La pauvreté en République tchèque : ces chiffres qui ne disent pas tout

Photo: Commission européenne

La pauvreté en République tchèque », tel était l’intitulé de la conférence qui s’est tenue ce mardi au Sénat et qui s’articulait autour de trois perspectives : la pauvreté en tant que problème social, la distribution régionale de la pauvreté et la pauvreté au travail. Au micro de Radio Prague, l’économiste Ilona Švihlíková et l’expert en développement régional Tomáš Tožička, deux intervenants à la conférence, se rejoignent dans leurs analyses respectives du phénomène de la pauvreté au niveau national et des implications de la mondialisation et des tendances macroéconomiques.

Photo: Commission européenne
En 2012 en République tchèque, 4.675% des personnes se trouvaient en-dessous du seuil du risque de pauvreté, selon les chiffres fournis par Eurostat, agence européenne de statistiques qui place le seuil de pauvreté à 60% du revenu médian. S’il s’agit effectivement d’un nombre parmi les moins élevés dans l’Union européenne, il est accompagné par des paramètres plus inquiétants, notamment par un taux très faible de gens qui réussissent à sortir de la précarité et par des statistiques alarmantes sur la pauvreté des enfants, deux fois plus élevée que celle des adultes. De plus, la tendance sur plusieurs années est à une aggravation de ce phénomène de pauvreté, même si cela n’est pas spécifique à la République tchèque. Il s’agit plutôt des reflets de défis qui se présentent au niveau global. On écoute Ilona Švihlíková qui explicite trois tendances qui nous touchent tous :

Ilona Švihlíková,  photo: Alžběta Švarcová,  ČRo
« La première tendance, depuis les années 1970, veut qu’en vertu des principes néolibéraux, le marché soit considéré comme un agent de répartition juste des ressources. Ensuite, il y a des changements sur le marché du travail dont on peut en nommer deux : si la productivité du travail s’accroît, cela ne se répercute plus sur une hausse correspondante des salaires et la croissance du PIB n’implique plus une création des nouveaux emplois. Enfin, on observe une tendance à remplacer le travail des gens par le travail des machines, sans leur offrir une possibilité de se déplacer vers un autre secteur. Dans mon opinion, seul le secteur public pourrait offrir cette possibilité de se réaliser ailleurs. »

Dans sa contribution, Tomáš Tožička développe les effets de la globalisation qui a échoué à créer une société globale plus égale. Au contraire, elle produit des îlots de richesse et génère des océans de la pauvreté. Et la situation en République tchèque est analogue à celle qu’on retrouve au niveau mondial :

Tomáš Tožička,  photo: YouTube
« La République tchèque n’est pas immunisée contre ce développement. Au niveau national, les centres de production, comme Mladá Boleslav, ou les centres d’administration, comme Prague, attirent les sièges des entreprises, des experts et des scientifiques d’excellence mais aussi le financement public. Paradoxalement, les régions, qui produisent les biens et génèrent une valeur ajoutée subventionnent ces centres déjà riches. Cette tendance s’accentue encore à Prague. La capitale reçoit plus d’argent public par habitant que les communes en régions, quand bien même ces régions sont confrontées à des défis économiques et sociaux plus graves. Les subventions devraient être égales par habitant ou alors les régions défavorisées devraient obtenir plus de moyens, par exemple 50% de plus par habitant que dans les zones plus riches. »

La solution proposée par Tomáš Tožička consiste à créer plusieurs centres de production et de gestion sur le territoire, c’est-à-dire d’encourager le polycentrisme. Ilona Švihlíková complète son propos. Il faudrait d’un côté inciter l’entrepreneuriat social ainsi que différentes formes d’association coopérative. Par ailleurs, il faudrait accentuer l’empathie sociale entre les gens dès le plus jeune âge car, comme elle le constate, la pauvreté n’est pas seulement un grave problème social mais également un instrument de manipulation politique :

Photo: Barbora Kmentová
« Je considère que le terme de pauvreté est manipulé dans le discours public. En jouant sur une soi-disant rareté des ressources, les élites peuvent favoriser une rivalité entre les différents groupes dans la société avec une rhétorique qui vise à chaque fois un groupe différent susceptible de profiter des ressources publiques au détriment d’un autre groupe dans le sens suivant : « si on donne aux minorités, il ne nous reste plus des moyens pour les personnes à la retraite, etc. » C’est une stratégie très réussie dans le contexte tchèque. »

Les contributions de tous les intervenants seront prochainement mises à disposition des lecteurs sur le site de l’Académie démocratique de Masaryk qui participait à l’organisation de la conférence.