« L’ambassadeur sous la tour Eiffel » n’est plus
Une grande figure des relations tchéco-françaises, et plus généralement de la diplomatie tchèque dans les années 1990 de grandes transformations, s’en est allée. Premier ambassadeur à Paris après la chute du régime communiste, puis plus tard en Belgique et en Suisse, négociateur du retrait des troupes soviétiques de Tchécoslovaquie ou encore représentant de la République tchèque dans les négociations d’adhésion à l’OTAN, mais aussi longtemps grand laveur de vitres, Jaroslav Šedivý est décédé, vendredi 27 janvier, à l’âge de 93 ans.
« Je suis arrivé à Paris en 1990. J’étais le premier ambassadeur du président Václav Havel et j’y suis resté quatre ans et demi... »
C’est un petit livre, rempli d’anecdotes, qu’il faut lire si l’on s’intéresse à l’histoire des relations entre Prague et Paris. Une lecture dont on se délecte si l’on veut se replonger, avec nostalgie, dans ces premières années fascinantes, pleines d’incertitudes mais aussi d’espoirs et d’enthousiasme, qui ont suivi l’ouverture au monde de la Tchécoslovaquie et de ce que l’on appelait alors encore le plus souvent l’Europe de l’Est. « Ambassadeur sous la tour Eiffel » a été publié en 2008 et son auteur, Jaroslav Šedivý, avait alors évoqué quelques souvenirs au micro de Radio Prague :
« Nous entamions une nouvelle politique extérieure et la France était un des pays les plus intéressants pour nous. Nous pensions alors pouvoir traiter avec la France des affaires européennes, économiques et commerciales, et compter sur l’aide de la politique française. Je dois dire que cela n’a pas été si simple parce que la politique française est parfois trop française. Les Français ont leurs points de vue, leurs propositions quant au futur des pays centre-européens. »
En 2008, la République tchèque était déjà membre de l’OTAN et de l’Union européenne depuis quelques années, et l’essentiel des grandes transformations politiques et économiques du pays étaient achevées. Jaroslav Šedivý, lui, était alors un diplomate qui profitait d’une retraite bien méritée.
Un homme qui était aussi revenu à ses premières amours : l’histoire, qu’il avait étudiée avec la slavistique à l’Université Charles, et l’écriture ; une activité à laquelle il avait continué de se consacrer en publiant sous des pseudonymes après son expulsion du Parti communiste et son emprisonnement suite à l’occupation de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques à compter de la fin des années 1960.
De ces soldats soviétiques arrivés après l’écrasement du Printemps de Prague, Jaroslav Šedivý, en sa qualité alors de conseiller du premier chef de la diplomatie tchécoslovaque de l’ère post-communiste, a participé au retrait définitif en 1990, avant donc encore de prendre la route de Paris.
En 2015, au moment de la publication d’un autre de ses ouvrages intitulé « Une alliance fatale, Prague et Moscou, 1920 - 1948 » (Osudné spojenectví, en tchèque, non traduit en français), Jaroslav Šedivý, tout en évoquant cette période bien spécifique de l’entre-deux-guerres où, en Europe centrale, la Tchécoslovaquie était un des rares régimes démocratiques, dessinait ce que deviendraient, plus tard, ces relations entre Prague et Moscou :
« Les rapports entre ces deux pays ont d’abord été prudents. La Tchécoslovaquie cherchait la route vers les relations avec Moscou, d’abord économiques et commerciales, et dans la deuxième moitié de cette période même politiques en tenant compte de la sécurité au centre de l’Europe. Enfin, notre pays est tombé dans le piège de la politique impériale de l’Union soviétique. »
Historien, écrivain, politique, diplomate, ministre des Affaires étrangères (1997-1998), proche de Václav Havel et des milieux dissidents sous les régime communiste, mais aussi encore père d’un petit Jiří qui, une fois grand, est lui aussi devenu ministre de la Défense et représentant de la République tchèque auprès de l’OTAN, Jaroslav Šedivý aura été un homme aux multiples vies. Ancien membre du Parti communiste, qu’il avait rejoint en 1948 dans l’euphorie de l’après-guerre, il avait été une des victimes des grandes purges d’après 1968. Après sa sortie de prison, c’est comme bûcheron, chauffeur ou encore laveur de vitres qu’il a passé l’essentiel des années 1970 et 1980.
Et c’est aussi cela qu’en 2005 avait rappelé l’ambassadeur de France à Prague Joël de Zorzi peu avant de décorer Jaroslav Šedivý de l’Ordre de la Légion d’honneur :
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« Pendant dix-sept ans, vous avez tour à tour été forestier, chauffeur, puis laveur de carreaux. Vous avez ainsi à votre actif 12 000 fenêtres nettoyées dans 2 500 appartements... C'est d’ailleurs à cette époque que vos rencontres régulières avec Milan Kundera lui inspireront, dit-on, le personnage du médecin Tomáš, devenu laveur de carreaux, héros principal de son roman ‘L’insoutenable légèreté de l’être’. »
Parce qu’après tout, surtout lorsque l’on est un homme de valeurs, il n’y a pas de sot métier, il n’y a que de sottes gens.