La cueillette des champignons, un sport national en République tchèque

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Les Tchèques sont parmi les cueilleurs de champignons les plus passionnés du monde. Puisque la saison bat son plein, et que les sorties à l’air libre sont recommandées par les autorités tchèques même en cette période de reconfinement, Radio Prague International vous emmène dans une forêt de Bohême pour mieux comprendre la magie de ce passe-temps national.

Photo: Barbora Kmentová

Poussent-ils? Sont-ils sortis de terre ? Ce sont les deux questions que se posent le plus souvent ceux que l’on appelle les « houbaři » - les champignonneurs. Généralement équipés de bottes en caoutchouc, d'un imperméable et d’un panier en osier, ils parcourent les forêts tchèques, les yeux rivés au sol.

Comme dans d’autres pays de la région, en Pologne, en Slovaquie ou encore en Ukraine, et comme aussi par exemple pour les myrtilles elles aussi très prisées durant l’été, la cueillette des champignons sur le territoire tchèque a d’abord été une nécessité avant de devenir le loisir qu’il est aujourd’hui. Ses débuts remontent au Moyen-âge. Le pays en guerre, les gens du peuple, affamés, se sont mis à chercher de quoi se nourrir dans les forêts.

Photo: Štěpánka Budková

Pendant la première moitié du XXe siècle, le ramassage de champignons est devenu un passe-temps populaire grâce à František Smotlacha. Soucieux de la santé de ses concitoyens, le fondateur de l'Association mycologique tchèque a publié un atlas illustré de mycologie pour leur éviter les intoxications. Aujourd’hui encore, les atlas parmi les plus complets sont publiés en République tchèque.

Selon le mycologue Zdeněk Pelda, il existe de nombreuses théories sur les origines de ce grand intérêt des Tchèques pour les champignons :

« Je crois que ce loisir tire sa source du caractère des Tchèques, de leur amour pour la nature. Les statistiques montrent qu’au moins sept millions de Tchèques (environ 70% d’entre eux) vont dans une forêt au moins une fois par an. C’est un passe-temps qui se transmet de génération en génération, et tout le monde se sent concerné. Une autre théorie affirme que la cueillette des champignons, comme d’autres activités similaires, ravive nos anciens instincts naturels. L’homme en tant qu’ancien chasseur-cueilleur devient aujourd’hui pêcheur ou garde-forestier. Cela s’applique aussi aux femmes. »

Photo: Dominika Bernáthová

Les Tchèques voient dans les promenades en forêt un moyen de se reposer, enrichi par la compétition de celui ou celle qui trouvera les champignons les plus beaux, les plus gros ou les plus rares.

« C’est un loisir qui a un effet psychothérapeutique. Il permet d’organiser ses pensées. C’est pourquoi beaucoup ressortent de la forêt de bonne humeur », estime le mycologue. Et cette humeur est évidemment meilleure encore si le panier est bien rempli.

Un passe-temps curieux

A l’exception des pays cités plus haut, la cueillette des champignons est une activité assez peu répandue dans le reste de l’Europe. Selon Zdeněk Pelda, l’enthousiasme des Tchèques pour la chose surprend de nombreux étrangers. C’est le cas par exemple du Mexicain Javier Aldana, dont nous avons croisé le chemin alors qu’il accompagnait ses amis tchèques dans une forêt de Bohême centrale :

Photo: Martin Němec

« Cela me semble être une activité divertissante pour les enfants et la famille, c’est un moment que nous pouvons partager ensemble. Nous profitons de la nature. Cela est totalement nouveau pour moi, parce que ce n’est pas quelque chose que nous faisons au Mexique. D’ailleurs, dans ma région d’origine, les champignons ne poussent même pas, donc nous n’avons pas d’activité de la sorte. »

Javier est néanmoins bien conscient que la cueillette des champignons est susceptible d’être une activité dangereuse puisqu’il faut savoir reconnaître les champignons comestibles des vénéneux.

« Personnellement, je ne suis pas capable de les distinguer, et c’est pourquoi je n’ai pas envie de venir seul dans les bois pour chercher des champignons. Je préfère être accompagné de mes amis tchèques qui, eux, s’y connaissent et ont de l’expérience. J’aurais peur de m’intoxiquer », reconnait Javier.

Zdeněk Pelda mentionne les règles clefs pour éviter les intoxications, tout en mettant en garde contre les mites.

« Vous devez cueillir uniquement les champignons que vous connaissez. Cela pose souvent problème. Beaucoup de gens cueillent tout, font vaguement le tri et si les champignons n’ont de saveur ni amère ni piquante, ils pensent qu’ils ne sont pas vénéneux. Une idée reçue à ce sujet, par exemple, est que nos grands-mères avaient l’habitude de faire cuire les champignons avec un oignon et s’ils noircissaient, alors cela signifiait qu’ils n’étaient pas comestibles. Aujourd’hui il existe des applications qui permettent de reconnaître les champignons, mais elles ne sont pas complètement fiables. Si vous trouvez un champignon que vous ne connaissez pas, je recommande de consulter un atlas ou d’envoyer des photos sur un forum spécialisé, ou tout simplement de demander à ceux qui ont de meilleures connaissances. »

Photo: Pixabay

Malgré ces avertissements, chaque année plusieurs centaines d’intoxications ont lieu enRépublique tchèque, selon le mycologue Pelda :

« Les champignons les plus dangereux sont les oronges vertes dont l’aspect n’est pas répulsif et le goût n’est pas piquant. Certaines personnes qui ont survécu après en avoir mangés, affirment que son goût est proche de celui de la pomme de terre. Le danger se trouve dans le fait que l’intoxication est visible douze heures après l’ingestion, quand elle attaque le foie. Le traitement est le plus souvent compliqué, en particulier quand il s’agit d’une personne à la santé fragile ou d’un enfant. Si quelqu’un ne connaît pas bien le type de champignon qu’il consomme, alors il faut au moins garder un morceau pour qu’il soit plus facile d’identifier le champignon responsable en cas d’intoxication. »

La Tchéquie permet une cueillette illimitée

Photo: Barbora Němcová

Selon les statistiques de l’Université tchèque d’agriculture à Prague, entre 1994 et 2017, les Tchèques ont ramassé l’équivalent de plus de deux milliards d’euros en champignons. Dans beaucoup de pays, cela ne serait pas possible d’après Pelda.

Dans certains pays comme l’Allemagne, la Suisse ou le Luxembourg, il est possible de ne cueillir qu’une quantité limitée de champignons par jour, le plus souvent entre un et deux kilos. En Croatie, un permis spécial est même nécessaire, comme pour la chasse ou la pêche.

La plupart des Tchèques sortent chercher des champignons entre août et octobre. Néanmoins, Zdeněk Pelda affirme qu’il est possible d’en trouver toute l’année. Lui-même en consomme des frais presque quotidiennement.

Photo: Lenka Žižková

L’expert considère que, de son point de vue, le meilleur champignon est la fameuse amanite rougeâtre, qu’il est facile de confondre avec d’autres espèces. Il apprécie également le sparassis crépu.

Les plats contenant des champignons les plus populaires en République tchèque sont notamment les œufs brouillés (smaženice), les champignons panés en tranches, les sauces et les soupes.

Auteurs: Marion Galard , Dominika Bernáthová
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