La Moravie, théâtre des guerres napoléoniennes

La bataille d’Austerlitz

Au beau milieu de la Moravie, au soleil d’Austerlitz, de Slavkov u Brna pour les Tchèques, Napoléon Ier, vainqueur des armées de François II du Saint-Empire et de celles d’Alexandre Ier de Russie, parvint un beau matin de décembre 1805 à conforter son règne naissant en signant l’une des victoires les plus nettes de l’histoire militaire. Jacques Garnier, spécialiste de cette histoire, est l’auteur d’un ouvrage sur Austerlitz, qui lui a valu le Grand Prix d'histoire 2006 de la Fondation Napoléon. Pour Radio Prague, il a évoqué cette région de Moravie, qui, à deux reprises, fut le théâtre des guerres napoléoniennes.

Napoléon
« La Moravie a une importance stratégique dans le cadre de la campagne de 1805. Napoléon poursuivait les Russes qui rentraient vers leur pays. C’était un chemin et non pas un terrain comme le sera plus tard Waterloo. Il s’agissait d’une route que suivaient les Russes et où Napoléon souhaitait les rencontrer. Lorsqu’ils se sont arrêtés à Olomouc, les Russes commençaient à recevoir des renforts. C’était leur ligne de communication et c’est pour cela que le combat d’Austerlitz a eu lieu à cet endroit.

Napoléon a saisi que le terrain lui était favorable lorsqu’il a vu cette colline, le Pratzen (Prace en tchèque). Il s’est dit que c’était là qu’il allait se battre. C’est là qu’on voit son génie. Lorsqu’on vient du côté ouest vers l’est, on ne se rend pas bien compte. A l’inverse, quand on vient de l’est vers l’ouest, on voit bien que c’est un endroit favorable à la bataille. »

C’est le genre de chose dont l’historien se rend compte quand il va sur place…

Le Monument de la paix | Photo: Štěpánka Budková,  Radio Prague Int.
« Je pense qu’on ne peut pas faire d’histoire militaire sans aller sur le terrain. Il faut évidemment une grande culture livresque mais aller sur le terrain permet de voir énormément de choses, par exemple à la bataille d’Austerlitz, sur le plateau de Pratzen. C’est un endroit d’où Napoléon ne pouvait pas voir toutes ses troupes qui étaient au sud sur Telnitz et Sokolnitz (Telnice et Sokolnice). Il devait donc imaginer tout cela et on ne peut pas s’en rendre compte sur une carte. On peut s’en rendre compte quand on va sur place, qu’on va sur le tertre de Zuran. Le champ de bataille en lui-même a été extrêmement bien préservé. Merci à la République tchèque parce qu’il est toujours important de préserver ces lieux d’histoire. »

Qu’est-ce qu’implique pour une région comme la Moravie le fait de se trouver ainsi soudainement le théâtre d’opérations militaires ?

La bataille d’Austerlitz
« Il faut tout de même voir qu’à cette époque, la stratégie et les combats n’impliquaient pas les destructions que les combats de la Seconde Guerre mondiale auraient pu causer par exemple. Certes on pillait tout ce qu’on trouvait en termes de bétail pour se nourrir. Certaines maisons ont été en partie détruites parce qu’on cherchait du bois. Par exemple, le bois des encadrements de fenêtre servait à faire du feu pour se chauffer. Mais je ne pense pas qu’il y ait eu des destructions telles qu’on pourra en voir durant la Seconde Guerre mondiale, à Londres, à Dresde ou à Berlin. A l’époque, les villes n’ont pas trop souffert, c’était surtout les villages tout autour du champ de bataille.

Les habitants des lieux au moment de la bataille sont partis, se sont cachés. Effectivement, ils y ont perdu des biens, comme leur troupeau, mais il n’y a pas eu de révolte du peuple morave contre l’armée dans la mesure où l’armée n’est restée que quelques jours. »

Il existe en Moravie des noms français qui ont été tchéquisés, tels que Bíza, Galet, Foret, Remeš ou Šalé. Certains de ces noms seraient liés à l’établissement de soldats français blessés à Austerlitz et soignés sur place. Est-ce plausible ?

