Le 90e anniversaire de Pavel Kohout - la leçon d’une vie
L’écrivain Pavel Kohout (1928) est un homme aux plusieurs vies. Aux différentes étapes de sa longue existence, il a été d’abord poète officiel du régime communiste, puis écrivain dissident et émigré politique. Aujourd’hui, il est un homme qui poursuit son œuvre littéraire, jette un regard désabusé sur le passé et le présent, et cherche à expliquer les étapes problématiques de sa vie. Le 20 juillet dernier, le doyen des lettres tchèques a fêté son 90e anniversaire.
Un jeune poète émerveillé par l’utopie communiste
Fils de parents communistes, Pavel Kohout croit fort aux lendemains qui chantent et à l’idéologie communiste. Au moment où prend fin la Deuxième Guerre mondiale, il a dix-sept ans et voit s’ouvrir devant lui une perspective radieuse. La terrible expérience de la guerre est encore vivante dans sa mémoire, sa gratitude envers l’Union soviétique et son armée qui a libéré son pays, est profonde et sincère. Comment résister à l’utopie d’un monde juste où il n’y aura ni riches ni pauvres ? C’est le parti communiste qui devient pour lui et pour beaucoup de ses concitoyens le symbole et le garant de cette perspective radieuse. Il s’explique :« En ce temps-là, je ne doutais pas de la justesse de cette voie parce que j’avais vécu la guerre et le régime de la terreur de Reinhard Heydrich. Si nous le considérons avec ce que nous savons aujourd’hui, cela peut sembler absurde. Comment un si grand nombre de gens pouvaient croire à une telle illusion. Mais cette illusion n’était rendue possible que par le fait qu’elle avait été précédée par des événements si horribles et si effrayants. On voulait croire à une telle illusion, et on a fini par y croire. »
L’effondrement progressif de la grande illusion
Le temps du réveil et de l’effondrement de cette grande illusion est encore loin. Le jeune Pavel Kohout célèbre par ses vers enthousiastes le monde nouveau et le nouveau mode de vie. Son talent et sa nature exhibitionniste lui permettent de s’imposer bientôt dans la littérature, le journalisme et la politique. Il étudie la littérature comparée, l’esthétique et la théâtrologie, mais ses études restent inachevées. Il travaille à la radio, à la télévision et collabore avec plusieurs journaux et revues. Membre du Comité central de l’Union tchécoslovaque de la jeunesse (ČSM), il entreprend de nombreux voyages en Europe et en Asie. Ses poèmes sont connus et récités à des réunions publiques.
Entre-temps, le régime communiste, qui gouverne le pays à partir de 1948, raffermit son pouvoir avec des représailles contre ses adversaires et, dans la première moitié des années 1950, il se retourne même contre certains membres de l’appareil du parti. C’est la période des procès staliniens qui débouchent souvent sur des peines de mort. Pavel Kohout n’arrive pas encore à imaginer que ces procès puissent être le résultat d’une monstrueuse manipulation :« Même un homme comme moi, qui allait vivre de sa fantaisie et écrire de nombreux romans et pièces de théâtre, n’arrivait pas à imaginer qu’il puisse être possible de se mettre d’accord avec les accusés afin qu’ils demandent pour eux-mêmes la peine de mort. Dans mon entourage, à cette époque-là, personne ne doutait que ces procès étaient justes. La découverte qu’il s’agissait de procès truqués a été ensuite un violent coup asséné au régime stalinien parce que, à partir de ce moment-là, personne ne pouvait avoir la conscience tranquille. »
En route vers la dissidence
Le jeune poète adulé subit lui aussi ce choc et cela commence à se manifester timidement dans ses œuvres. Déjà en 1955, il écrit la pièce de théâtre Les Nuits de septembre, qui jette un regard critique sur l’armée tchécoslovaque et les accents critiques dans ses écrits vont se multiplier. En 1966, l’écrivain démissionne du comité central de l’Union des écrivains tchécoslovaques pour protester contre l’orientation culturelle et politique de cette organisation. Son existence très publique marque aussi sa vie intime. Il se marie trois fois et ses femmes lui donnent trois enfants :« Je n’étais pas ce genre de père, comme mon père à moi, qui était capable de prendre un enfant au sérieux dès sa naissance. Pour moi, les enfants ne devenaient mes enfants que dès le moment où je constatais qu’ils commençaient à réfléchir. J’ai trois enfants et je crois que chacun d’eux - je le dis pour rigoler mais je ne suis pas loin de la vérité - a un tiers de ma nature. »
