"Le Cantique des cantiques" imaginé par Frantisek Kupka

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"C'est une révélation", écrit Armelle Héliot dans le Figaro à propos de l'exposition des dessins créés par le peintre Frantisek Kupka pour illustrer "Le Cantique des cantiques", exposition que l'on peut voir actuellement au Musée d'art et d'histoire du judaïsme à Paris. En effet, le célèbre peintre d'origine tchèque, qui a vécu entre 1871 et 1957 et est considéré comme un des pères de la peinture abstraite, présente ici une facette moins connue de son art.

Les oeuvres de Frantisek Kupka exposées actuellement au musée parisien viennent de la collection de Jindrich Waldes, collectionneur et mécène qui avait fait connaissance de Frantisek Kupka en 1919. "Le Cantique des cantiques" figure parmi les premières oeuvres que Waldes a achetées à Kupka. C'est cette série qui a été finalement acquise par le Musée d'art et d'histoire du judaïsme. La directrice du musée et commissaire de l'exposition, Laurence Sigal, retrace les péripéties de l'existence de cette oeuvre:

"La collection Waldes a été confisquée par les nazis en 1940 et nationalisée par l'Etat tchèque après la guerre. En 1992, les héritiers de Jindrich Waldes, qui vivaient aux Etats-Unis, ont demandé la restitution de ces biens et un accord a été signé en 1996. Une partie des oeuvres, celles qui avaient été classées trésors nationaux ou d'autres oeuvres encore ont été offertes par les héritiers de Jindrich Waldes à la République tchèque mais une partie a été récupérée par eux et certaines ont fait l'objet d'une vente. Certaines oeuvres ont été vendues à des collectionneurs en République tchèque, d'autres oeuvres ont été acquises à l'étranger, et nous avons acquis la série du Cantique des cantiques pour laquelle la République tchèque avait signé une autorisation de sortie. "

Vous disposez des fonds suffisants pour un tel achat?

"Ce n'est pas ce qu'il y avait de plus important dans la collection Waldes. Les oeuvres les plus importantes, je dois le dire, sont actuellement à la Narodni galerie (La Galerie nationale) à Prague. C'est une acquisition très importante pour nous mais nous avons bénéficié d'une subvention pour cette acquisition."

Ajoutons qu'il existe encore une deuxième série de dessins originaux comme ceux acquis par le musée parisien, série qui est actuellement au Musée d'Israël et qui était restée entre les mains de Frantisek Kupka avant d'être offerte au musée par un collectionneur qui avait pu la racheter.


Où peut-on situer Le cantique des cantiques dans l'ensemble des oeuvres de Frantisek Kupka? Dans quelle étape de sa vie a-t-il créé cette oeuvre?

"La suite du Cantique des cantiques qui est exposée actuellement au musée a été créée entre 1905 et 1909, au plus tard. La place du Cantique des cantiques dans l'oeuvre de Frantisek Kupka est très particulière dans la mesure où, entre le moment où Kupka a commencé à travailler sur cette oeuvre en 1904 et l'édition définitive de l'ouvrage qu'il projetait, l'oeuvre ne paraît qu'en 1931. Il y a donc plus de vingt-cinq ans qui se sont écoulés. Néanmoins, l'oeuvre appartient à une période que l'on pourrait qualifier de post-symboliste, donc avant son passage à l'abstraction. Elle appartient à l'ensemble des oeuvres littéraires que Kupka a illustrées pendant qu'il vivait à Paris."

Est-ce donc l'oeuvre d'un illustrateur encore réaliste ou déjà celle d'un précurseur d'art abstrait?

"Non, elle est très réaliste. Véritablement, il n'y a presque aucun indice du passage relativement proche de Kupka, devrait-on dire, vers l'art abstrait. C'est une oeuvre très marquée par les influences viennoises. Elle a une vraie beauté et un caractère extrêmement agréable qui l'éloigne même de certains dessins symbolistes beaucoup plus forts, beaucoup plus mystérieux et étranges que Kupka a fait dans les mêmes années, soit des grandes peintures, soit des oeuvres pour la presse satirique."


On sait que Kupka a travaillé sur ces illustrations pendant longtemps avec un sérieux et intérêt profonds. Laurence Sigal explique cet intérêt, entre autres, par des éléments autobiographiques. En 1904, le peintre découvre le Cantique des cantiques et celle qui sera sa femme, Eugénie Straub. Et comme c'est le cas de très nombreux artistes qui ont consacré un effort important à l'illustration du Cantique, il y a une évocation des échos personnels très forts. Mais cela dit, Kupka n'a pas varié dans ses méthodes de travail et il a fait le même travail de recherche que pour ses autres ouvrages illustrés. Ce qui distingue peut-être le travail de Kupka pour le Cantique des cantiques, c'est l'effort qu'il a consacré pour l'apprentissage de l'écriture hébraïque puisqu'il a non seulement fait le projet d'illustration mais il a mis aussi en page le texte et il l'a calligraphié lui-même. Et c'est cela peut-être, selon Laurence Sigal, qui constitue une exception dans l'oeuvre de Kupka .


Comment Kupka interprétait-il le cantique des cantiques ? Le considérait-il avant tout comme un chant d'amour ou attribuait-il à ce cycle une signification allégorique et non pas sensuelle comme le veulent certaines traditions juives et chrétiennes? Laurence Sigal :

"Si on regarde les illustrations de Kupka et si on les rapproche des textes qu'il a rédigés de son travail, il est clair que Kupka a eu une approche absolument pas religieuse de ce texte, mais une approche que l'on ferait d'un poème amoureux et sensuel, qui appartient à la littérature universelle. Ce n'est pas une allégorie, Kupka décrit très précisément le monde visuel que le Cantique lui évoque, le monde qui est d'ailleurs plus assyrien que hiérosolymitain et biblique. La profusion des personnages, les décors, qu'il s'agisse des palais de Jérusalem et de la nature des monts de Judée, montrent qu'il est resté vraiment dans une description très littérale de ce poème sensuel."

Qu'est-ce que Kupka a trouvé dans ce texte biblique, que nous fait-il découvrir dans le Cantique des cantiques?

"Il nous fait découvrir un monde qui est un monde oriental. Ce qui est merveilleux dans cette oeuvre de Kupka, c'est la symbiose qu'il crée entre le monde de l'Antiquité orientale, le temple de Jérusalem, une nature luxuriante, une attention au détail et à l'ornement. C'est cette fusion de styles, un style assyrien, parfois égyptien, et un style beaucoup plus proche de nous, qui est le goût pour le décoratif et qu'il a sans doute appris à Vienne, qui donne une oeuvre extrêmement riche, plaisante, à la fois documentée et totalement imaginaire chez Kupka. "