L'ambassade tchèque dans le 15e arrondissement de Paris chargée d'histoire et de souvenirs
Il y a tout juste un mois, le 28 septembre 2004, ont été solennellement rouverts, après deux ans de travaux de rénovation, les locaux de l'ambassade tchèque à Paris. Ce charmant hôtel particulier, situé 15 avenue Charles Floquet, est une chronique... on serait tenté de dire vivante, s'il ne s'agissait pas d'un bâtiment... Une chronique de l'histoire tchécoslovaque et tchèque, des liens entre Paris et Prague. Aujourd'hui, vous êtes conviés à le visiter, en compagnie des personnes qui ont la chance d'y passer, ou d'y avoir passé, quelque années de leur vie.Construit en 1912, en style néo-classiciste, le palais appartenait, à l'origine, à la duchesse de Ligne, née de la Rochefoucault, donc à une noblesse franco-belge. Les diplomates tchèques et slovaques s'y sont installés un an après la création de leur Etat indépendant. Ecoutez Karel Peroutka qui est actuellement le Premier secrétaire de l'ambassade tchèque à Paris...
Avec Karel Peroutka, nous sommes assis dans un splendide salon du premier étage, qui nous plonge dans l'ambiance de la France impériale. Au rez-de-chaussée, dans les salles où se tient, à l'occasion de la réouverture de l'ambassade, une soirée franco-tchèque, se trouve aussi quelque chose de précieux. Ce sont... "Trois tapisseries restaurées, datant de 1750. Elles proviennent d'un atelier bruxellois et leur auteur présumé est Peter Van der Borgh." J'avais visité l'ambassade avant la reconstruction et je me souviens d'un vieil ascenseur qui a disparu...
"Eh oui... C'est la seule chose qui me manque ici, et pas seulement à moi. Ça été drôle de se dire qu'avant nous, c'était Masaryk ou Benes qui l'avaient pris lors de leurs séjours à l'ambassade. En plus, il était de ce genre d'ascenseurs que l'on voit dans des vieux films policiers, dans des films avec Gabin... C'était vraiment un symbole de l'ancien Paris. Nous avons reproché un peu aux architectes de l'avoir remplacé par un ascenseur moderne, qui est d'ailleurs plus lent que l'ancien..."Dans un couloir du premier étage est installée une exposition de photographies et de documents historiques, retraçant l'histoire des relations diplomatiques franco-tchèques, établies en octobre 1918. Comme toujours, ce qui captive, se grave dans la mémoire, ce sont les "images de la vie" : je me souviendrai toujours de cette photo où Jan Masaryk coupe une tarte. Le ministre des Affaires étrangères, fils du Président Masaryk, fête son anniversaire à notre ambassade à Paris, peu avant sa mort tragique à Prague, en 1948. Karel Peroutka, auteur de l'exposition, est attaché à une autre photo.
"Dans un des salons de l'ambassade, que je connais très bien, on voit notre premier Président Tomas Garrigue Masaryk, le ministre des Affaires étrangères Edvard Benes, le ministre plénipotentiaire Stefan Osusky et son épouse. Aujourd'hui, ce salon est aménagé exactement de la même façon, presque rien n'y a changé. Et la photo a été prise le 17 octobre 1923..."Dans la pléiade d'ambassadeurs tchécoslovaques à Paris, on trouve plusieurs personnalités distinctes qui ont fait preuve d'un courage et d'une humanité exemplaires... Des moments cruciaux de l'histoire tchécoslovaque ont jalonné leurs carrières : 1939, 1948, 1968... Le journaliste, commentateur et historien Jaroslav Jiru, ancien attaché de presse à l'ambassade tchèque en France, nous rappelle leurs noms...
"Entre-deux-guerres, nous avions, à Paris, un diplomate remarquable, le ministre plénipotentiaire Stefan Osusky. Il a représenté la Tchécoslovaquie pendant vingt ans, ce qui était assez exceptionnel. Il a joué un certain rôle à la Société des nations. Mais ce n'était pas un grand ami du Président Benes. Après les Accords de Munich, il y a eu une controverse entre Osusky et Benes, car ils avaient des conceptions tout à fait différentes. Mais il faut souligner qu'après l'invasion des armées allemandes en Tchécoslovaquie, Osusky a refusé de quitter son ambassade qui est devenue un centre de résistance tchécoslovaque contre les nazis. Ensuite, après la Deuxième Guerre mondiale, nous avons eu un autre ambassadeur remarquable, Adolf Hoffmeister. Il est venu à Paris après le Coup de Prague, en 1948. Bien qu'obligé de respecter les interdits du régime, il a tout fait pour maintenir nos contacts avec des artistes, écrivains et cinéastes français. Enfin, je rappellerais le nom de Vilem Pithart qui a joué un rôle formidable en 1968."