Figure de proue du Printemps de Prague
En 1968, Pavel Kohout devient une des figures les plus énergiques du mouvement qui aboutit à une courte période de liberté politique appelé le Printemps de Prague. Les espoirs éveillés par ce mouvement étant bientôt écrasés par les chars soviétiques, Pavel Kohout est exclu du parti communiste et passe à la dissidence. Le poète officiel se transforme en critique corrosif du régime. Interdit de publication, il ne peut publier qu’en samizdat et à l’étranger. Il aggrave son cas et provoque la colère des dignitaires du régime en lançant avec Václav Havel la Charte 77, un document appelant les autorités communistes à respecter les droits de l’Homme et leurs engagements internationaux.En 1979, les autorités lui permettent d’aller en Autriche, mais lui interdisent par la suite de retourner dans son pays. L’écrivain dissident devient donc émigré malgré lui mais ne se laisse pas décourager. Même au cours de son exil autrichien, il continue à écrire et à faire du théâtre et ses œuvres sont traduites dans plusieurs langues. Inutile d’ajouter que sa création est profondément marquée par la politique :
« La politique s’est toujours manifestée dans mes écrits, et pas seulement cela. Elle influençait profondément ma création et n’a cessé de le faire jusqu’à aujourd’hui. D’une manière ou d’une autre, tous mes romans comprennent un élément très fort de ma vision politique du monde. »
Le grand retour
Après la chute du régime communiste en 1989, Pavel Kohout est l’un des premiers émigrés politiques à retourner dans son pays. Il partage désormais sa vie entre sa patrie tchèque et l’Autriche et continue à écrire. Tandis que, dans sa création précédente, beaucoup de motifs étaient tirés de sa vie et certaines de ses œuvres étaient tout à fait autobiographiques, il réserve désormais dans ses écrits beaucoup plus de place à la fiction. Il refuse de s’engager dans la vie politique. « C’est ma pénitence », dit-il lorsqu’il évoque ses erreurs du passé :« Je ne cherche pas à me défendre, je ne cherche qu’à l’expliquer. Chaque génération a son problème. Une génération a perdu la Tchécoslovaquie à la suite des Accords de Munich, une autre génération l’a perdue pour la deuxième fois dans les années 1950, la troisième génération l’a perdue lors de la normalisation dans les années 1970-1980, et la quatrième génération a assisté à la partition de la Tchécoslovaquie en deux républiques différentes. Chaque génération porte son fardeau de culpabilités et il ne reste qu’à savoir quand elle s’en rendra compte. Il me semble quand même que nous nous en sommes rendus compte relativement tôt. »
La sagesse d’un nonagénaire
Auteur prolifique, Pavel Kohout est un narrateur de talent. L’autobiographie comme la fiction sont pour lui des moyens pour évoquer les grands thèmes de sa création, dont la manipulation politique et la résistance contre l’arbitraire, mais aussi des instruments efficaces pour subjuguer son lecteur. On lit ses témoignages sur les événements réels comme des romans et ses livres de fiction comme des témoignages sur des faits réels. Témoin de son temps, il est riche aujourd’hui de l’expérience de sa longue vie et constate que nous avons tendance à ignorer les leçons de l’histoire et à faire toujours les mêmes erreurs. Ce qui l’inquiète notamment, c’est de constater que les gens sont déçus par la démocratie :« Nous n’avons pas de meilleur système et chaque fois qu’on a essayé quelque chose de nouveau, ça a mal fini. Certes, la démocratie a énormément de problèmes. Elle est trop lente, souvent injuste, elle a tant de défauts que le citoyen normal qui n’a pas connu le totalitarisme, a l’impression de vivre sous un régime exécrable. Il est catastrophique que l’expérience soit intransmissible, qu’elle ne soit pas héréditaire. Alors chaque génération est d’abord idiote avant de parvenir à s’en sortir d’une manière ou d’une autre. Je pense que c’est le plus grand problème encore aujourd’hui. »