La situation en Afghanistan vue par la presse tchèque
Cette nouvelle revue de la presse propose le regard des médias tchèques sur l’évolution en Afghanistan. Dans ce contexte, elle s’interroge également sur la politique tchèque migratoire et d’intégration. La nouvelle situation et la crainte d’une nouvelle vague migratoire peuvent-elles influencer les élections législatives d’octobre en Tchéquie ? Le centenaire de parti communiste sera également évoqué.
La situation en Afghanistan représente la plus grande débâcle de la politique internationale sécuritaire, américaine, occidentale et tchèque, depuis la fin de la guerre froide. C’est un point sur lequel se mettent d’accord la majorité des médias tchèques. Le journal Hospodářské noviny ajoute que « aussi paradoxal que cela puisse paraître, les Américains ont bien fait en se retirant de l’Afghanistan. » Selon lui, aucune autre alternative raisonnable n’existait. « Une fin horrible vaut mieux qu’une horreur sans fin », écrit-il.
« L’Occident a essuyé une grande défaite », souligne de son côté un des chroniqueurs de l’hebdomadaire Respekt :
« Il est vrai que dans cette partie de l’Asie centrale, il y a beaucoup de ceux, parmi lesquels se distingue notamment l’Union soviétique, qui s’y sont cassés les dents. Mais les conséquences du choc moral de ce dernier échec se feront ressentir très lourdement. Tous les projets et affirmations concernant l’édification de l’Afghanistan étant balayés, le retrait ressemble à une fuite en panique. La lenteur qui accompagne l’évacuation des collaborateurs locaux des alliés sape le profil moral de ces derniers pour de longues années. L’Occident et les Américains ont montré les limites de leur pouvoir et de leur volonté. »
L’auteur d’un commentaire mis en ligne sur le site du magazine Reflex va plus loin encore, prétendant que « le fiasco afghan est un nouveau clou dans le cercueil de notre civilisation euro-américaine ». Nous citons :
« Difficile d’imaginer un scénario qui soit pire que celui dont nous sommes actuellement les témoins. Nous avons trahi les Afghans, les soldats alliés et nos valeurs. Seul le mot fiasco est à même de décrire l’évacuation chaotique depuis l’Afghanistan. Les pertes sont d’ordres militaire, stratégique, diplomatique et, en premier lieu, moral et humain. »
« Aussi tragique que soit le cas de l’Afghanistan, il ne fait que confirmer une évolution du monde devant laquelle les gens ont tendance à fermer les yeux », estime un commentateur du site novinky.cz :
« L’islam radical qui, une nouvelle fois, occupe le devant de la scène, représente un exemple visible de l’étrangeté qui nous menace. Un exemple qui l’est beaucoup plus que celui donné par des régimes qui sont pourtant géographiquement et culturellement plus proches. Certes, les émotions et les inquiétudes provoquées par la victoire des talibans en Afghanistan sont justifiées. D’un autre côté, peu de gens accordent une telle attention aux brutalités commises dans les pays slaves ‘frères’, en Russie et en Biélorussie, qui durent depuis longtemps et qui se multiplient. »
La Tchéquie en manque d’une politique d’intégration ?
Le site aktualne.cz porte un autre regard sur la situation en Afghanistan en se penchant sur la position tchèque à l’égard de la migration. « Notre ‘non’ aux réfugiés va nous apporter des désillusions », titre le texte qui est consacré à ce sujet et qui indique :
« A l’heure actuelle, chaque Etat européen craint une vague migratoire provenant de l’Afghanistan. Mais il n’y a que la Tchéquie qui y sera confrontée sans posséder une politique migratoire et d’intégration réfléchie car, pendant des années, elle proclamait qu’elle ne voulait accueillir aucun migrant. Voilà pourquoi, face à de graves crises sécuritaires, elle doit recourir à des procédés précipités et montés de toutes pièces. »
« Force est de constater que la politique tchèque anti-immigration n’a pas commencé avec le Premier ministre Andrej Babiš », rappelle le commentateur du site aktualne.cz. Dès 2017, un projet relatif à l’intégration des réfugiés qui faciliterait aujourd’hui l’accueil des interprètes afghans évacués, a été stoppé. Dès lors, la campagne anti-immigration est devenue en Tchéquie une position standard qui semble garantir aux partis politiques une réussite aux élections.