Vilem Pithart... nom que presque tous nos interlocuteurs à Paris ont évoqué. Le jour de la réouverture de l'ambassade tchèque rénovée, son fils et l'actuel Président du Sénat tchèque, Petr Pithart, y a été nommé, par son homologue français Christian Poncelet, Officier de la Légion d'Honneur."J'avais visité ce bâtiment de l'ambassade plusieurs fois du temps de ma jeunesse, lorsque mon père y travaillait comme ambassadeur. A la fin des années 60, il était un des rares diplomates tchécoslovaques à se comporter comme il fallait. Au moment de l'invasion soviétique, il était à Marianske Lazne, en Bohême, mais il est immédiatement rentré à Paris et a demandé de l'aide auprès du général De Gaulle. Pour protester contre l'occupation, il a organisé plusieurs conférences de presses à l'ambassade. Evidemment, on l'a vite révoqué et nous nous sommes tous deux retrouvés à la campagne, dans une roulotte, en tant qu'ouvriers dans une entreprise de l'économie des eaux."
1989, Révolution de velours. En 1990, Petr Pithart devient chef du gouvernement et son collègue dissident, Jaroslav Sedivy, premier ambassadeur de la Tchécoslovaquie libre à Paris. Vous souvenez-vous du médecin Tomas, le héros de "L'Insoutenable légèreté de l'être", laveur de carreaux dans la Prague des années 70 ? Son histoire et celle de Jaroslav Sedivy, ami de Milan Kundera, ont quelques traits communs... Ennemi du régime communiste, Jaroslav Sedivy, a sillonné, pendant dix-sept ans, Prague, seau et serpillière en mains. Il a lavé plus de 12 000 fenêtres de quelque 2500 appartements, sans compter les kilomètres de vitrines... Profitant aujourd'hui de sa retraite, il écrit un ouvrage sur la première décennie de la République tchèque post-communiste, pendant laquelle il fut ministre des Affaires étrangères, ambassadeur à Bruxelles et à Berne et presque candidat à la présidence de la République. Paris occupe une place à part dans ses souvenirs. On comprend vite pourquoi...
"Je suis arrivé à Paris le 20 juin 1990 et en neuf jours, j'ai été invité à remettre les lettres de créance au Président français. C'était quelque chose d'exceptionnel : normalement, il faut attendre un, deux ou trois mois. A chaque fois, cette cérémonie est suivie d'une courte rencontre informelle, dirais-je, entre le Président et le nouvel ambassadeur. François Mitterrand et moi, nous avons discuté à peu près une demi-heure. En sortant du salon, où il m'avait reçu, j'ai croisé le chef de protocole, qui m'a dit qu'habituellement, François Mitterrand restait avec de nouveaux ambassadeurs quinze minutes au maximum... En diplomatie, chaque détail a sa signification particulière. Dans ce cas-là, cela signifiait que le Président français accordait une importance particulière aux relations avec la 'nouvelle' Tchécoslovaquie."
Du poste d'ambassadeur tchécoslovaque, Jaroslav Sedivy passe, début 1993, à celui d'ambassadeur tchèque. Comment a-t-il vécu la partition de la Tchécoslovaquie ?
"Je n'étais pas d'accord avec cette décision à mon avis précipitée... Mais c'était comme ça, on n'y pouvait rien. Evidemment, cette nouvelle situation a entraîné des difficultés d'ordre pratique : ni les Tchèques ni les Slovaques ne voulaient quitter ce bâtiment de l'ambassade. J'ai eu de longues discussions à ce sujet avec le chef de la diplomatie slovaque Milan Knazko qui est aussi francophile. Enfin, un compromis a été trouvé : la République slovaque a installé son ambassade dans l'ancien siège de la section commerciale, dans le 16e arrondissement."
A cheval entre le journalisme et la diplomatie, les attachés de presse auprès des ambassades mènent une double vie. Un poste où l'on ne s'ennuie vraiment pas... Jaroslav Jiru a passé six ans à Paris, après la chute du régime communiste.
