Pavel Kohout : « Je suis un écrivain controversé »
La vie de l’écrivain Pavel Kohout est une longue suite d’événements qui reflètent l’histoire tchèque des XXe et XXIe siècles. Sa biographie où ne manquent ni erreurs, ni moments de vérité et actes de courage, peut servir de leçon à tous ceux qui ont la conviction inébranlable de la justesse de leurs opinions. La vieillesse n’a pas entamé la vitalité de cet octogénaire infatigable qui ne cesse de s’intéresser à l’actualité et de commenter la vie de la société tchèque. Né en 1928, Pavel Kohout a vécu sous plusieurs régimes totalitaires et a été témoin de la fragilité des systèmes démocratiques. Il ne perd pourtant pas un certain optimisme. Il sait que la vraie démocratie demande beaucoup d’efforts et nécessite énormément de patience.
« Je dirais que la société tchèque est dans la phase qu’ont connue l’Allemagne ou l’Autriche dans les années 1960. Elle se débarrasse de son passé, mais on ne peut toujours pas beaucoup en parler parce qu’il y a encore trop de gens qui sont liés à ce passé. Le passé, ce ne sont pas que les années 1950, beaucoup de gens s’y sont compromis, et ils n’aiment pas trop en parler. »
Le romancier qui est la mémoire vivante de l’histoire et de la littérature tchèque du XXe siècle en parle volontiers, il a écrit plusieurs livres dans lesquels il explique les aléas de sa biographie et les grands tournants de l’histoire de son pays. Il est convaincu que l’homme actif et connu doit être conscient du fait que ses opinions peuvent influencer des gens et même leur montrer un chemin. L’homme public a donc, selon Pavel Kohout, l’obligation d’expliquer ses attitudes bien que l’expérience soit en général incommunicable et intransmissible. Il espère que les gens puissent quand même comprendre ce qui peut arriver et comment éviter les erreurs désastreuses. Au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, Pavel Kohout était un jeune militant communiste déçu par les puissances occidentales ayant signé en 1938 les accords de Munich et reconnaissant à l’Union soviétique d’avoir libéré son pays de l’occupation allemande. Il insiste sur le fait que ses convictions communistes étaient sincères :
« Je le considère comme mon erreur intellectuelle qui était cependant partagée par la population tchécoslovaque. N’oubliez pas que la Tchécoslovaquie a été le seul pays où le communisme n’a pas été imposé par les baïonnettes de l’armée soviétique. C’est nous-mêmes qui avons choisi ce chemin dans les élections en juin 1946. A ce moment-là, 53 % des habitants ont voté pour les communistes et les sociaux-démocrates. Ce que je sentais à cette époque, c’étaient donc plus ou moins les sentiments de la majorité de la population. Aujourd’hui vous pouvez le considérer comme une erreur intellectuelle parce que c’était le chemin de l’enfer, de Hitler à Staline. Puis nous avons passé le reste de notre vie en cherchant à corriger cette erreur. »Pavel Kohout en a tiré leçon et dans les années 1960 il est devenu un des artisans du processus de libéralisation intellectuelle et politique entré dans l’histoire sous le nom du Printemps de Prague. Et il souligne, une fois de plus, que ce changement d’attitude faisait partie d’un mouvement plus général et était partagé par la majorité de la société tchèque. Dès 1956, il a été évident que Staline avait été un criminel, ce qui a été confirmé aussi par Nikita Khrouchtchev lors du XXIIe congrès du Parti communiste soviétique, et du coup, selon Pavel Kohout, un million et demi de communistes tchèques se sont retrouvés dans une situation terrible :
« Ils n’arrivaient pas à trouver une issue à cette situation. Certains étaient au bord du suicide, et il y a eu beaucoup de suicidés, d’autres se sont dits que les choses sont comme elles sont et qu’il faut continuer dans la même voie. C’étaient ceux qui ont fini par inviter en 1968 les chars soviétiques à envahir leur pays. D’autres se sont dit : ‘Voilà une sacrée affaire, comment s’en sortir ?’ A la suite des expériences de Berlin en 1953, de Poznan et de Budapest en 1956, on savait déjà que les barricades ne servaient à rien et les Tchèques ont eu l’idée rationnelle d’ouvrir le régime de l’intérieur. Et il est arrivé qu’un grand nombre de membres du Parti communiste, dont beaucoup étaient des gens intègres, aient réussi à se hisser aux postes politiques les plus élevés. Et puis, c’étaient les chars qui sont arrivés. » Après l’écrasement du Printemps de Prague et l’occupation du pays par l’armée soviétique, Pavel Kohout devient une des personnalités principales de la dissidence tchécoslovaque et ne cesse de lutter activement contre le régime de la normalisation. Interdit de publication, il continue à écrire pour dénoncer les aberrations du régime instauré par les Soviétiques. Il fait partie du groupe d’intellectuels qui lancent la Charte 1977, document appelant au respect des droits de l’homme qui déclenche la furie des autorités communistes. Le régime réussit finalement à se débarrasser de cet écrivain récalcitrant trop connu en le laissant partir pour une année en Autriche. Et lorsque Pavel Kohout et sa femme Jelena Mašínová veulent retourner en 1979 dans leur pays, les autorités communistes ne leur permettent pas de passer la frontière et ils sont déchus de la nationalité tchécoslovaque. Etabli à partir de ce moment-là en Autriche, l’écrivain poursuivra son oeuvre littéraire et ne pourra revenir dans son pays qu’après la chute du régime communiste en 1989.Au cours de sa longue vie, Pavel Kohout a écrit une cinquantaine de pièces de théâtres et quinze romans dont quatre autobiographiques. Aujourd’hui encore il est considéré comme un écrivain controversé et il se demande ce que cela veut dire :
« D’aucuns pensent sans doute que je suis un homme à deux visages, mais j’ai l’impression que mon premier visage a disparu vers la fin des années 1950. Je ne pense pas avoir beaucoup changé depuis ce temps-là. Chaque auteur peut se juger lui-même en lisant ses oeuvres littéraires qui ne feignent rien. Soit ces oeuvres sont idiotes, soit elles sont admissibles. Quand je reprends mes textes, alors je constate que jusqu’à un certain moment, mes textes sont idiots, mais à partir de là ils deviennent admissibles. »
Deux fois dans sa vie, Pavel Kohout a vécu la liquidation de la démocratie dans son pays et deux fois il a assisté au processus lent et douloureux de la renaissance du système démocratique. A son avis le danger de la rechute totalitaire n’est jamais tout à fait conjuré et la tentation autocratique n’est pas tout à fait éliminée. La vigilance est donc de rigueur aujourd’hui comme demain. Pavel Kohout ne pense pas cependant que nous sommes menacés par le retour du communisme. Il se félicite de l’existence de l’Union européenne et de ses mécanismes démocratiques parce qu’il est convaincu que l’Union ne permettra pas le retour du communisme dans ses pays membres :
« Je suis surtout reconnaissant à l’Union européenne qui me permet de ne pas être prisonnier des politiciens tchèques. Au-dessus d’eux il y a encore une sphère de la politique européenne qui me rend libre. Plus libre que si j’étais enfermé ici avec les gens qui ont amené le pays dans la situation lamentable où il se trouve aujourd’hui. Bien sûr cette situation, elle aussi, est passagère, parce que c’est la démocratie et la démocratie nécessite de la patience, de la patience et encore de la patience. (…) Nous sommes dans un système qui même s’il est très lent, très injuste et très fade, nous oblige quand même à aller aux urnes. Et cela garantit que dans l’Union européenne tous les quatre ans on redistribuera les cartes. »