La jeune fille à la perle

Photo: abcdz2000 / freeimages
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Dans notre dernière émission, nous avions évoqué les filles – holky, et plus précisément les différents sens que possède le mot tchèque. Mais en tchèque, une fille n’est pas seulement une « holka », ce peut être aussi une « dívka » ou une « děvče », et ce n’est alors plus tout à fait la même chose. D’accord, nous direz-vous, mais notre histoire de filles ne tourne-t-elle pas à l’obsession ? Un peu, si, admettons-le. Alors ne râlez pas : oui, nous allons encore parler des filles. D’abord parce qu’elles sont, et pas seulement les tchèques, une inépuisable source d’inspiration. Mais aussi et surtout parce que « dívka » et « děvče » sont eux aussi deux très beaux mots de la langue tchèque…

Photo: abcdz2000 / freeimages
C’est ce que l’on pourrait appeler un « slow tchèque ». On danse certes en couple, on s’enlace, on sent les formes, la moiteur, le souffle et le battement plus ou moins intense du cœur du ou de la partenaire, et plus si affinités… Mais entre deux passages doux et plus lents, le tout est rythmé par des airs de rock. Il fut une époque, au tout début des années 2000, où tous les jeunes Tchèques, tous les garçons et les filles – všichni kluci a holky, qui passaient leurs nuits enfiévrées du vendredi et du samedi dans les boîtes et les bals de village du pays se déhanchaient sur le tube d’Aleš Brichta intitulé « Dívka s perlami ve vlasech » - « La fille aux perles dans les cheveux », dont vous venez d’entendre un extrait. Une chanson qui, bien entendu, n’est pas à confondre avec « La Jeune Fille à la perle » - « Dívka s perlou », le célèbre tableau de Johannes Vermeer où la jeune fille à la beauté envoutante représentée n’a d’ailleurs pas la moindre perle dans les cheveux, puisqu’elle est coiffée d’un turban. N’empêche, qu’il s’agisse de « La fille aux perles dans les cheveux » du rocker tchèque ou de « La Jeune Fille à la perle » du peintre baroque néerlandais, on trouve un point commun : la présence du mot « dívka » dans le titre.

Quelque peu farfelue de prime abord, cette comparaison n’en est pas moins intéressante notamment parce qu’elle confirme ce que nous avons expliqué dans nos précédentes émissions, à savoir que l’usage du mot « dívka » pour désigner une jeune fille est plus soutenu que celui de « holka ». Il existe ici une vraie nuance, essentiellement de style. On pourrait ainsi admettre que la fille aux perles dans les cheveux d’un rocker comme Aleš Brichta puisse aussi être une « holka », forme plus familière. En revanche, on a bien plus de mal à imaginer cet usage pour le chef-d’œuvre qu’est la jeune fille à la perle de Vermeer. Non, ici, c’est bien le mot plus littéraire « dívka » qui convient le mieux.

En s’y intéressant d’un peu plus près, on s’aperçoit d’ailleurs que, à la différence de « holka », ce mot « dívka » ne dispose guère d’autre sens que celui de « jeune fille ». En revanche, il possède un synonyme avec « děvče », dont l’usage est moins courant, mais pas moins littéraire, comme par exemple dans la chanson de l’immortel Waldemar Matuška « Děvče děvče »...

Photo: Archive d'Anastasia Zamyakina
Très belle chanson d’amour au passage avec les paroles suivantes (traduites très littéralement) : « Děvče, děvče, růžový květ, až ti bude na dvacet let, já budu rád tvé lože stlát » - « Fille, fille, fleur rose, quand tu iras sur tes vingt ans, je ferai ton lit avec plaisir » - « Děvče, děvče, růžový květ, až ti bude přes dvacet let, já budu rád v tvém loži spát » - « Fille, fille, fleur rose, quand tu auras plus de vingt ans, je dormirai dans ton lit avec plaisir » - « Děvče, děvče, červený květ, až ti bude víc než je teď, já budu rád tvé tělo hřát » - « Fille, fille, fleur rouge, quand tu seras plus âgée que tu ne l’es maintenant, je te réchaufferai le corps avec plaisir » - « Děvče, děvče, povadlý květ, až ti bude skráň šedivět, já budu rád sám v zemi spát » - « Fille, fille, fleur fanée, quand ta tempe grisonnera, je dormirai seul dans la terre avec plaisir ».

Photo: Archives de Radio Prague
Constatons tout d’abord une chose importante dans cette chanson : le mot « děvče » désigne certes une jeune fille, mais une jeune fille déjà d’un certain âge, une fille en pleine force ou fleur de l’âge. Les Tchèques, surtout s’ils appartiennent aux générations disons un peu plus avancées, utiliseront ce mot « děvče » notamment pour désigner une belle jeune fille. Ils diront alors « je to krásné děvče » bien plus que « je to krásná dívka », et ce surtout s’il s’agit de complimenter une jeune fille qui, comme nous venons de l’entendre avec Waldemar Matuška, devient en fait une jeune femme. Certes, vous entendrez aussi très souvent dire d’une belle jeune fille « je to pěkná holka ». Mais là aussi, la nuance est importante. D’abord parce que même si les deux adjectifs équivalent en français à « belle », « pěkná » n’est pas « krásná ». Une « pěkná holka » est une belle fille, mais cela peut être une mignonne petite fille comme une jolie fille d’une vingtaine d’années, tandis que « krásné děvče » désigne une vraie belle jeune fille, une fille plus belle encore que « seulement » belle ou jolie - « pěkné ». Nous reviendrons d’ailleurs dans une prochaine émission sur la distinction qui existe en tchèque entre les trois adjectifs que sont « pěkné », « hezké » et « krásné » ; trois adjectifs qui ont le même sens principal, celui de « beau », mais pas tous pour le même degré de beauté - krása, celle-ci allant alors de facto en graduant, comme dans la chanson de Jana Petrů et Karel Gott intitulée « Den je krásný », littéralement « La journée est belle », mais qui signifie plutôt « La vie est belle » dans une des plus célèbres des comédies musicales tchèques « Starci na chmelu » - « Défense d’aimer »…

Photo: Archives de Radio Prague
Du mot « děvče », on pourra encore dire un certain nombre de choses. D’un homme qui « court les filles », les Tchèques pourront dire par exemple qu’il« chodí za děvčaty » (« děvčaty »étant ici le pluriel à l’instrumental de « děvče »). On se doute bien qu’il ne s’agit alors plus seulement de courir les « krásná děvčata », mais aussi les « pěkné holky » et parfois même les filles un peu moins belles ou les « děvky », un mot très vulgaire certes proche dans la prononciation du littéraire « dívka », mais qui ne désigne en réalité rien d’autre qu’une putain. Bref, autrement dit encore, ces hommes qui recherchent les aventures amoureuses sont des « děvkaři » - coureurs de jupons, aussi appelés « sukničkáři » en référence au mot « sukně » qui désigne une jupe. Et des hommes, c’est d’eux aussi dont il sera question dans la prochaine émission. D’ici-là, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !