La mort d'Eduard Goldstücker
La mort d'Eduard Goldstücker qui vient de s'éteindre à Prague à l'âge de 87 ans, ferme un chapitre important de la vie culturelle tchèque. Sa vie personnelle n'a pas échappé aux spasmes de l'histoire tchèque du 20ème siècle. Né en 1913 en Slovaquie, il étudie les langues germaniques et romanes à l'Université Charles de Prague. Juif, il est obligé, en 1939, de s'exiler en Grande-Bretagne où il étudie à Oxford et travaille dans le gouvernement tchécoslovaque d'exil. Après la guerre, il devient ambassadeur de Tchécoslovaquie en Israel. Victime d'un procès stalinien en 1951, il est condamné à perpétuité. Réhabilité au bout de quatre ans, Eduard Goldstücker se lance avec énergie dans une carrière universitaire brillante et devient professeur de la chaire des langues germaniques de la Faculté des lettres de Prague. Le rayonnement et l'autorité de cet intellectuel communiste dépassent bientôt les limites de la culture et touchent aussi le domaine politique. En 1968, il est élu président de l'Union des écrivains tchécoslovaques et député du Conseil national tchèque. Lorsque l'armée soviétique occupe, en 1968, la Tchécoslovaquie, il se sait visé par les normalisateurs et déclare, désabusé: "Maintenant nous irons tous en Sibérie et moi, le premier." Bientôt il devient l'objet d'une campagne haineuse et choisit, une fois de plus, l'exil britannique. Il enseigne au Sussex et donne des conférences aux Etats-Unis, en Allemagne et en Suède. Il ne revient à Prague qu'en 1990. Eduard Goldstücker était non seulement spécialiste de la littérature allemande du siècle dernier, mais il s'est fait connaître surtout par ses travaux concernant la littérature juive pragoise de langue allemande du 20ème siècle. C'est lui qui a organisé, en 1963 à Prague, la première conférence sur Franz Kafka et a brisé le silence pesant sur l'oeuvre de cet auteur génial. La lecture des Mémoires d'Eduard Goldstücker, qui, publiées en allemand, attendent toujours leur publication en tchèque, donnerait sans doute beaucoup d'information intéressantes sur cette vie pleine de rebondissements. Vers la fin de sa vie, Godstücker était pessimiste. Récemment, il a déclaré pour le journal Pravo: "Il n'y a pas de progrès. Le seul progrès qui existe est peut-être le perfectionnement des mécanismes qui servent à la manipulation des marchés et du monde. (...) Nous marchons, éveillés, vers la catastrophe."