Référendum en Turquie : les politiciens tchèques inquiets pour l’avenir des relations entre Ankara et l’UE
La Turquie fait face à l’un des plus importants changements constitutionnels depuis la création de la République il y a bientôt cent ans. Dans un référendum, dimanche, les électeurs turcs ont en effet voté en faveur du renforcement des pouvoirs du président turc, en l’occurrence Recep Tayyip Erdogan. Les modifications souhaitées par quelque 25 millions de personnes, un peu plus de 51 % des votants, préoccupent toutefois un très grand nombre de dirigeants européens. La classe politique tchèque exprime elle aussi son inquiétude et estime que la Turquie se détourne des valeurs démocratiques et du principe de laïcité.
A la surprise de beaucoup, la révision constitutionnelle a obtenu également un fort soutien de la part des Turcs vivant dans certains pays d’Europe occidentale. En Allemagne, par exemple, 63 % d’électeurs ont voté en faveur du « oui », ainsi que 64 % en France et près de 73 % en Autriche. En République tchèque, en revanche, seuls 12,5 % des quelque 600 citoyens turcs ayant participé au référendum se sont exprimés pour la réforme.
Le résultat du référendum, attendu même si les observateurs ne s’attendaient pas à un score aussi serré, alarme la plupart des hommes politiques et politologues tchèques qui expriment leurs inquiétudes vis-à-vis de l’évolution de la situation en Turquie. C’est le cas du directeur du think-tank Valeurs européennes, Radko Hokovský, qui parle de la naissance d’un régime autocratique :
« L’Europe invite Erdogan à entamer un dialogue public avec l’opposition. Il est possible qu’il le fasse ‘pro forma’ mais les représentants européens, qu’il s’agisse de la chancelière allemande Angela Merkel ou des membres de la Commission européenne, sont naïfs quand ils demandent à ce que les changements constitutionnels soient mis en place au fur et à mesure et sur la base d’un consensus. Nous savons que le président Erdogan a, depuis quelques années, un objectif très clair, à savoir la concentration du pouvoir. Actuellement, rien ne peut l’empêcher d’y arriver. Le chef de l’Etat turc ne prend pas les paroles des politiciens européens très au sérieux. »Si le ministre des Affaires étrangères, Lubomír Zaorálek, rappelle que la Turquie reste un partenaire important et de la République tchèque et de l’Union européenne, ainsi que leur allié au sein de l’OTAN et qu’il est nécessaire de suivre attentivement l’évolution dans le pays, le chef de l’Etat tchèque, Miloš Zeman considère pour sa part que les démarches du président Erdogan marquent « un tournant important par rapport à la politique du fondateur de l’Etat turc moderne Mustafa Kemal Atatürk », ainsi que la fin du rapprochement entre la Turquie et l’Union européenne. Cette opinion est partagée également par le Premier ministre, Bohuslav Sobotka, ou encore par l’eurodéputé tchèque Pavel Telička :
« Le résultat du référendum confirme l’orientation de la politique du président Erdogan adoptée après le putsch raté, il y a quelques mois de cela. La Turquie se détourne du chemin que suivraient des pays démocratiques. Il s’agit d’un pas qui éloigne Ankara de l’Union européenne et qui confirme que la Turquie ne peut plus poursuivre les négociations relatives à l’adhésion du pays à l’Union. Bien sûr, la Turquie est un partenaire très important de Bruxelles et nous devrions chercher des moyens pour maintenir des relations mutuelles. Mais la continuation ou non des discussions sur l’adhésion de la Turquie à l’UE dépendra de l’évolution dans le pays. »D’après l’ancien ambassadeur de la République tchèque à Ankara, le turcologue Tomáš Laně, il est peu probable que Recep Tayyip Erdogan change sa rhétorique du jour au lendemain, comme le confirme le fait que le président turc se dit prêt au rétablissement de la peine capitale. M. Laně ajoute pourtant que rien n’est exclu, étant donné que le refroidissement des relations entre Ankara et l’Occident pourrait conduire à une réduction significative des investissements étrangers en Turquie, vitaux pour l’économie du pays.