Le 65e anniversaire de l'opération Anthropoid

Lugar del atentado (Kobylisy)

Dimanche 27 mai, 65 ans se sont écoulés depuis le moment où, dans un virage du 8e arrondissement de Prague-Kobylisy, une balle a mortellement blessé le protecteur du IIIe Reich allemand Reinhardt Heydrich. L'attentat perpétré contre le représentant suprême de Hitler dans le Protectorat de Bohême-Moravie et le numéro 2 des SS, a été commis par deux résistants tchèques parachutés de Londres. La riposte nazie a été cruelle avec la loi martiale proclamée dans le pays, des exécutions massives et le massacre de deux villages martyrs, Lidice et Lezaky. Voici le regard porté sur l'événement, 65 ans après, par les historiens...

Prague-Kobylisy
« C'est le seul attentat qui a été commis en Europe occupée contre un dignitaire nazi si plus haut placé. Il est vrai qu'en Pologne voisine, des dizaines d'attentats ont été perpétrés mais jamais contre un représentant au sommet de la hiérarchie nazie. En tout cas, il s'agissait d'un acte de résistance exceptionnellement important et réussi, même si les représailles qu'il a déclenchées furent immenses, faisant des milliers de victimes, parfois tout à fait innocentes », nous a dit à propos de l'attentat Oldrich Tuma, chef de l'Institut d'histoire militaire.

La voiture d'Heydrich après de l’attentat  | Photo: Bundesarchiv,  Bild 146-1972-039-44,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0
Trois hommes - Josef Valcik, Jozef Gabcik et Jan Kubis, avaient été spécialement entraînés en Grande-Bretagne pour cette mission baptisée « Opération Anthropoid ». La date de l'attentat avait été fixée au début octobre. Heydrich est arrivé à Prague le 27 septembre 1942, et dès le lendemain, jour de la Saint-Venceslas, il a décrété les premières exécutions des généraux et officiers de l'état-major général de l'armée tchèque. La réaction ne s'est pas faite attendre. Le 3 octobre, le chef du service des renseignements tchécoslovaque Frantisek Moravec a convoqué les membres du groupe Anthropoid et la décision d'éliminer Heydrich a été prise.

Jan Kubis et Jozef Gabcik
Pour l'historien Eduard Stehlik, de l'Institut d'histoire militaire, dans notre histoire moderne, cela a été l'un des rares cas de l'application du vieux principe « oeil pour oeil, dent pour dent ». Eduard Stehlik ajoute que la décision de liquider Heydrich n'a pas été prise par des politiciens hésitants mais par les soldats exilés, car ce sont leurs collègues que Heydrich avait envoyés à la mort. L'historien réfute ainsi la théorie traditionnelle selon laquelle l'attentat aurait été commandé par le gouvernement tchécoslovaque en exil.

L'église orthodoxe de Saint-Cyrille et Saint-Méthode
Le 27 mai 1942, à 10H30, Jan Kubis et Jozef Gabrick remplissent leur mission. Dans un virage de la rue qui porte désormais leurs noms, ils attendent la voiture de Heydrich rentrant, comme chaque matin, de son siège à Panenske Brezany, dans les environs du nord de la capitale, au Château de Prague. Le premier à tirer est Jozef Gabcik mais son pistolet mitrailleur Sten-gun rate la cible. La voiture de Heydrich s'arrête et c'est Jan Kubis qui en profite pour lancer une grenade. Celle-ci explose et ses éclats blessent mortellement le protecteur. Les deux hommes réussissent à se sauver. Avec d'autres membres du groupe ils trouvent refuge dans la crypte de l'église orthodoxe de Saint-Cyrille et Saint-Méthode, rue Resslova à Prague. Le 18 juin, l'église est investie et l'ordre est donné de capturer les parachutistes vivants. Ceux-ci meurent toutefois les armes à la main, se donnant eux-mêmes la mort. Leur acte a des conséquences désastreuses pour le pays : 1300 résistants sont fusillés. La liste des exécutés est publiée dans la presse et lue à la radio. Le but est de décourager la résistance, d'intimider la population. Le 10 juin 1942, les nazis incendient puis rasent le village de Lidice. Les hommes sont fusillés sur place, les femmes et les enfants déportés dans les camps de concentration. Quinze jours plus tard, le même sort frappe le village martyr de Lezaky.

Reinhard Heydrich
Jusqu'en 1989, l'attentat perpétré contre le Reichprotector Reinhard Heydrich a été interprété comme un acte de terreur individuel ayant coûté beaucoup trop cher à la nation. Selon l'historien Stehlik, sans l'attentat, la frontière tchécoslovaco-allemande, après la guerre, aurait pu passer par la ville de Melnik, à 50 kilomètres au nord de Prague, c'est-à-dire dans les limites du Protectorat. Car sans cet acte d'héroïsme de la résistance, la France et la Grande-Bretagne n'auraient pas révoqué, quelques mois après l'attentat, leur signature apposée en bas du Traité de Munich et n'auraient pas garanti les frontières d'après-guerre de la Tchécoslovaquie.

L'autre mythe qui entoure l'attentat et les représailles qu'il a déclenchés concerne les enfants de Lidice. Selon l'historien Stehlik, ils devaient tous disparaître, comme en témoigne le fait que 88 des 105 enfants envoyés en Allemagne ne sont pas revenus. Sept enfants qui ont échappé à la mort dans le camp de Chelmno, en Pologne, ont été sélectionnés au hasard. Pour appuyer sa théorie sur la rééducation des enfants de Lidice dans des familles allemandes, la Gestapo envoyait des cartes en Bohême pour faire croire qu'ils étaient en vie.

Lidice
Pour Eduard Stehlik, une erreur historique réside dans la tendance à sous-estimer le protecteur Heydrich. Dans la hiérarchie nazie, il était l'un des représentants les plus influents du Reich : parallèlement à ses fonctions de protecteur, il dirigeait l'Office de sécurité principal auquel étaient subordonnés la Gestapo, la police et le service de sécurité SS dans l'ensemble de l'Europe occupée. Il a joué un rôle décisif à la conférence de Wannsee, en janvier 1942, où les questions techniques de la solution finale de la question juive en Europe étaient traitées. Il était l'un des cinq successeurs potentiels à Hitler, au cas où celui-ci serait décédé. Il ne faut pas non plus oublier que Heydrich est arrivé à la tête du Protectorat avec un plan de germanisation totale du pays et de liquidation progressive de la population en tant que telle. En attendant, les Tchèques devaient travailler dans les usines pour le bien de l'effort de guerre allemand.

Une exposition installée actuellement au château de Liben, dans le 8e arrondissement de Prague, rapproche les événements d'il y a 65 ans. La mairie envisage d'ériger sur les lieux de l'attentat un monument qui rappellerait cet acte de résistance héroïque.