La maison cubiste à la Madone noire
Depuis quelques jours, la liste du patrimoine culturel national est enrichie de trente-huit nouveaux monuments. L’occasion de vous présenter le premier d’entre eux : la maison cubiste appelée A la Madone noire, située au coin de la rue Celetná, à quelque pas de la place de la Vieille-Ville. Un édifice incontournable, à la façade ocre et aux formes très originales dans lequel tout, depuis l’entrée jusqu’au toit, se décline sur le mode cubiste. Le premier étage, avec une terrasse, est occupé par le Grand Café Orient, qui prétend d’être le seul café de style cubiste au monde. Le nom du site vient de la statuette baroque de la Madone noire dont une copie orne l’angle de la maison entièrement dédiée au cubisme, mais incorporée avec sensibilité dans le quartier gothique et baroque de la Vieille-Ville de Prague.
« Gočár s’est vu obligé de modifier son projet. La nouvelle commande impliquait de diminuer les fenêtres et d’alléger le toit. Il adapte le projet à ce changement, en mettant en revanche en relief les éléments cubistes du bâtiment. »
Déjà dans le premier projet de 1911, la maison possédait une façade en ogive, un toit mansardé et segmenté ainsi que des corniches pointues au-dessus des fenêtres. Le projet remanié soumis en janvier 1912 y ajoute une entrée cubiste, et ce style continue avec la rambarde d’escalier, les chapiteaux cubistes des colonnes situées entre les fenêtres et les baies vitrées. Un phénomène national dont Josef Gočár est l’un de ses premiers protagonistes voit alors le jour : l’architecture cubiste tchèque. Le Grand Café Orient, au premier étage, entièrement aménagé dans ce style, est rare et unique en son genre. Pourtant, au moment de son ouverture, en 1912, le café n’avait que huit ans de vie devant soi. Dans les années 1920, le cubisme tombe en disgrâce, le café est fermé pour être remplacé par des bureaux. Après la guerre, la maison allait être occupée par une société de foires et d’expositions.
Un tournant se produit après 1989, avec un nouveau locataire qui décide de redonner au site son aspect d’origine, y compris le fameux Café Orient. Renata Hendrychová est la patronne du café à nouveau ouvert :« C’était des locaux vides, et la seule chose qui avait été conservée c’était quatre photographies d’époque, noir et blanc. A partir de ces photos et en collaboration avec des experts de la Galerie nationale, nous avons essayé de créer une réplique fidèle du café tel qu’il était en 1912. »
Le mobilier de style cubiste – chaises, tables, sofas revêtus de tissus rayés de couleur blanche et verte, lustres, accessoires, vaisselle, tout a été scrupuleusement respecté. Sur les objets en bois, on peut apercevoir un motif typique de la période tardive du cubisme tchèque, le motif de coraux reliés produisant l’impression d’un collier de corail. Cette même décoration se répète sur des services à thé de Pavel Janák qui se vendent au rez-de-chaussée de la maison à la Madone noire, dans la galerie Kubista, avec d’autres objets comme verre, bijoux, textile, lustres, affiches, livres et meubles. A quelques exceptions près comme les sucriers cubistes, tout dans ce café est aujourd’hui l’identique de ce que l’on peut voir sur les photos d’époque : le locataire a même eu la chance de trouver un piano cubiste qui complète le décor de la salle. En octobre 1994, la maison cubiste A la Madone noire a été inaugurée après une restauration complète, pour abriter un nouveau centre des arts plastiques au cœur de Prague. Les quatrième et cinquième étages sont réservés à des expositions permanentes sur tous les aspects du cubisme tchèque couvrant une période entre 1911-1919. Des œuvres provenant des collections de la Galerie nationale nous sont présentées par Olga Uhrová :« On peut y trouver les meilleurs tableaux des peintres cubistes tchèques : Bohumil Kubišta et Emil Filla, des plastiques d’Otto Gutfreund, ainsi que des toiles de Čapek, Špála, Procházka et autres. Y sont également exposés divers documents et projets d’architecture ou encore des meubles. »Aucune discipline des arts n’est omise dans la maison cubiste A la Madone noire. Les expositions saisissent dans toute son ampleur le phénomène du cubisme tchèque qui a créé, notamment à Prague, tout un style de vie. Nulle part ailleurs qu’en Bohême, l’architecture cubiste n’a été poussée aussi loin. En on trouve des spécimens précieux dans le quartier de Vyšehrad. En dehors de Prague, tout un quartier d’habitation de la ville de Hradec Králové a été façonné par Josef Gočár sur les principes du cubisme.
L’architecture cubiste est en effet un phénomène spécifique tchèque. C’est d’ailleurs tout ce style qui a ses particularismes en Bohême. Tandis qu’à Paris, le cubisme était un art élitiste, créé dans des ateliers, il en était autrement en Bohême où il répondait au désir de créer un véritable style de vie. Il a infiltré la population, en s’imposant dans l’architecture et dans les objets d’usage quotidien. L’inscription de la maison A la Madone noire sur la liste du patrimoine culturel classé n’a pas qu’une valeur symbolique. Le statut de monument national, c’est le privilège de bénéficier d’une protection majeure de la part de l’Etat, d’avoir un accès plus facile aux programmes de subventions, pour être, somme toute, plus attrayant encore pour ses visiteurs.