Photo: Martina Schneibergová
« C’est très vraisemblable. Lors de la retraite de Russie par exemple, un certain nombre de soldats ont été recueilli, surtout en Pologne mais aussi en Russie, par des habitants des lieux qui ont finalement fini par faire souche. Mais tout cela concerne uniquement des unités et non pas des troupes constituées. Je n’en ai pas la preuve pour la Moravie mais il est certain que cela s’est passé ainsi. »

Austerlitz est sans doute la bataille la plus connue de la période napoléonienne. Pourquoi ?

« Il y a trois batailles qui sont très connues dans la période napoléonienne. Il y a d’abord Marengo, en tant que Premier consul, et Austerlitz, en tant qu’Empereur, qui sont importantes car si Napoléon les avait perdues, il aurait perdu sa couronne. La troisième c’est la défaite de Waterloo en 1815 où il perd justement sa couronne. Ce n’était pas le cas des monarchies traditionnelles qui étaient beaucoup plus ancrées dans la population.

D’abord, Austerlitz est une très grande victoire sur les Russes et les Autrichiens, qui permet à Napoléon de rentrer au fait de sa gloire. D’autre part, cette bataille a lieu lors du premier anniversaire de son couronnement. Pour l’histoire militaire, c’est quand même l’une des victoires les plus incontestables qu’il y ait eu, et ce même dans l’histoire mondiale.

La bataille de Slavkov | Photo: Agence photographique de la Réunion des musées nationaux/Wikimedia Commons,  public domain
L’adversaire, surtout les Russes, les Autrichiens ayant été battus à Ulm peu de temps auparavant, est défait et Napoléon sort vainqueur. Il ne retrouva plus tellement ce genre de victoire incontestable et incontestée, sauf peut-être à Iéna et à Auerstaedt. Ensuite pour la bataille d’Eylau contre les Russes, la bataille de Wagram contre les Autrichiens et les batailles de la campagne de Russie, les victoires sont beaucoup plus difficiles et beaucoup plus contestables. »

Dans quelle mesure Napoléon doit sa victoire militaire à Austerlitz aux erreurs de ses adversaires ?

« Il doit sa victoire aux erreurs de ses ennemis, mais dont il a su profiter. C’est là que réside son génie. Il a su faire croire à l’ennemi qu’il était faible alors que si les Russes avaient attendu un peu plus, Napoléon ne pouvait plus avancer. Il a su donner à ses ennemis confiance en eux-mêmes. Les mouvements de troupes, les manœuvres qui ont eu lieu ont également été parmi les plus belles qu’il n’ait jamais faites.

Les Russes avaient un plan préétabli auquel ils se sont attachés même quand ils ont vu que cela ne se passait pas bien. Napoléon avait un projet beaucoup plus souple qui tenait compte des réalités du moment heure par heure. Il était capable de changer sa tactique en fonction de ce qui se passait. Il a ainsi parfaitement réussi à attirer les Russes dans un piège. Il faut ajouter qu’il a disposé d’hommes, de maréchaux, qui avaient vraiment envie de se battre, chose qu’il ne retrouvera plus après. »

La bataille de Znaïm
La Moravie a été marquée par une autre bataille en juillet 1809 dans le cadre de la Cinquième coalition, c’est la bataille de Znaïm, de Znojmo en tchèque…

« La bataille de Znaïm en 1809 a été remportée par une armée de Napoléon alors en marche vers Wagram. Elle n’a cependant pas eu le même retentissement puisque ce n’était pas l’armée principale qui était en cause. Au contraire d’Austerlitz où c’était quand même la quasi-totalité de la Grande Armée, partie de France, qui se retrouve là et qui arrive à vaincre la totalité de l’armée russe et les restes de l’armée autrichienne. »

Quels sont aujourd’hui les débats qui animent les historiens sur les guerres napoléoniennes ?

La bataille d’Austerlitz
« Les historiens essaient surtout de détruire les légendes. Par exemple à Austerlitz, il y avait la légende de milliers de soldats russes se noyant dans les étangs. Quand on va voir sur place, on s’aperçoit que les étangs étaient asséchés, qu’ils ne devaient pas avoir plus d’un mètre d’eau. Quand on consulte les documents de l’époque où l’on a asséché les étangs pour compter les morts, on se rend compte qu’il n’y en a pas plus d’une douzaine. A cette époque, il y avait une emphase dans la langue ; il devait toujours y avoir des milliers de morts pour faire « grande bataille ». Maintenant, on essaie, par la consultation des archives, des mémoires des participants, de rétablir la langue d’aujourd’hui. »