"J'étais diplomate, mais en même temps, j'avais des amis dans toutes les rédactions françaises, que ce soit Le Monde, Le Figaro, Libération etc. Je connaisais personnelement Sylvie Kaufmann, Véronique Soulé... J'ai fait mon possible pour que les relations entre la France et la République tchèque, pays qui ont, d'après moi, un rôle à jouer en Europe, soient plus visibles."
Et vos souvenirs des séjours du Président Havel en France ?
"Ce qui n'arrête pas de me surprendre, c'était la renommé dont il jouit auprès des Français. Une fois, on est allé, ma femme et moi, aux puces, Porte de Clignancourt. Soudain, un homme nous demande : 'Excusez-moi, c'est quelle langue que vous parlez ?' Je lui dis que c'est le tchèque et il me répond : 'Ah, mais vous avez un Président absolument sympathique !... '"
Son tout premier séjour à Paris, après la Révolution de velours ? Vous en étiez témoins...
"Je m'en souviens parfaitement. C'était en 1990 et je faisais partie de sa suite. Je me souviens surtout de ses retrouvailles avec François Mitterrand, à Orly. Ce fut un moment chargé d'émotions, peut-être un des plus grands moments de ma vie. Lorsque je les ai vus s'embrasser, je me suis dit : c'est vraiment le début d'une autre époque et peut-être qu'un jour, la République tchèque et la France se retrouveront au sein d'une Europe unifiée. Ce qui s'est vraiment passé. En plus, n'oublions pas que François Mitterrand était aussi un grand écrivain. Je connais ses livres, c'était un maître de style. Donc Vaclav Havel lui était proche sur le plan politique, mais aussi en tant qu'homme de lettres."
Ancien élève du Lycée Carnot de Dijon, interprète et traducteur reconverti en diplomate, Petr Janyska occupe aujourd'hui le poste de directeur du département Europe occidentale au Ministère tchèque des Affaires étrangères. Il est bien placé pour parler de la rénovation de l'ambassade, puisqu'entre 1999 et 2003, il était maître des lieux, à l'hôtel particulier de l'avenue Charles Floquet. Rayonnant de nouveauté et modernisé, le bâtiment de l'ambassade à Paris n'a pourtant rien perdu de son esprit d'antan... Petr Janyska.
"Depuis 1924, on n'a pas fait trop de travaux dans les locaux de l'ambassade, alors vous pouvez imaginer l'état de la tuyauterie, des fils électriques etc. Il a fallu tout rénover. En même temps, nous en avons profité pour l'embellir. Je crois vraiment que c'est une des plus belles ambassades à Paris. Par exemple, nous avons aménagé une terrasse sur son toit qui donne sur la Tour Eiffel. Grâce aux travaux de restauration, nous avons même découvert des fresques au premier étage ! Bon, elles datent du début du XXe siècle, ce n'est pas de la Renaissance, mais quand même, cela nous fait plaisir. Pour la reconstruction, nous avons fait appel aux spécialistes tchèques. Nous avons un très haut niveau de qualité de restauration, qu'il s'agisse des peintures, des statues, des étoffes... Je crois que nos experts ont fait un excellent travail."Qu'est-ce que ça vous fait de revenir à Paris, êtes-vous nostalgique ?
"Oui, ça fait toujours un peu mal au coeur... Paris, une fois que vous y êtes, elle vous tient toute la vie, c'est clair. C'est une très belle femme."
"Mon défi, c'est d'apporter ma modeste contribution à ce que les Français et les Tchèques s'entendent davantage. C'est le travail de chaque ambassadeur, de chaque diplomate. Je crois que je ne suis pas original dans cela. C'est un travail de longue haleine et je peux être rassuré que je serai remplacé, un jour, par quelqu'un de qualité qui pourra continuer. Cela ne peut pas reposer sur une seule personne."
...dit Pavel Fischer, 39 ans, ancien collaborateur de l'ex-Président Vaclav Havel et actuel ambassadeur tchèque à Paris. C'est par ses propos que se termine cette émission spéciale. Elle vous a amenés au coeur de Paris, à l'ambassade tchèque, lieu emblématique de l'amitié franco-tchèque, lieu qui a été témoin des premiers pas de la République tchécoslovaque, née il y a tout juste 86 ans...