se débarrasser de ses opposants.

Ankara,  Turquie,  photo: ČTK
Dans la nuit de vendredi à samedi, un groupe de putschistes issu de l’armée a tenté de prendre le pouvoir en Turquie. Après une nuit agitée, qui a fait, à en croire les chiffres publiés dans les médias, plus de 290 morts et 1 400 blessés, les autorités turcs, avec à leur tête le président Recep Tayyip Erdogan, ont affirmé avoir repris le contrôle. Quatre jours plus tard, les purges se poursuivent. Le bilan : près de 20 000 personnes ont été arrêtées ou ont perdu leur travail. Parmi eux, de nombreux juges et fonctionnaires. Certaines voix appellent même au rétablissement de la peine de mort. Et cela alors même que les raisons de ce coup d’Etat restent encore très peu claires.

Ces événements récents ont suscité des réactions dans l’ensemble du spectre politique tchèque. Si le président Miloš Zeman a indiqué dès samedi, lors de son voyage en Mongolie, qu’il considérait comme important d’empêcher un carnage et de maintenir les principes démocratiques dans ce pays qui joue un rôle important dans l’Alliance atlantique, les opinions d’autres politiciens tchèques se sont fait toutefois attendre plusieurs jours.

Istanbul,  Turquie,  photo: ČTK
Lundi, le premier ministre Bohuslav Sobotka s’est joint aux avis des principaux représentants de l’Union européenne en condamnant ce putsch mais en rappelant aussi que le gouvernement turc devrait agir comme un Etat de droit, c’est-à-dire en conformité avec sa constitution. Il a dénoncé ainsi les réflexions du président Erdogan sur un possible rétablissement rétroactif de la peine capitale pour les putschistes, ce qui rendrait selon lui impossible toutes négociations relatives à une éventuelle entrée de la Turquie dans l’UE et à une abolition des visas pour les ressortissants turcs. Le chef du gouvernement a par ailleurs souligné que la Turquie doit rester stable afin de pouvoir coopérer à la résolution de la crise migratoire. La même rhétorique a été adoptée par le ministre des Affaires étrangères, Lubomír Zaorálek :

Lubomír Zaorálek,  photo: Filip Jandourek,  ČRo
« Il ne faut pas seulement réprouver le coup d’Etat, mais aussi suivre l’évolution de la situation en Turquie. Il serait très grave que la Turquie tourne le dos aux valeurs démocratiques. Et la peine de mort est en contradiction avec ces principes. Si la Turquie veut prendre part à des négociations sur son entrée au sein de l’UE, même si on sait qu’il s’agit là d’un processus de longue haleine, elle devra respecter ces conditions. Nous sommes convaincus que tout le monde, même en Turquie, doit avoir un procès juste. Il n’est pas acceptable que la situation tourne au lynchage et au non-respect du droit. Ce ne serait plus une lutte pour la démocratie. De plus, cela pourrait diviser la société turque et mettre ainsi en cause la stabilité du pays. »

Le chef de la diplomatie tchèque a néanmoins affirmé que la situation actuelle n’apporterait selon lui aucun changement dans l’accord entre l’UE et la Turquie, visant à endiguer le flux de réfugiés arrivant en Europe. Pavel Bělobrádek, le chef des chrétiens-démocrates, le plus petit parti de la coalition gouvernementale, est pour sa part bien plus inquiet concernant les arrestations et licenciements massifs. Ces événements pourraient selon lui menacer l’appartenance même de la Turquie à l’OTAN, et cela alors qu’elle possède la deuxième plus grande armée de l’Alliance. C’est ce que confirme également l’eurodéputé Jiří Pospíšil, qui voit d’un mauvais œil le « soutien inconditionnel » de l’UE au régime du président Erdogan :

Jiří Pospíšil,  photo: Filip Jandourek,  ČRo
« Je crains que Erdogan ait profité de ce putsch pour renforcer son régime autoritaire et pour se débarrasser de ses adversaires et de l’indépendance de la justice. S’il n’y a pas de procès légaux avec les putschistes et qu’on utilise ce coup d’Etat pour de grandes purges et pour la liquidation de l’opposition politique, je crois qu’il faudra se poser la question de l’appartenance ou non de la Turquie à l’OTAN. »

Son collègue du Parlement européen, Pavel Telička, garde néanmoins une position un peu plus réservée :

Recep Tayyip Erdogan
« Il est logique que les autorités turques enquêtent sur ces événements. Il est difficile d’évaluer la situation en Turquie aussi tôt après le putsch raté et il est difficile de juger si les organes publics et le président Erdogan vont un peu trop loin ou non. Certaines choses ne collent pas mais je ne veux pas évaluer la situation de ce pays, situé à plusieurs milliers de kilomètres de chez nous, seulement quelques dizaines d’heures après ce putsch. »

Par ailleurs, un groupe de travail du ministère des Affaires étrangères s’est réuni ce lundi pour discuter de la situation des touristes tchèques dans le pays. Bien qu’elle ait été jugée stable, le ministère a maintenu sa mise en garde pour les ressortissants tchèques désireux de se rendre à Ankara, à Istanbul ou au sud-est de la Turquie.