« Il faut espérer que des présidents de région auront le courage de prendre en charge l’accueil de personnes qui ont pris en Afghanistan de grands risques pour nos soldats. Une mission apparemment difficile à accomplir pour les dirigeants d’Etat ».
Les élections législatives tchèques au vu de l’évolution en Afghanistan
Tout donne à croire que la situation en Afghanistan et la migration auront un certain impact sur les élections législatives qui auront lieu d’ici six semaines en Tchéquie, constate un texte publié dans le quotidien Lidové noviny de ce mercredi. Son auteur explique :
« La fuite de milliers d’Afghans de leur pays va très probablement soulever chez une partie des électeurs tchèques des craintes liées à la migration. Cette situation profite évidemment à l’ensemble des partis politiques qui tiennent un discours anti-migration, prudent ou déterminé. Tel est le cas notamment du parti d’extrême droite SPD de Tomio Okamura qui s’est strictemenent opposé à l’accueil dans le pays d’interprètes afghans, tout en sachant que celui-ci n’allait concerner que quelques dizaines de personnes et leurs familles. »
De l’avis d’observateurs politiques cités dans Lidové noviny, une vague de réfugiés pourrait effectivement influencer la scène politique tchèque. Toutefois, il faudrait pour cela voir des centaines de milliers d’Afghans déferler sur l’Europe. « Les perdants, dans cette situation, ce seraient les deux coalitions d’opposition de centre et de droite », indique encore le journal.
Le quotidien Mladá fronta Dnes de ce jeudi rapporte que, selon un sondage de l’agence STEM/MARK, la migration constitue pour plus de la moitié des Tchèques une menace réelle et pas seulement « un sujet électoral artificiellement inventé ». Le sondage, souligne-t-il, a été effectué fin juillet, donc avant la prise du pouvoir en Afghanistan par les talibans. Et de poursuivre :
« Il est très probable que pour les réfugiés afghans, tant qu’ils se trouvent sur le territoire tchèque, la Tchéquie ne sera pas une destination d’accueil mais un pays de transit. Toutefois, le problème existe désormais pour devenir un sujet électoral ‘attrayant’. On peut s’attendre à ce que le débat qui sera mené sur cette question soit houleux et peu scrupuleux ».
La lutte finale pour les communistes tchèques ?
« C’est la lutte finale ». Tel est le titre d’un article qui a été publié dans le journal en ligne Deník Referendum et qui paraphrase les paroles de l’Internationale, le célèbre chant révolutionnaire intérpété par tous les communistes. Elles expriment parfaitement, selon son auteur, la situation actuelle des communistes tchèques :
« Le Parti communiste de Bohême et de Moravie (KSČM) est sur le départ. Il s’avère peu probable que le parti dont les membres et l’électorat sont pour la plupart âgés - pour ne pas dire très âgés - puisse inverser cette tendance. Apparemment, l’idéologie communiste n’attire plus. Comme le parti n’a déployé durant les années écoulées aucun effort pour avoir un certain intérêt pour les jeunes, c’est presqu’uniquement sur ces catégories d’âge, nostalgiques de l’ancien régime, qu’il peut compter. Le départ de certains de ces sympathisants vers d’autres formations politiques dites de protestation et vers le mouvement ANO est une autre tendance qui l’a affaibli. »
« Il est fort probable que pour la première fois dans leur histoire, les communistes ne dépassent pas aux élections législatives d’octobre la barre de 5% nécessaires pour l’entrée au Parlement », constate le chroniqueur avant de conclure : « Cette disparition de la scène politique aurait, pour le parti qui fête cette année ses 100 ans d’existence, une valeur tristement symbolique. »