Le 590e anniversaire de l'exécution de 27 seigneurs tchèques
En 1526, les pays de la couronne de Bohême étaient annexés à l'empire habsbourgeois. Riches au point de vue économique, les pays tchèques étaient faibles politiquement. Leur annexion devait réunir les forces, pour mieux résister à l'offensive turque. Un siècle plus tard, le royaume de Bohême était un pays divisé non seulement politiquement, mais aussi religieusement. Au sein de la monarchie habsbourgeoise multinationale regroupant Allemands, Tchèques, Polonais, Serbes de Lusace, Slovaques, Hongrois, Roumains et Italiens, le pouvoir du souverain visait une centralisation étatique et une Contre-Réforme sans univoque. Or, les pays tchèques étaient à 90% protestants, fidèles à la tradition du réformateur de l'Eglise, Jan Hus. De même, les couches aristocratiques tchèques nourrissaient des idées libérales, en insistant surtout sur la liberté de la confession.
Un grand succès de l'opposition anticatholique s'attache au règne de l'empereur Rodolphe II de Habsbourg qui signe, en 1609, la fameuse lettre de majesté. En ces termes, la liberté religieuse était garantie non seulement à la noblesse tchèque, mais aussi aux simples sujets. Cette victoire n'est pas, hélas, de longue durée. La lettre de majesté subit différentes interprétations ce qui est à l'origine des conflits. Les antagonismes s'exacerbent à partir de 1617, lorsque le successeur de Rodolphe, l'empereur Mathias, durcit la politique procatholique. Au fur et à mesure, le mécontentement des nobles tchèques, représentés par les divers états corporatifs, se transforme en opposition ouverte.
En mai 1618, la Diète de Bohême est convoquée à Prague pour s'entendre sur la façon de procéder contre le despotisme. Une centaine d'aristocrates tchèques les plus indignés envahissent la chancellerie royale du Château de Prague, avec, à leur tête, le comte de Thurn. De quatre lieutenants-gouverneurs, délibérant alors dans la salle du palais Royal, deux, Slavata et Martinic, ainsi qu'un secrétaire, Fabricius, sont jetés par la fenêtre dans les fossés du Château. Le souverain est dépossédé du trône de Bohême, les insurgés élisant à sa place l'Electeur palatin, Frédéric V, leader des protestants allemands. Mais le succès des Etats tchèques ne dure pas longtemps. Le camp de la noblesse tchèque n'arrivait pas à unifier les intérêts individuels. L'aide des simples sujets est refusée, mais, d'autre part, ces derniers sont obligés à des redevances sans cesse croissantes afin que la noblesse puisse entretenir des mercenaires. Finalement, elle reste abandonnée de tous, ce qui est le prélude de sa défaite.
La bataille décisive a été livrée le 8 novembre 1620 à la Montagne Blanche, une colline faisant aujourd'hui partie de la grande banlieue ouest de Prague. Deux heures ont suffi pour que les armées impériales remportent la victoire sur les troupes des nobles tchèques, insuffisamment armées et démoralisées. Le lendemain, Prague est livrée à l'ennemi. Frédéric V quitte le château et le 11 novembre, la capitale se rend. Les Etats tchèques reconnaissent, le 13 novembre, Ferdinand II, pour roi. La Bohême redevient catholique et perd ses privilèges politiques. Des répressions suivent la défaite du camp tchèque. Malgré l'humble sollicitation de la grâce, pour sauver leurs vies et leurs biens, l'empereur décide d'écraser, une fois pour toutes, l'opposition de la noblesse tchèque. L'insurrection étant qualifiée de rébellion, 27 principaux leaders des "insurgés" sont décapités publiquement, le 21 juin 1621, sur la place de la Vieille-Ville de Prague.
La défaite marque la fin de la noblesse tchèque. Ferdinand de Habsbourg, couronné empereur, confisque les biens de la noblesse protestante au profit de l'Eglise catholique. De nombreux domaines sont offerts aux commandants allemands, italiens et espagnols des armées victorieuses. La religion catholique est proclamée le seul et unique culte officiel et autorisé. Ceux qui refusent de se convertir sont expulsés du pays.L'exécution des seigneurs tchèques est rappelée par 27 croix blanches, encadrées dans la mosaïque du pavé devant l'hôtel de ville de la Vieille-Ville. On ne peut que regretter que cet endroit de piété soit aussi discret, et que ces croix soient foulées aux pieds, car les passants ignorent ce fait historique. Aucun monument, sauf les croix, ne le rappelle, en effet. A deux pas de ce lieu de triste mémoire, le pouvoir habsbourgeois a fait ériger, en 1650, la colonne mariale, comme symbole du catholicisme triomphant. Point étonnant que la colonne ait été déboulonnée, au lendemain de la proclamation de la République tchécoslovaque, en 1918.
Car la Montagne Blanche incarne un drame national, un point fatal, un Golgotha. A partir de ce moment, les Tchèques allaient perdre, pour les 300 ans à venir, leur indépendance. Sur le plan politique, le triomphe des Habsbourg est scellé par l'introduction du dit Ordre provincial rénové, en 1627, qui marque la fin de l'indépendance tchèque et ouvre largement la porte à la Contre-Réforme et à la germanisation des pays tchèques. En plus de cela, la bataille de la Montagne Blanche aura marqué un tournant à l'échelle de toute l'Europe centrale, étant la première bataille de la guerre de Trente Ans, lors de laquelle, le Saint Empire romain germanique est tombé en ruines et une série de nouveaux Etats se sont formés sur la carte de l'Europe.