« La liberté de vaincre », nouveau livre sur les victoires des hockeyeurs tchécoslovaques contre l’URSS
Dans l’histoire du sport tchèque, et tchécoslovaque, il est peu de succès plus mémorables que les deux victoires obtenues par l’équipe nationale contre l’URSS au championnat du monde de hockey sur glace en mars 1969. Quelques mois après l’écrasement du Printemps de Prague, ces deux exploits en l’espace d’une semaine par des joueurs gonflés d’orgueil redonnent fierté à tout un peuple, lui faisaint oublier le temps de quelques heures l’humiliation de l’occupation du pays par les troupes soviétiques. C’est à cette glorieuse page de l’histoire du sport tchécoslovaque qu’Ethan Scheiner, professeur américain de sciences politiques, a consacré un livre intitulé « Freedom to Win ».
Torches en papier journal allumées dans la nuit de Prague, concert de klaxons, sourires radieux d’hommes et de femmes qui s’enlacent, mais aussi slogans hostiles et moqueurs contre l’occupant soviétique... Les images d’archives ne mentent pas : lorsque le 28 mars 1969, quelques jours après une première victoire (2-0) à l’issue de laquelle ils avaient refusé de serrer la main de leurs adversaires, les hockeyeurs tchécoslovaques s’imposent de nouveau contre cette même URSS (4-3), l’euphorie s’empare de la place Venceslas. Partout dans le pays, des centaines de milliers de personnes descendent dans la rue pour célébrer ce court instant de liberté retrouvée. Les célébrations se transforment en une immense manifestation politique.
À l’aéroport de Prague, à leur retour de Stockholm, les joueurs sont accueillis en héros par la foule. Peu importe qu’ils n’aient finalement pas remporté le titre de champions du monde. L’essentiel est ailleurs. Obtenues de haute lutte, ces deux victoires au goût de revanche morale font d’eux bien plus que de simples sportifs. Ils deviennent les braves représentants d’un peuple tchécoslovaque touché dans sa dignité la plus profonde quelques mois plus tôt quand les chars des troupes du pacte de Varsovie ont franchi les frontières de la Tchécoslovaquie, mettant fin au rêve de socialisme à visage humain et de plus grande liberté.
Médaillés d’argent aux Jeux olympiques de Grenoble un an plus tôt, où la Tchécoslovaquie avait déjà battu l’URSS, Jan Havel et Jiři Holík sont deux de ces « héros pour l’éternité ». Dans un documentaire pour l’organisation « La Mémoire de la nation », les deux hommes ont expliqué la nature des sentiments qui habitaient alors les joueurs :
Jan Havel : « Nous étions terriblement en colère et nous avions signé une pétition pour faire savoir que nous refusions de serrer la main des Russes après le match. Il ne s’agissait pas seulement de les battre. C’était bien plus que ça. Ce que nous voulions, c’est monter au peuple que nous non plus n’étions pas d’accord avec l’occupation. »
Jiři Holík : « Nous avions même un psychologue, ce qui était très rare dans le sport à l’époque, qui était là pour calmer nos ardeurs. Il nous disait de garder la tête froide pour ne pas perdre nos moyens, mais nous n’avions qu’une envie : marcher sur les Russes. Nous savions que tout le monde au pays n’attendait que ça : botter les fesses des Russes au moins le temps d’un match. Nous étions chauds comme la braise, mais nous étions comme tous les autres jeunes : ce qui se passait dans notre pays nous remuait nous aussi énormément. »
C’est donc pour raconter cette grande histoire, et toutes les autres petites qui l’accompagnent et en ont fait une légende, mais aussi parce que les sources sur cette page de l’histoire de la Tchécoslovaquie au XXe siècle dans d’autres langues que le tchèque sont finalement assez peu nombreuses, qu’Ethan Scheiner a publié son livre « La Liberté de vaincre ». Un titre que ce professeur de sciences politiques à l’université de Californie doit à une autre héroïne du sport tchécoslovaque qui, elle aussi, dû longtemps batailler pour faire valoir sa liberté :
« J’avais envisagé d’intituler mon livre ‘You Send Tanks, We Bring Goals’ (‘Vous nous envoyez des chars, nous vous mettons des buts’), qui était un des slogans inscrits sur les pancartes que les supporters brandissaient dans les tribunes pendant les matchs à Stockholm (‘Vy nám tanky, my vám branky’, en tchèque). Mais j’ai eu la chance d’interviewer Martina Navrátilová, qui a grandi en Tchécoslovaquie et a vu ces matchs lorsqu’elle était enfant sur la petite télévision en noir et blanc qu’avaient ses parents. Elle m’a expliqué la signification de ces matchs contre l’URSS et pour me donner une idée de leur importance, elle m’a dit : ‘Les matchs de hockey allaient au-delà du sport, ils donnaient de l’espoir aux gens, ils nous ont fait comprendre que nous avions encore la liberté de gagner.’ J’ai pensé que c’était incroyable, mais il m’a fallu quelques semaines pour réaliser qu'elle venait de me donner le titre mon livre ! »
Replaçant les performances sportives dans le contexte politique et social de l’époque en Tchécoslovaquie, plaçant aussi les frères Jaroslav et Jiří Holík au centre de son histoire, deux des joueurs qui avaient recouvert l’étoile rouge sur leur maillot de ruban adhésif noir lors du deuxième match, Ethan Scheiner estime que son livre s’adresse aussi bien aux amoureux de sport qu'aux amateurs d’histoire tout court :
« À partir du moment où je l’ai découverte, il m'est devenu impossible d'arrêter d’y penser. À mes yeux, c’est l’histoire la plus extraordinaire qui soit de la façon dont le sport a pu jouer un rôle dans la politique de l’époque et a inspiré un peuple. Pour moi, cette histoire a même fini par devenir une obsession. »