La construction et le brutalisme mis en avant par le festival Film et Architecture
La 12e édition du Film and Architecture festival s’ouvre le 29 septembre à Prague et dans 28 autres villes à travers la Tchéquie et la Slovaquie. Ce festival, qui se déroule en parallèle à la Journée de l’Architecture (Den Architektury), a pour objet de sensibiliser le grand public aux problématiques et enjeux actuels dans l’architecture et l'urbanisme, mais aussi de donner envie de s’intéresser à l’architecture et au design, ces arts omniprésents dans notre quotidien.
Le dialogue au coeur du festival
Organisé par l’association KRUH, le festival se veut avant tout accessible à tous. Par le biais de courts-métrages, ou de films documentaires, le festival permet aux curieux comme aux passionnés d’en apprendre plus sur ce qui façonne leur ville, et donc leur manière de vivre. Mêlant l’artistique à la sensibilisation et à la compréhension de nos villes, le festival Film et Architecture se veut avant tout être un lieu d’échange entre professionnels du domaine, réalisateurs et citoyens. Karolína Vacková est directrice de la programmation et conservatrice pour l’ONG KRUH.
« Notre but n’est pas de viser et d’attirer un seul petit groupe de connaisseurs, nous cherchons plutôt à instaurer un dialogue autour de l’architecture et des films. Même pour les gens qui ne sont pas vraiment intéressés par l’architecture, mais qui ressentent le besoin de parler de leurs conditions de vie. En général, notre ONG Kruh - mot qui signifie cercle en tchèque - donne la priorité aux débats d’idées qui font participer l’audience, les visiteurs sont invités à s’exprimer. C’est crucial pour nous.”
En choisissant « la construction » comme thème central pour cette édition 2023, le festival souhaite appréhender l’architecture de manière holistique, en la considérant donc dans son ensemble, comme étant un facteur important de nos vies qui change notre quotidien. En effet, selon Karolína Vacková, nous avons largement tendance à sous-estimer l’influence qu’ont l’architecture et l’urbanisme sur notre manière de vivre.
« Nous ne voulions pas simplement montrer des films qui s’intéressent à des constructions de bâtiments remarquables. Nous souhaitons surtout nous concentrer sur la construction dans le sens idéologique et social du terme. Parce que les constructions sociales et idéologiques façonnent nos villes, où nous vivons, et la manière dont nous vivons. Le thème central se concentre donc sur cette manière particulière de concevoir le terme “construction”. Cette conception entend considérer la ville comme facteur à part entière de notre bien-être. L’important est de comprendre que c’est l'humain qui doit façonner la ville et pas l’inverse. Le but, désormais, est de montrer des documentaires plus complexes, intégrant des problématiques sociales, et dont les réalisateurs prennent position. »
Karel Prager et le brutalisme à l’honneur
Cette édition sera l’occasion de célébrer le centenaire de la naissance de Karel Prager, l’un des architectes tchèques les plus célèbres de l’histoire, qui a marqué de son empreinte le paysage pragois. Le festival permettra ainsi aux visiteurs de voir certaines des constructions de l’architecte aussi célèbre que controversé, et dont certains ouvrages suscitent encore aujourd’hui incompréhension et mépris de la part des habitants de Prague. Une mauvaise image que le festival souhaite infléchir, en sensibilisant le public aux qualités du courant brutaliste et des œuvres de Karel Prager.
« La Nouvelle Scène du Théâtre national ou le Musée national, imaginés par Karel Prager, sont aujourd’hui toujours bien utilisés, comparé à d’autres bâtiments de la même époque. Ce sont des exemples de conservation du brutalisme. Ce sont des bâtiments qui ont dû être rénovés, difficilement parfois, et ils sont toujours incompris par la société. Prager a véritablement façonné Prague durant la seconde moitié du XXe siècle. La société voit ses ouvrages avec la perspective actuelle, sans comprendre l’histoire qu’il y a derrière. Ce qui fait surtout la “mauvaise réputation” de Prager est son lien, dans l’imaginaire collectif, avec la transformation architecturale de Prague, où ont été construits de nombreux bâtiments issus du brutalisme ou du réalisme socialiste. »
Le brutalisme est ce courant architectural typique de la seconde moitié du XXe siècle qui a été largement utilisé par les dirigeants communistes. Ce mouvement qui prône la simplicité et l’efficacité architecturale aux dépens du « beau » a fait pousser d’innombrables édifices en béton armé un peu partout dans le monde. Ce style, initié entre autres par Le Corbusier, est très répandu dans les anciens pays communistes mais aussi en France, par exemple. Aujourd’hui décriées, les constructions brutalistes, souvent mal entretenues, sont menacées de démolition un peu partout en Europe, comme l’immeuble Transgas récemment rasé à côté de la radio publique. À travers sa programmation, le festival s’efforce de faire la part belle à ces édifices mal-aimés, afin de protéger cet héritage culturel et architectural.
« Au cours du festival, une des sections s’appelle “Les limites de l’originalité”, et nous nous concentrons principalement sur l’architecture d’après-guerre, plus particulièrement sur le brutalisme. Les bâtiments de cette époque, de ce style, souffrent de leur image, et nombreux sont démolis. Ce n’est pas un enjeu uniquement ici, en Tchéquie, ça touche aussi d’autres pays, même en Europe occidentale ou en Amérique. Pendant longtemps nous nous sommes intéressés au brutalisme et à l’architecture d’après-guerre en général, nous essayons, à travers les films du festival comme “Ode to concrete”, de protéger ces édifices et de trouver des solutions quant à leur avenir. J’ai le sentiment que la société tchèque fait le lien entre le brutalisme et l’ère communiste, c’est un style qui est assimilé au régime. Il est très difficile de comprendre et d'apprécier cette architecture. Je suis une grande fan du brutalisme mais cela ne veut pas dire que je n’y vois aucun problème. »
Prague, ville aux innombrables facettes architecturales
Au-delà de ses structures brutalistes édifiées par Karel Prager, Prague se démarque par sa riche diversité en matière d’architecture. Ayant traversé les époques sans jamais être détruite, la capitale tchèque regorge de bâtiments admirables aux styles variés. Du classicisme au brutalisme en passant par le mouvement art-déco, Prague est un lieu idéal pour accueillir un festival d’architecture de cette envergure. Cette variété architecturale fait l’unicité de Prague selon Karolína Vacková.
« Le cubisme en architecture est quelque chose de très rare. C’est un courant majeur en peinture, en sculpture, en design même, mais pas en architecture. Prague est doté de certains bâtiments, comme ceux de l’architecte Josef Gočár, qui sont accessibles dans le centre-ville. Je pense que c’est réellement quelque chose d’unique qui fait la renommée architecturale de la ville. Vous pouvez aussi visiter la tour de Žižkov, vestige de l’ère communiste qui offre un panorama exceptionnel sur toute la ville. C’est peut-être trop connu mais ça reste intéressant à voir. Baba, le quartier des villas modernes, à Prague 6, et la zone de Barrandov (Prague 5), sont également des endroits méconnus très intéressants à visiter le temps d’une promenade. »
Le festival sera également l’occasion de mettre en avant des projets architecturaux d'importance, ainsi que des portraits d'architectes notables à l'instar de Jan Blažej Santini-Aichel, figure de l’architecture tchèque disparue il y a tout juste trois siècles.