Le bicentenaire de la bataille d'Austerlitz
La commune de Slavkov - Austerlitz, dans la région de Moravie du sud, a été le 2 décembre 1805 le théâtre de la victoire brillante de Napoléon 1er Bonaparte sur l'empereur autrichien, François 1er, et le tsar russe, Alexandre 1er. Cette bataille, dénommée la Bataille des trois empereurs, a été l'une des plus sanglantes dans l'histoire : près de 40 000 soldats sont restés sur le champ de bataille. Leur mémoire est rappelée par le monument de la Paix, monumentale pyramide avec, aux pieds, quatre statues symbolisant les héros des trois armées et, aussi, le peuple de la Moravie ayant souffert de ce conflit sanglant.
En attendant les célébrations grandioses du bicentenaire de la bataille qui auront lieu le week-end prochain à Austerlitz, des savants de 5 pays se sont réunis en début de cette semaine à un colloque à Prague, organisé à l'initiative du CEFRES, pour se pencher sur les conséquences sociales, juridiques, politiques et scientifiques de la bataille. L'historien Jacques Revel, directeur d'études de l'Ecole des hautes études en sciences sociales de Paris, répond à la question de savoir : Quelle Europe annonce la bataille d'Austerlitz ?
« Je ne suis pas sûr que la bataille d'Austerlitz annonce une Europe quelconque. On peut dire, en termes très généraux, que c'est un affrontement tardif de la France encore perçue comme révolutionnaire contre l'Europe contre-révolutionnaire. Mais quand on dit cela, on n'explique pas grand chose du XIXe siècle : la France a bientôt cessé d'être révolutionnaire, et l'Europe sera gagnée par l'idée révolutionnaire dans les décennies qui vont suivre. Est-ce qu'on veut dire par là qu'Austerlitz est une des premières grandes batailles de masse qui annoncent l'âge des masses ? C'est probablement vrai, mais c'est un des phénomènes parmi beaucoup d'autres qui annonce cet âge des phénomènes massifs qui va dominer le XIXe et le XXe siècles. Le danger, là, c'est toujours de projeter ce que nous savons de la suite sur l'événement qui est arrivé, c'est toujours difficile d'expliquer l'avant par l'après. Ce qui est sûr c'est qu' Austerlitz est plutôt le symbole d'une Europe instable et qui mettra très longtemps à trouver sa stabilité, qui attendra la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour la partie occidentale, et la chute du mur, pour sa partie orientale, pour trouver quelque chose comme une stabilité. Est-ce qu'il faut l'imputer à Austerlitz ? Non. Qu'Austerlitz en soit une image précoce ? Oui. J'imagine que pour les habitants de cette région, ils ont vécu ce privilège d'une manière douloureuse. Les habitants de Moravie auraient préféré que les grands champs de bataille se situent ailleurs que chez eux, on pourrait dire la même chose pour l'Italie du nord, pour l'Espagne ou pour la Russie en 1812. Les fronts se déplacent selon les logiques qui ont peu de chose à voir avec le souhait de ceux qui doivent malheureusement les accueillir. » Selon un autre intervenant au colloque, le philosophe Petr Horak de l'Université Masaryk de Brno, la bataille d'Austerlitz a ouvert la voie à une évolution moderne de l'Europe. Avec Napoléon, de nouvelles idées, et le reflet de la révolution française, arrivent en Europe. L'empereur français a éveillé en Etats féodaux le désir des réformes. Ainsi, l'Autriche a adopté le nouveau code civil initié par Napoléon. C'est aussi la naissance de nouvelles administrations. Selon Horak, les Tchèques sont étroitement liés avec la bataille : elle a touché leur territoire, les soldats tchèques et moraves faisaient partie de l'armée autrichienne. Il ne faut pas oublier que la Première République tchécoslovaque a offert à la France un terrain, à la colline de Zuran, à partir duquel Napoléon commandait ses soldats et qui est jusqu'à aujourd'hui une extra- territorialité de la République française en République tchèque. Il ne faut pas oublier non plus qu'une urne contenant un peu de terre du champ de bataille d'Austerlitz se trouve à Paris. De multiples raisons nous autorisent, selon le professeur Horak, à ne pas considérer la bataille comme celle des étrangers, mais également comme une affaire à nous.