La Shoah et les exilés

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Dans le contexte de la Journée internationale de l'Holocauste, le 27 janvier dernier, nous revenons dans ces Chapitres, sur la tragédie des Juifs tchèques. Dans ce numéro, nous nous intéresserons aux Juifs tchèques du dehors : les exilés, rattrapés par la persécution ou les évadés, rares, qui purent y échapper...

Sur les 118 00 Juifs que comptent la Bohême, la Moravie et la Silésie en 1939, 88 000 environ seront déportées et 10 500 en reviendront. Sans compter les victimes d'exécutions sommaires. Et puis il y aussi la Slovaquie voisine, dont les Juifs appartenaient naguère à la Tchécoslovaquie démocratique de Masaryk. Selon un recensement du 15 décembre 1940, on compte environ 90 000 Juifs en Slovaquie. 60 000 seront déportés à Auschwitz après l'accord, signé en mars 1942, entre la Slovaquie de Tiso et l'Allemagne. La plupart des autres Juifs sont enfermés dans des camps de travail, principalement à Sered et à Novaky.

Au total, c'est environ 70 % des Juifs tchécoslovaques qui auront été assassinés. A titre de comparaison, la France voit 25 % de la communauté juive frappée par les déportations.

Avec l'arrivée des troupes allemandes en Bohême, de nombreux Juifs tchèques s'exilent, dont beaucoup en France. Sans doute pensent-ils trouver dans la patrie des Droits de l'Homme un refuge contre la barbarie nazie. Ils déchanteront vite.

En 1940, la France est vaincue par l'Allemagne. Le maréchal Pétain prend en main le pouvoir et la Révolution nationale est en marche. La France aligne sur l'occupant ses lois raciales. Sur les 300 000 Juifs que compte la France en 1939, la moitié est constituée d'émigrés d'Europe centrale et orientale, qui ont fui les persécutions. Ce sont eux qui seront les premiers visés par Vichy. Ils l'étaient déjà par l'antisémitisme latent qui touche une partie de l'intelligentsia d'avant guerre. L'écrivain Jean Giraudoux ne met-il pas en garde en 1939, dans son livre "Plein Pouvoirs", contre "les centaines de mille d'Askenazis échappés des ghettos polonais et roumains".

Les premières lois antisémites de Vichy concernent justement ces Juifs, avant de s'étendre au reste de la population juive. La loi du 4 octobre 1940, qui inaugure le Statut des Juifs, autorise l'internement des Juifs étrangers. Les grandes rafles de l'été 1942, dont celle du Vél'd'Hiv', les toucheront en premier lieu. Au total, plus de 12 000 personnes seront déportées. En mai 1941 déjà, 3 700 Juifs allemands, tchèques et polonais avaient été arrêtés et enfermés dans le camp de Drancy.

Dans le dernier numéro des Chapitres de l'Histoire, nous avions évoqué les sauvetages d'enfants juifs dans le Protectorat de Bohême-Moravie. Il y eut également, de l'étranger, quelques tentatives pour sauver des Juifs tchèques, et ce principalement de Grande-Bretagne. A titre individuel d'abord.

Entre le 13 mars et le 2 août 1939, Nicholas Winton, un banquier britannique de 29 ans, permet l'évacuation de 669 enfants juifs, principalement tchèques, des camps de la mort nazis. Depuis Londres, il tente de faire émigrer les enfants tchèques, tout en s'assurant que le ministère de l'Intérieur anglais les accepte sur le sol britannique et leur trouve des familles d'accueil. Nicholas Winton ayant, pour des raisons inconnues, choisi de garder le silence, cette histoire n'a été révélée qu'en 1988 ! Cette année fut découvert un cahier oublié, dans lequel figurait une liste d'enfants, accompagnée de leurs photos et de télégrammes. Une autre tentative de sauvetage vient de l'Etat anglais. En 1939, dans le cadre d'un programme connu sous le nom de Kindertransport, la Grande-Bretagne accepta de recevoir en urgence 10 000 enfants juifs non accompagnés. Tous ceux qui n'ont pas eu la chance de partir ont dû compter sur leurs propres forces quant ils n'ont pas, plus rarement, bénéficié d'aides locales. Un petit nombre de Juifs tchécoslovaques déportés réussira pourtant à s'échapper. Autant de noms qui se comptent presque sur les doigts des deux mains.

La prison de Spielberg à Brno
Né en 1911, Erich Schon était l'un des cinq enfants d'une famille de Juifs de Vsetin, une petite ville située en Moravie orientale. En 1939, il aidera des soldats tchèques à fuire la Moravie pour la Slovaquie. Arrêté par la Gestapo, il sera torturé dans le château de Spielberg à Brno. Les nazis y avaient aménagé une prison tristement célèbre. Erich Schon fera ensuite plusieurs camps, de Dachau à Auschwitz, en 1942. Lors d'un transfert à Mauthausen, il réussira à d'évader avec son petit garçon de 11 ans. Il reviendra en Tchécoslovaquie après la fin de la guerre et assistera au procès du commandant d'Auschwitz, Rudolf Hoess.

Miso Vogel, quant à lui, est né en 1923 à Jacovce, en Slovaquie. Sa famille fut déportée à Auschwitz. Transféré dans le camp de travail de Landsberg, Miso s'enfuit à travers bois en avril 1945, au moment où l'armée américaine entrait dans la région. En 1946, il émigre en Amérique.

On pourrait encore multiplier les itinéraires car l'histoire de cette époque, c'est avant tout une multitude d'histoires individuels, frappées par l'impensable.